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dans un projet de gestion de ressources naturelles

Dans le document en Afrique (Page 153-171)

Joseph BAYA1

Introduction

Aperçu généraldu parc Mont-Sangbé et du projet du même nom

Le parc Mont-Sangbé a été créé par l'État ivoirien grâce à un décret du 19 février 1976. Couvrant une superficie de 95000 hectares,ilse situe à cheval entre les départements de Biankouma et de Touba. Cette zone de transition de forêt et de savane tire son nom du mont Sangbé, qui y culmine à 1072 m d'altitude. Avant la crise ivoirienne, le parc abritait soixante et onze espèces d'animaux recensées, notamment des éléphants, bubales, hippotragues, cobes de Buffon et cobes defassa, phacochères, buffles, hippopotames, guibs harnachés, cynocéphales, céphalophes.

Le projet éponyme est issu d'un jumelage du parc Mont-Sangbé et du parc naturel régional du Haut-Jura, dans une perspective de coopération décentralisée entre la région semi-montagneuse de l'ouest de la Côte d'Ivoire et la région de Franche-Comté en France. Les fonds qui étaient alloués à ce projet provenaient de la Commission des communautés européennes (CCE) (Actions en faveur des forêts tropicales), du ministère français de la Coopération, et de la République de Côte d'Ivoire (AFVP/GTV-Ouest, 1997). Leprojet a été engagé de manière effective en 1995 par l'Association française des volontaires du progrès (AFVP) qui opérait comme maître d'œuvre délégué relativement à deux volets: d'une part, l'aménagement du parc afin d'en faire un lieu de tourisme et de recherches scientifiques, et d'autre part, le développement d'une zone 1. Joseph Baya est chercheur du projetLAGSUS(Man, Côte d'Ivoire). Ce projet de recherche transdisciplinaire, dont le thème est«Language, Gender, and Sustainability» (Langue, genre et développement durable), est parrainé par la fondation Volkswagen (Hanovre, Allemagne).

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périphérique de 200 000 hectares, comprenant 137 villages. TI s'agissait surtout, dans ce dernier volet, d'« amener les populations riveraines à intégrer dans leurs dynamiques de déveloPPement, les contraintes et potentialités liées à l'existence du parc Mont-Sangbé» (AFVP/GTV-Ouest,

1997). Comme le mentionne le rapport semestriel (AFVP, 1997),

[l']accent [était] mis sur une plus grande responsabilisation des popu-lations sur leurs plans et outils de développement (formation citoyenne et appui à l'émergence de sociétés civiles)etsur une professionnalisation du dispositif d'intervention (identification du métier de développement local et formation de nationaux)~~.

L'intervention de l'AFVP portait avant tout sur l'appui à l'émergence d'une conscience communautaire des enjeux de la protection du parc Mont-Sangbé au sein des populations riveraines susceptibles d'être associées, à terme, aux efforts de protection du parc et des réseaux d'espaces périphériques de haute valeur écologique. Elle prenait surtout en compte, comme facteurs essentiels, le développement économique de la zone périphérique, d'une part dans le sens d'un appui aux activités économiques dans une perspective de conservation et de restauration du potentiel de production, et d'autre part dans le sens d'une amélioration des conditions de vie des populations.

Pour atteindre ces objectifs, le projet employait des agents appelés

«animateurs-conseillers », dont certains avaient l'avantage d'être natifs et locuteurs de la langue des populations cibles. Ce fut notamment le cas dans les zones peuplées de Toura. Dans l'ensemble, les animateurs-conseillers étaient essentiellement chargés d'aider à la transmission du message de développement et de protectionduparc.

Le projet était parvenu, avant la guerre civile, à organiser les popu-lations en Comités de développement intervillageois (CODIV). L'autono-mie de ces comités était confirmée au sein d'une fédération au sommet, appelée Fédération desCODNouFEDECO,qui fut créée le 7 avril 2000 à Man. Elle était supposée, à terme, être représentative auprès des autorités administratives, des bailleurs de fonds et des ministères.

Mais ce processus de développement est interrompu depuis le 19 septembre 2002, date du déclenchement de la crise ivoirienne. Le parc Mont-Sangbé est ainsi, jusqu'à ce jour, un lieu ouvert à un intense braconnage. Son administration n'existe plus et les structures villageoises qui avaient été mises sur pied afin de la relayer ont aussi cessé leurs activités.

Buts de la rechercheduprojetUGSUS

Ce contexte de rupture offre toutefois un champ de recherche particulièrement intéressant, que le projetLAGSUSs'est résolu à exploiter.

