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En premier lieu, il faut souligner que la composition riche en cardiolipide de la membrane interne mitochondriale augmente l'imperméabilité de cette dernière aux protons [Chen et Li, 2001 ; Caprette, 2016]. La perméabilité des membranes lipidiques aux protons est, de manière générale, bien plus grande que celle aux autres ions (de l’ordre de pour les protons et de pour des ions potassium [Deamer et Akeson, 1994 ; Messerli et al., 2005]), et ce pour deux raisons : les protons sont petits et il semble qu’ils ne suivent pas le même mécanisme de traversée des membranes que les autres ions. La diffusion des ions à travers une membrane est décrite en trois étapes : passage de la phase aqueuse au feuillet qui y est exposé, passage dans l’autre feuillet, et enfin passage du second feuillet à la phase aqueuse de l’autre côté de la membrane. Cependant, un autre modèle est proposé pour le cas du proton, modèle dans lequel les protons sont transloqués le long d’une chaine transitoire de molécules d’eau à travers la membrane

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[Deamer et Akeson, 1994]. Les groupes phosphates du cardiolipide, cependant, captent des protons augmentant de facto l’imperméabilité de la membrane [Haines et Dencher, 2002].

Le cardiolipide est également connu pour être nécessaire à l'établissement et au maintien de la structure en crêtes dans des systèmes reconstitués mimant la membrane interne mitochondriale (fig. 16a) [Khalifat et al., 2008 ; Unsay et al., 2013]. Sur ces systèmes constitués de phospholipides (dont le cardiolipide), un gradient local de protons sur un des feuillets de la membrane protone les têtes lipidiques en surface, neutralisant ainsi leurs charges. La répulsion électrostatique entre tête polaire diminuant, l'aire par lipide sur le feuillet exposé au flux de protons diminue également. L'aire du feuillet exposé ne correspond alors plus à l'aire de l'autre feuillet, ce qui engendre une contrainte mécanique et induit une déformation. L’excès d’aire forme ainsi des repliements cylindriques, les crêtes mitochondriales. De multiples invaginations sphériques ou bien une plus grande invagination tubulaire sont énergétiquement favorables [Khalifat et al., 2008], mais le cardiolipide, de par sa structure chimique particulière orientée selon un plan, pourrait être à l'origine d'une stabilisation des structures cylindriques [Fournier et Galatola, 1998], telles les crêtes mitochondriales.

On sait également que l'ATP synthétase, sous forme de dimères, est nécessaire à l'établissement des crêtes mitochondriales (fig. 16b) [Giraud et al., 2002 ; Paumard et al., 2002 ; Davies et al., 2012] : des levures mutantes dont les ATP synthétases ne dimérisent pas présentent des membranes mitochondriales internes sans structure tubulaire et moins efficaces dans la production d’ATP. Les dimères d’ATP synthétases, ancrés dans la membrane, forment un cône tronqué et maintiennent localement la membrane en un arc rigide (fig. 15, A) [Allen et al., 1989 ; Allen, 1995]. Les ATP synthétases sont nombreuses et, pour la plupart (envinron 95%), situées dans les crêtes [Gilkerson et al., 2013], il en résulte donc que l'action mécanique locale d'un dimère engendre par l'ensemble des dimères une stabilisation des structures tubulaires (fig. 15, B et C).

