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D’une qualité négociée à une négociation de qualité

Avec la raréfaction des finances publiques, le domaine de l’urbanisme et plus précisément la production de la ville doit faire face à une mutation profonde. A l’instar de nombreux secteurs comme la santé ou la recherche, la collaboration entre acteurs publics et privés est ainsi devenue essentielle et incontournable.

Les nouvelles formes de coopération impliquent également l’entrée de nouveaux acteurs autour de la table : les associations, les start-ups, les collectifs d’habitants ou d’usagers, dans une logique de transparence, d’échanges permanents, et de faire ensemble. La question de la gouvernance est également posée par ces nouveaux acteurs comme une remise à plat des modes de travail, de pensée et de financements des projets.

Cette multiplicité des acteurs oblige chacun d’eux à accroître sa capacité à dialoguer avec les autres, à écouter et se faire entendre.

Eu égard à leur capacité d’écoute et de dialogue avec les différentes disciplines, les urbanistes peuvent ainsi agir comme des liens entre les acteurs de la co-construction de la ville.

Comme devant tout nouveau modèle de production, la question qui se pose est de savoir quelle est le niveau de qualité attendu et comment l’atteindre. Dans le cas de la production urbaine, la qualité doit être la résultante d’une démarche de projet efficace et d’une relation contractuelle équilibrée entre les acteurs, une « qualité négociée » en quelque sorte.

Dans le cas de l’îlot XXL, on peut dire que la qualité de la démarche de projet, s’agissant d’une première en la matière, est assez réussie, la relation entre les acteurs pouvant être tendue mais constructive.

En revanche, la notion de qualité produite est assez subjective puisqu’elle ne pourra réellement être appréciée que lorsque des usagers prendront possession des logements, des bureaux, des espaces publics… et que le quartier vivra véritablement par lui-même. Néanmoins, à travers les points sur lesquels a porté la négociation, on peut d’ores et déjà entrapercevoir que la préservation farouche de leurs intérêts pousse les partenaires vers une réalisation de qualité. Car l’atteinte des objectifs fixés, aussi ambitieux soient-ils, est l’enjeu même de l’opération pour les acteurs en présence. La question est plutôt dans la définition de ces objectifs. Or, dans le cas du projet XXL, cette définition était à la base du partenariat.

Par conséquent, toute la difficulté réside dans l’équilibre des forces qui, s’il est réussi, pourrait réellement être gage d’un projet de qualité.

Cette démonstration s’est attachée à décrire le dialogue entre les acteurs publics (l’État et les collectivités locales) et privés (ensembliers urbains, promoteurs, développeurs immobiliers…), mais cet équilibre ne peut être atteint sans que soit également présente autour de la table la société civile et ses représentants (habitants et usagers, réunis en associations ou collectifs).

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Cette composante fait pourtant partie des objectifs annoncés dans la convention : un travail de concertation globale à l’échelle du périmètre de l’extension Euromed 2, permettant de créer une appropriation du projet par l’ensemble des parties prenantes, doit être mis en place. Malheureusement, j’ai constaté que ce point ne fait pas partie des premiers sujets traités et qu’il pose un problème à l’EPAEM pour être mis en place.

Pourtant, dans ce cas seulement, l’intérêt d’une négociation pour co-construire la ville serait la poursuite d’un objectif commun : transformer la ville pour produire de la valeur, des activités et un cadre de vie dans un contexte concurrentiel, mais égalitaire.

Nous avons vu que les sujets qui opposent l’aménageur public à son partenaire privé sur le projet de l’ilot XXL concernent autant un aspect formel urbain (tracés, gabarits, programmation), que des sujets plus opérationnels de méthode et d’organisation, le tout pour se donner les moyens de mener à bien l’opération, ensemble. Si l’on sait que les opérateurs privés ont les moyens financiers et les ressources pour le faire, ce n’est plus le cas des collectivités.

Le véritable problème réside, semble-t-il, dans l’ouverture de la négociation, car à bien y réfléchir, par rapport aux rôles initiaux d’aménageur et de prestataire, c’est plutôt le premier qui recule face au second. Les opérateurs privés tendent plutôt à dépasser leurs prérogatives pour proposer toujours plus de solutions intégrées, quand les acteurs publics délaissent peu à peu leur responsabilités, faute de moyens et de ressources suffisantes. Les promoteurs ont appris le métier d’aménageur public, mais les aménageurs publics ne sont pas encore entrés dans la logique des promoteurs et leurs contraintes économiques. J’ai toujours pensé que l’intérêt général ne devait pas s’embarrasser de contraintes économiques draconiennes, nécessitant que toutes les ressources soient mobilisées pour le servir. Mais si ces ressources viennent à manquer, qui pourra garantir qu’il sera respecté ? Eu égard aux enjeux grandissants de l’afflux de population dans les villes, et à la nécessaire adaptation au changement climatique, la négociation est plus que jamais primordiale dans la fabrication de la ville de demain, entre les acteurs qui seront en capacité de la concevoir, de la produire, la financer, l’exploiter, la gérer, ou l’administrer.

Il est indispensable d’apprendre à travailler ensemble, différemment. La conception d’écosystèmes urbains nécessite la réunion d’une multitude de partenaires pour traiter des sujets tels que l’énergie, la mobilité, la culture, la mixité des usages, l’environnement… Les opérateurs privés ont pris une longueur d’avance, car ils ont d’ores et déjà intégré que le partenariat est désormais indispensable, y compris entre entreprises privées, afin de développer des solutions intégrées, dans le domaine de l’énergie par exemple.

C’est pourquoi la balle est aujourd’hui clairement dans le camp des acteurs publics qui doivent pouvoir modifier leur façon d’appréhender leur rôle face au secteur privé.

Pour initier une négociation de qualité, un portage politique fort sera toujours primordial pour poser les règles fondamentales de l’intérêt général et assurer ainsi la réussite d’opérations urbaines de l’envergure de l’ilot XXL.

En définitive, on peut dire que l’enjeu de la négociation entre les acteurs publics et privés dans la fabrique de la ville dépasse la seule question de la qualité urbaine. Elle constitue une opportunité pour les partenaires de faire évoluer leurs rôles respectifs et de dépasser les solutions apportées par chacun pour transformer les habitudes de conception standard et aller vers une négociation de qualité au service de la ville.

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