En effet, le projet s'est proposé d'orienter une partie de ses recherches sur le thème du développement en situation de crise, thème novateur, qui va à l'encontre de la réflexion communément admise selon laquelle il ne saurait y avoir de développement dans un contexte de crise. Nous con-venons, avec Silué (2000, p. 8) que le développement est «l'ensemble des actions entreprises dans une communauté en vue d'améliorer les conditions de vie individuelles et collectives2». De ce point de vue, l'homme en situation de crise doit impérativement améliorer ses conditions de vie, et ce, avec autant plus d'acuité qu'il survit aux épreuves.

La crise ivoirienne a la particularité d'être une crise qu'on a pu qualifier de«ni guerre ni paix».Ce qui revient à dire que les populations ont, dans une certaine mesure, la liberté de vaquer à leurs occupations.

Par exemple, les activités agricoles se poursuivent dans la zone contrôlée par la rébellion, et les organismes étrangers y circulent librement. Ainsi donc, dans l'approche qui est celle du projet LAGSUS, qui consiste à mettre en lumière le rôle primordial de la langue locale envisagée comme outil indispensable du développement durable, le thème du dévelop-pement en situation de crise conduitàétudier les moyens d'expression locale des idées, des orientations ou des actions de développement qui permettent aux populations de se doter du minimum pour survivre.

Le rapprochement interdisciplinaire des activités du projetLAGSUS et le processus de développement mis en œuvre pour l'aménagement du parc Mont-Sangbé et du développement de ses zones périphériques s'inscrivent donc dans la logique de cette démarche. Celle-ci trouve sa justification dans de ce que Bearth (2000) appelle la«durabilité commu-nicationnelle ». Nous la résumons comme étant ce qui reste dans l'esprit des gens, du message relatifàla protection du parc Mont-Sangbé dans ce contexte de crise, et la façon dont ils l'expriment dans le discours.

Les recherches du projet LAGSUS visant àvérifier cette hypothèse se font dans la région de Gouané. C'est une zone située à 45 km de Biankouma, très proche du parc Mont-Sangbé, et dont certains villages frôlent la limite. On y parle la langue tura. Les recherches actuellt:s y montrent l'existence d'une durabilité communicationnelle établie grâce aux activités de sensibilisation en tura sur l'enjeu du parc. Cette dura-2. Letexte original dit ceci:the body ofactions undertaken in a community with

a view to improve individuaJ and collective living conditions.

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bilité communicationnelle s'exprime à travers des tennes qui pennettent de retracer le processus de la conceptualisation du message et de l'appro-priation du parc par la population locale. Elle est l'aboutissement de différentes phases contiguës de réactions locales au message innovateur du projet Mont-Sangbé.

Dans les lignes qui suivent, nous nous proposons d'étudier les trois étapes principales du déroulement du projet. Au départ, l'introduction du message du projet Mont-Sangbé fut perçu comme une menace face aux habitudes locales. Dans un deuxième temps, la population se sentit positi-vement concernée, grâce à l'usage de la langue locale dans la commu-nication sur l'enjeu du parc. En dernier lieu, la crise étant là, nous constaterons la pertinence du message innovant délivré par le projet, au moment même où l'on serait tenté de croireàla disparition totale du parc.

Antagonisme entre l'enjeu du parc et la vision locale du monde

Les réactions locales relatives au message novateur du projet ne se firent pas attendre. Elles se manifestèrent dès la période de sa présen-tation et de son implanprésen-tation dans ses zones cibles. Cette période s'inscrit dans la logique de ce qu'il convient d'appeler le choc des cultures ou des visions du monde. Elle est marquée par une attitude de réticence en face du fait innovant, attitude déjà décrite par Holas (1962, p. 27) comme étant typique des Toura; elle consiste à manifester sa méfiance par rapport aux influences externes. Cette réaction contre l'innovation s'explique aisé-ment: on craint de voir ses habitudes contrariées ou même entièrement remises en cause, notamment dans le domaine de l'ordre social où l'on redoute de voir la femme remontée contre sonmari ou les jeunes contre les anciens.

Ceci ne veut pas dire pour autant que les gens restent continuellement ou définitivement insensibles au changement. En réalité, lorsque l'on comprend que telle innovation sera facteur de changement des conditions de vie, on a une première réaction de refus, par peur de voir ses privilèges remis en cause. On préférerait que l'innovation ne perturbe pas les habitudes. Un exemple qui illustre ce phénomène est le conflit provoqué par l'introduction de la culture du caféier à Gouané (Baya, 2004, p. 17).

