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La notion d’harmonisation consiste à choisir, en fonction des époques et des contextes

nationaux d’urbanisation, les définitions de la ville les plus pertinentes compte tenu de la grille de lecture présentée dans la première partie. Il s’agit de proposer pour chaque ville les

périodes charnières auxquels doivent s’effectuer les passages d’une définition à une autre, mais aussi de repérer pour chaque pays les définitions les plus adaptées en vue d’une comparaison internationale à une certaine date. L’utilisation d’un référentiel spatio-temporel, le budget-temps moyen d’une heure, fournit un ensemble d’indications précieuses pour mener ces deux types d’harmonisation.

a L’utilisation de repères temporels

La prise en compte du budget-temps permet d’évaluer la pertinence de périmètres urbains obtenus à partir de sources historiques diverses et de proposer une collection harmonisée de définitions au cours du temps. La Figure 10 représente ainsi différents plans ou cartes historiques de la ville de Boston entre 1830 et 2000, avec une échelle calée sur la durée d’une heure de déplacement (aller et retour). Dans ce même budget-temps, on peut lire les métamorphoses de la ville, constituée d’une simple municipalité dans la première moitié du 19ème siècle, puis (avec l’apparition des réseaux ferroviaires suburbains) d’une agglomération de municipalités (Medford, Revere, Quincy etc.). Au milieu du 20ème siècle, la ville de Boston s’étend sur un rayon d’environ 25 km, correspondant aux trajets quotidiens de longue portée

effectués par voiture dans les franges péri-urbaines de la Standard Metropolitan Area. Ce rayon double pratiquement entre 1950 et 2000 (Metropolitan Statistical Area).

Figure 10 : Le concept de ville dans un référentiel temporel (Boston, 1830-2000) (Bretagnolle, Giraud, Mathian 2008)

Les données diffusées par le Bureau du recensement des Etats-Unis fournissent cependant très peu de périmètres d’agglomérations pour les années antérieures à 1950. Rappelons en effet que les districts métropolitains n’apparaissent qu’en 1910 et seulement pour les très grandes villes. Pourtant, comme dans le cas de Boston, des grappes de municipalités apparaissent un peu partout sur le territoire des Etats-Unis, à partir des années 1870. Le phénomène s’intensifie dans les années 1910-1920, suggérant l’existence de réseaux de transports suburbains dans un rayon d’une quinzaine de kilomètres (Figure 11 pour la région de New-York, Figure 1 et Figure 15 pour les environs de Boston).

Figure 11 : Grappes de municipalités dans le New Jersey en 1920 (Bretagnolle, Giraud 2007, non publié)

En tenant compte de la stabilité du budget-temps, nous avons pu proposer nos propres critères d’agrégation de municipalités, à partir d’une délimitation temporelle des agglomérations. En réunissant dans une même entité les municipalités situées à moins d’une heure de temps (aller et retour) d’une municipalité plus grande et/ou plus ancienne, nous avons obtenu des approximations certes moins précises que les constructions fondées sur des critères de continuité du bâti, mais plus appropriées que si l’on avait considéré les seules municipalités centrales sans leur banlieue. Nous décrirons plus en détail ces constructions dans la partie suivante.

La prise en compte du budget-temps d’une heure permet aussi de proposer des règles simples pour choisir les dates des changements de définition en fonction de la taille des villes. Ainsi, la superposition des agglomérations (urbanized areas) et des aires métropolitaines (SMA) définies en 1950 par le Census Bureau montre que le budget-temps d’une heure coïncide mieux avec l’emprise spatiale des aires qu’avec celle des agglomérations (voir pour Boston la figure 10, présentée plus haut). Cette harmonisation temporelle des définitions s’avère particulièrement importante pour les grandes villes.

b Harmonisation longitudinale

L’harmonisation longitudinale vise à construire des trajectoires de villes permettant la

comparaison des populations au cours du temps, pour une même ville ou pour un ensemble

délimitations qui finissent par devenir obsolètes dans la longue durée, notamment pour les plus grandes villes. Ces biais ont pu être mesurés pour la ville de Valence, étudiée dans notre thèse. En superposant sur un même graphique l’évolution de cette ville perçue comme une commune-centre, puis comme une unité urbaine et enfin comme un « territoire de fréquentation quotidienne » comprenant les 12 unités urbaines comprises dans un rayon d’une demi-heure à partir du centre-ville, on observe un déclin de la première, une stagnation de la deuxième et une croissance plus affirmée de la troisième (Figure 12). Ces observations ont été généralisées à l’échelle de l’ensemble des villes françaises par Marianne Guérois et Fabien Paulus (Guérois et Paulus 2002, Paulus 2004).