Figure 15 : Courbure membranaire induite par les dimères d’ATP synthétases (en jaune). A) Dimère d’ATP synthétases imposant une courbure locale à une membrane. B) Courbure imposée

par 4 dimères. A) et B) sont des représentations obtenues par simulation « coarse-grained ». [Davies et al., 2012] C) Partie d’une tomographie d’une mitochondrie de foie de rat. Les dimères

Les dimères d'ATP synthétase sont donc favorables à la structure en crêtes des mitochondries et la réciproque est vraie également : la structure en crêtes optimise le fonctionnement de l'ATP synthétase (fig. 16b). En effet, les crêtes mitochondriales forment une nano-compartimentation qui pourrait éviter ou retarder la dissipation d'un gradient local de protons nécessaire à la production d'ATP [Frey et Mannella, 2000 ; Hahn et al., 2016]. Cette hypothèse est d'ailleurs appuyée par le fait que la densité de crêtes mitochondriales est plus élevée au sein de cellules demandant plus d'énergie (fig. 9) [Pollak et Sutton, 1980]. Par exemple on compte en moyenne trois fois plus de crêtes dans une mitochondrie de cellule cardiaque que dans celle d'une cellule hépatique.

La composition riche en cardiolipide de la membrane interne mitochondriale assure également la stabilité des complexes I, III , IV, du cytochrome c (fig. 16c) [Petereit et al., 2017 ; Robinson, 1982 ; Arnarez et al., 2013a ; Arnarez et al., 2013b; Eble et al., 1989]. Des zones particulières de la membrane, riches en cardiolipide, assurent une forte affinité avec ces complexes transmembranaires, lesquels adoptent dans ces zones une conformation optimale pour leur fonctionnement. D'autre part, comme pour l'ATP synthétase, la structure en crêtes participe à l'assemblage du supercomplexe de la chaine respiratoire (c'est-à-dire des complexes de la chaine respiratoire entre eux), et ainsi, à l'efficacité de cette dernière (fig. 16d) [Cogliati et al., 2013 ; Cogliati, 2016 ; Habersetzer et al., 2013].

Le cardiolipide établit des liens en deux sites différents avec le cytochrome c, une protéine de la chaine respiratoire assurant le transfert des électrons entre les complexes III et IV. L’un des sites de liaison facilite les interactions électrostatiques entre les charges négatives du cardiolipide et les charges positives du cytochrome c, l’autre implique des interactions entre les parties hydrophobes des deux espèces [Rytömaa et al., 1992]. Ces interactions réduisent le potentiel d’oxydo-réduction du cytochrome c, le protégeant ainsi d’une réduction par le complexe III ou par un ion superoxyde [Bayir et al., 2007].

En plus de son implication dans la production d’ATP, le cardiolipide intervient à plusieurs étapes du processus d’apoptose (fig. 16e). Notamment, l'une des premières étapes de l’apoptose : la libération du cytochrome c et d’autres facteurs pro-apoptotiques, dépend de l’oxydation du cardiolipide [Kagan et al., 2005]. En effet, l’affinité du cytochrome c pour le cardiolipide diminue d’autant plus que ce dernier est oxydé [Ott et al., 2001]. De plus, le cardiolipide est nécessaire à l’activation de plusieurs protéines intervenant durant l’apoptose telles la caspase-8 [Gonzalvez et al., 2008], ainsi que tBid, Bax et Bak

[Gonzalvez et al., 2005]. Le relargage du cytochrome c s’accompagne en outre de changement profond dans la structure de la membrane mitochondriale interne appelé remodelage des crêtes, et qui se caractérise par la fusion des crêtes [Wasilewski et Scorrano, 2009]. Durant l’apoptose, on observe également que la quantité de cardiolipides produite dans la mitochondrie diminue (fig. 16e) [Ostrander et al., 2001].

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Figure 16 : Récapitulatif des liens établis entre la composition riche en cardiolipide, la structure en crêtes et les fonctions de production d'énergie et de mort cellumaire au sein de la membrane interne mitochondriale. Les lettres a, b c, d et e se réfèrent ici au paragraphe précédent qui décrit

ces liens plus précisément.

Ces mécanismes montrent les liens étroits entre composition spécifique, structure et fonction de la membrane mitochondriale interne et font apparaitre, à de nombreuses reprises, l’importance de l’oxydation dans ces processus.

1.3 Oxydation du vivant

1.3.1 Initiateurs de l'oxydation