Du fait que cette culture était réputée comme une importante source d'enrichissement fmancier, elle fut Pendant longtemps interdite aux jeunes de la localité, sous prétexte que les gains qu'ils en tireraient les amèneraient à ne plus respecter leurs parents. Ceux-ci redoutaient que leur autonomie fmancière ne les pousse à bafouer leur autorité. Toutefois, cette opposition de principe s'est estompée avec le temps, grâce à des

discussions internes et grâce au contact avec le monde extérieur, princi-palement avec d'autres villages toura pom lesquels l'introduction de la culture du caféier n'était pas conçue en tennes de conflit opposant les jeunes aux parents, mais au contraire, comme un factem pennettant aux deux générations de prospérer, sans remettre en cause les prérogatives des uns et des autres. TIresteque les innovations ne sont généralement pas bien accueillies en milieu toura, notamment lorsque le foncier est en jeu; le chocdescultures ou des visions du monde apparaît alors plus nettement.

Au départ, le message écologiste diffusé autom du parc Mont-Sangbé s'est heurté à nombre d'obstacles locaux. Le projet, en effet, semblait mettre en cause les intérêts des populations locales, comme l'accès àla terre, les plantations de caféiers ou de kolatiers, et de façon générale, le cadre de vie. L'idée de faire du parc un haut lieu tomistique et un endroit ouvertàla recherche scientifique allait à l'encontre des intérêts vitaux des villageois et de lem perception des choses.Leprojet avait certes d'excel-lentes intentions, mais elles n'avaient pas lem place dansle cadre de la pensée loc3J.e. Ce qui fait qu'on n'en voyaitnila portéenil'utilité.

La raison principale en est que, chez les Toura comme probablement dansbien d'autres cultures, la terre a une importance fondamentale. Elle est d'abord, pom résumer Holas (1962, p. Il), un héritage des ancêtres.

Elle est aussi le lieu où ils reposent. La notion d'environnement, dans l'esprit du Toura, dépasse donc le côté pmement naturel pom prendre un aspect mystique ou religieux. Comme le montre Baya (2004, p. 14), il existe entre le Toura et son environnement une relation d'interdépen-dance qui l'oblige à prendre en compte toutes les composantes de la natme qui l'entome. C'est elle qui l'a vu naître et qui est sa mère nourri-cière, pourvoyant à son repas quotidien.

Nous présumons donc que le manque d'attention sérieuse portée à ces valeurs locales de l'environnement dans la discussion du projet Mont-Sangbé avec la population, a considérablement nui à la compréhension effective de son enjeu. C'est d'ailleurs sans doute pomquoi le projet fut perçu au départ, et même longtemps après, comme la réalisation d'une volonté tyrannique du Blanc et de l'administration ivoirienne. Ainsi, par exemple, quand il s'est agi de trouver un nom au regroupement des villages déplacés hors du parc, les populations concernées sont convenues de l'appeler «Kokéalo», ce qui signifie: «Qu'allons-nous faire? », c'est-à-dire:«Que peut-on face à la volontéduBlanc?» Autrement dit:

«nous n'avons qu'à nous soumettre3».

3. Références de l'interview: Tou-D-139JB2007.

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Le discours local,dansce même ordre d'idée delasownission à la force contraignante de l'administration, considérait leparc comme lapropriété exclusive des Blancs. Les expressions utilisées pour en parler au quotidien étaient alors «le lieu des Blancs» ou«lachose des Blancs».Àl'analyse, on voit que ces termes sontà la fois l'expression d'une exclusion et d'un rejet. La population se sentait exclue du projet; elle n'était concernéenide près ni de loin par tout ce qui se rapportait au parc. Elle se proclamait étrangère à l'initiative de la conception et du lancement du projet, qui passait pour une œuvre dont les Blancs avaient l'entière responsabilité,du fait de leur puissance et de leurs relations privilégiées avec l'administration.

Elle rejetait également entièrement le projet, par un refus tacite et passif de se voir dépossédée de la terre affectée au site du parc. La nette impression de s'être fait imposer de l'extérieur l'initiative du parc aggravait les sentiments d'exclusion et de rejet.