Figure 12 : La croissance de Valence, selon différentes définitions de la ville (1890-1990) (Bretagnolle 1999, p. 225)

TFQ : Territoire de fréquentation quotidienne. Il regroupe l’ensemble des communes situées à moins d’une demi-heure du centre-ville de Valence, à chaque époque considérée.

Pour des villes plus petites, l’utilisation d’une définition fonctionnelle ne s’impose pas forcément pour la deuxième moitié du 20ème siècle. Les réseaux d’autoroutes suburbaines ou les lignes ferroviaires rapides qui permettent le développement d’un habitat diffus au-delà du périmètre de l’agglomération caractérisent uniquement les très grandes villes (voir Figure 6 pour les agglomérations actuelles de 1 à 3 millions d’habitants). Les aires urbaines les plus petites, en France (8 000 à 20 000 habitants au recensement de 1990, INSEE 1990), ont des périmètres souvent proches de ceux définis par l’approche morphologique. Ceci explique qu’en réunissant dans une même base de données ces deux types d’objets, unités et aires urbaines, nous n’ayons pas décelé de rupture particulière dans la distribution des tailles des villes (Bretagnolle, Paulus, Pumain 2002). Nous avons pu faire la même observation pour les Etats-Unis (Bretagnolle, Giraud, Mathian 2008).

L’harmonisation longitudinale conduit donc à considérer différents états possibles pour une même ville au cours du temps (Figure 13). Par exemple, pour les 22 dates prises en compte

pour la base de données harmonisée des Etats-Unis (soit tous les recensements compris entre 1790 et 2000), plusieurs types de trajectoires sont proposés :

- Les grandes villes (celles définies au recensement de 2000 comme des Metropolitan

Areas, c’est à dire dépassant 50 000 habitants) sont définies d’abord dans le périmètre de leur

municipalité centrale, puis entre 1870 et 1940 par l’agrégation de plusieurs municipalités, et enfin à partir de 1950 ou dans les décennies suivantes comme des aires fonctionnelles métropolitaines.

- Les villes de taille moyenne (celles définies au recensement de 2000 comme des

Micropolitan Areas, c’est à dire comprises entre 10 000 et 50 000 habitants) sont d’abord

considérées comme des municipalités ou des agrégats de municipalités puis comme des aires micropolitaines dès 1950 ou dans les décennies suivantes.

- Certaines villes plus petites passent du statut de municipalité à celui d’agglomération

fonctionnelle, quand celle-ci est repérée par le critère de distance-temps d’une heure.

- D’autres villes de petite taille restent tout au long de ces deux siècles de simples

municipalités.

Figure 13 : Différentes trajectoires possible pour la ville harmonisée aux Etats-Unis (Bretagnolle, Giraud, Mathian 2008)

Cette figure décrit, en ligne, les quatre types d’objets villes présents dans la base (municipalité isolée, agglomération fonctionnelle, aire fonctionnelle micropolitaine et aire fonctionnelle métropolitaine). Au cours du temps, une même ville peut passer de l’un de ces quatre états à un autre (flèches pointillées verticales) ou garder une définition identique (flèche pleine horizontale).

c Harmonisation transversale

L’harmonisation transversale consiste à envisager, à une même date, les définitions les plus

de l’Europe, des Etats-Unis, de l’Inde et de l’Afrique du sud, nous avons envisagé l’hypothèse que des définitions identiques n’assurent pas forcément une bonne comparabilité des résultats, car elles ne tiennent pas compte des contextes d’urbanisation (Bretagnolle, Pumain, Vacchiani-Marcuzzo 2007). Ainsi, si les agglomérations morphologiques de plus de 10 000 habitants définies officiellement en 1900 dans certains pays d’Europe nous semblent cohérentes, l’approche ne peut être identique dans un pays comme l’Afrique du sud à cette même époque. Là, les villes apparaissent plutôt, du fait de leur histoire, comme des agglomérations fonctionnelles de plus de 5000 habitants incluant la ville blanche et les townships non-blancs, liés économiquement à la ville par les mobilités domicile-emploi (Vacchiani-Marcuzzo, 2005). De même, en 1950-1960, les grandes villes des Etats-Unis peuvent déjà être appréhendées en tant qu’aires fonctionnelles métropolitaines, alors qu’en Europe ce n’est pas le cas, en raison du décalage dans la diffusion de l’automobile et des réseaux autoroutiers. La comparaison réunit donc, au même moment, des aires fonctionnelles américaines, des agglomérations morphologiques européennes et des agglomérations fonctionnelles de plus petite taille en Afrique du sud (Figure 14).

Figure 14 : La trame urbaine en Europe, Inde, Etats-Unis et Afrique du sud autour de 1950