Onpeut dire que, si le projet avait établi une bonne communication avec les populations, ces désignations extrêmement négatives du parc n'auraient pas eu cours. Il aurait fallu tenir compte des réalités locales et y adapter sa démarche pour assurer l'adhésion des gens. Ce manque de communication explique pourquoi le volet de développement écono-mique qui devait toucher un rayon de 30 km autour du parc, a eu tellement de mal à décoller, surtout en milieu toura. Ce volet prévoyait que les populations lancent des micro-projets dont le fmancement seraità la charge du projet Mont-Sangbé. Mais comme il n'y avait pas de communication efficace avec les populations locales, elles ne purent comprendre la nature et la portée du message qu'on leur proposait; il s'était créé dans leur esprit deux grands blocages, qui s'apparententà ce que Bachelard (1993, p. 14) appelait des « obstacles épistémologiques ».

Dans un premier temps, les gens firent l'amalgame entre le finan-cement des micro-projets et l'exploitation minière du mont Sangbé. La montagne, en effet, est réputée contenir de l'or et l'on avait déjà annoncé sa prochaine mise en exploitation. Pour la population, donc, on assistait au lancement de ce programme d'exploitation du métal précieux. La rumeur courait que les Blancs, pour mener à bien leur entreprise, se seraient entendus avec le génie des lieux afin que quiconque entre-prendrait un micro-projet financé par le projet Mont-Sangbé, deviendrait sa proie; d'autre part, la somme miseà disposition pour lancer le micro-projet était présentée comme étant le salaire de son responsable.

L'acceptation d'un financement pour créer une micro-entreprise ferait donc ipso facto de son auteur la victime toute désignée du génie. De toute évidence, face à un tel risque, personne ne pouvait envisager de se lancer dans un micro-projet. De ce fait, la promesse faite par le projet de

concouriràl'amélioration des conditions de vie locales était vidé de sa substance.

Le projet Mont-Sangbé encourageait, par ailleurs, l'arrêt d'une exploitation agressive du parc en échange d'un financement de micro-projets, allant de 50 à 100 %. Le lancement d'une micro-entreprise était donc partiellement pris en charge, ou même entièrement gratuit; mais, ce financement non remboursable était traité localement sous le vocable de

«

crédit ». Partant, il suscitait beaucoup de conjectures dans l'esprit des gens. Voici, en effet, ce qui se disait:«Le Blanc ne fait jamais rien pour rien. Il attend toujours quelque chose en retour4». En outre, du fait que c'est le tenne de «crédit» qui était employé pour«financement », cela impliquait des échéances de remboursement. Quel sort, s'inquiétait-on, serait réservé à celui qui se trouverait dans l'impossibilité de rembourser sa dette? Ce serait sans doute la prison, car le Blanc est sans pitié et sa décision irréversible. Conclusion: mieux valait renoncer à l'argent du Blanc plutôt que de risquer de s'attirer des ennuis.

La possibilité même du projet était remise en cause compte tenu de tous ces paramètres. L'exPert ou l'animateur-conseiller chargé de coordonner les activités au niveau local était assimilé au Blanc, malgré qu'il mt natif de la région et locuteur de la langue. Dans le discours local, on l'appelait«le Blanc noir». Il n'était donc rien d'autre que le représentant du Blanc.

L'opinion locale n'établissait aucune différence entre lui et l'administration du parc. Pour elle, il n'était qu'un avatar des agents des Eaux et Forêts, connus pour leur répression féroce, un complice chargé de la mise en pratique des ordres et des programmes de l'administration du parc.

Ainsi, la bonne marche du projet fut-elle un moment entravée sur la base de ces considérations. Mais la situation se décantera progressi-vement grâce à la mise en œuvre de programmes de sensibilisation qui susciteront des réactions favorables au message innovateur du projet Mont-Sangbé.

Le rôle de la langue locale dans la diffusion du message du Mont-Sangbé

L'importance de la langue locale dans les activités de sauvegarde du parc Mont-Sangbé apparaît au cours des deux étapes suivantes, àsavoir celle de l'adoption du message de protection du parc et celle de son maintien dans l'esprit des gens dans un contexte de crise.

4. Références de l'interview: Tou-o-109JB,2005.

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L'adoptionduprojet Mont-Sangbé par la population locale

La période de l'adoption du projet Mont-Sangbé - qui fait suiteàune première phase de rejet - marque l'étape d'un changement de la pensée locale àson égard. Avec elle commence le processus d'adhésion de la populationàla causeduprojet. En réalité, la prise en compte de la langue locale comme moyen de communication du message de sauvegarde du parc en est la source fondamentale. Mais comment en est-on arrivéà ce progrès et quels furent, dans le discours local, les moyens d'expression de ce changement?

Le succès de l'introduction du turadans la diffusion du message du projet Mont-Sangbé provient d'abord du fait de son usage pratique et directdansles programmes d'innovation. En effet, communiquer entura revenait àprendre en compte un code linguistique local approprié. Cela eut pour première conséquence la satisfaction morale de la population cible, qui avait longtemps été contrainte par le passé, de recevoir les messages des programmes de développement soit en français soit en yakubasoit encoreenjula, ce qui impliquait nécessairement la présence d'un interprète dans la chaîne de transmission de l'infonnation. L'usage du tura leur pennettait donc de ne plus avoir l'impression d'être exclus des débats. Leturaétait aussi l'élément catalyseur qui leur pennettait de . prendre conscience des avantages qu'il y a àrecevoir l'infonnation dans sa propre langue. À ce propos, les gens exprimaient leur satisfaction en disant: «C'est notre langue à nous». Les bases d'une bonne commu-nication étaient alors posées, puisqu'il n'y avait plus d'écran entre l'émetteur du message et eux-mêmes.

Un autre aspect déterminant généré par l'usage pratique et direct du turaa été la constitution de la ressource humaine locale comme support du système de communication dans la diffusion du message de sauve-garde du parc. Rappelons, pour illustrer cet aspect, que dans la structuration du dispositif de gestion de l'infonnation au niveau local, il y avait le CODW (Comité de développement intervillageois) épaulé par l'animateur-conseiller. Le CODW est une structure au sein de laquelle chacun des quatorze villages de la zone de Gouané est représenté par quatre personnes, les deux premières jouant le rôle de délégués et les deux autres, celui de surveillants du parc. Aux délégués incombe la charge de la gestion de toutes les activités de développement de leur zone. Les surveillants du parc, quantàeux, constituent une structure sous la direction des délégués. En temps normal, ils sont chargés de leur dénoncer toute agression ou toute tentative d'agression du parc.

L'animateur-conseiller, lui, est chargé d'appuyer les activités du

CODW et les initiatives de développement en cours dans sa zone. Il cumule les statuts d'expert et de locuteur natif de la langue locale.

Ces détails nous pennettent de comprendre le chemin qu'empruntait le message pour parvenirà la population. La direction du projet confiait une infonnation à l'animateur-conseiller, qui la passait au CODW, qui à son tour la transmettait aux populations. Entre l'administration du projet et l'animateur-conseiller, le code linguistique utilisé était le français. Mais de l'animateur-conseiller aux populations locales en passant par leCODIV,

seule la langue tura était employée. Ce processus permettait à l'infor-mation de cheminer de façon efficace jusqu'auprès des populations. En effet, au passage, l'animateur-conseiller, imprégné des réalités locales, pouvait l'adapter au milieu culturel pour ensuite la transmettre aux membres du CODIV. Par la suite, en tant que fils et représentants de leurs localités, ces derniers en indigénisaient le contenu pour mieux le communiqueràleurs parents.

Le CODIV et l'animateur-conseiller, en utilisant le tura comme code linguistique unique, et moyennant une adaptation linguistique et cultu-relle du message lors du passage du français autura, avaient constitué un appareil efficace pour faciliter la compréhension des concepts de déve-loppement et expliquer l'intérêt de la sauvegarde de l'environnement.

> C'est surtout dans le processus d'adaptation du message innovant aux réalités locales que la langue tura a montré concrètement son intérêt comme facteur de développementdansle projet Mont-Sangbé.

Un certain nombre d'actions en faveur de la mise en œuvre du projet furent alors conçues. Notamment des tournées de sensibilisation dans chaque village et des séances de fonnation des membres du CODW, en langue tura, sur des thèmes tels que la cohésion du groupe. Ces rencontres offraient l'occasion d'élucider de façon pratique et directe, nombre de préoccupations complexes en relation avec le parc et l'initiative des micro-projets. Elles mettaientà contribution la languetura qui, par ce fait, entrait dans son véritable rôle d'outil de développement. Il s'était opéré au sein duCODWune réelle compréhension de l'enjeu de la protection de l'environnement, si bien que la question de sa gestion rationnelle constituait un ordre du jour récurrent au cours des séances de sensibilisation. Des dispositions de prévention des feux de brousse furent prises, par exemple, ainsi que la décision d'infliger des amendes à toute personne reconnue responsable d'un feu, puis l'annonce en fut diffusée aux populations.

Le CODIV était parvenu à une prise de conscience manifeste de l'ensemble des atouts de développement de sa zone. Il encourageait donc

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