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D’Alembert, le savant philosophe

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S

i D’Alembert n’a été coéditeur de l’Encyclopédie qu’entre 1747 et 1758, laissant Diderot (et Jaucourt) terminer l’ouvrage, l’entreprise a cependant joué un rôle central dans sa vie et son œuvre, et sa présence a été essentielle aux premiers succès de l’ouvrage.

En effet, lorsque les libraires rompent leur engagement avec De Gua, à la mi-1747, D’Alembert et Diderot sont loin de leur être inconnus : certes, le second n’est encore admiré que dans un cercle restreint, mais

La main de Diderot écrivant (détail du portrait par Louis Michel Van Loo, Musée du Louvre).

Oser l’Encyclopédie

le premier a déjà son nom publié dans l’Almanach royal depuis 1742 (comme membre de l’Académie royale des sciences) et peut se prévaloir de la publication chez l’un des libraires associés, David, de deux impor-tants ouvrages physico-mathématiques, le Traité de dynamique et le Traité de l’équilibre et du mouvement des fluides. Bien que sans père ni fortune, D’Alembert est dès 1741 bien introduit dans le milieu académique et plus encore à partir de 1746 où d’un même mouvement, fortement soutenu par Maupertuis, il obtient le prix et le statut d’associé de l’Académie de Berlin. Il est alors également à son aise, voire choyé, dans les salons de Mme Geoffrin et Mme Du Deffand. D’Alembert offre donc dès le départ à l’entreprise ency-clopédique toutes les garanties de respectabilité et d’entregent académiques.

Lorsqu’il devient éditeur, son travail va aller bien au-delà, non seulement de sa première participation comme traducteur, mais aussi de la partie de mathématique et de physique pour laquelle il a été engagé : il va rédiger plus de 1 800 articles, certains entièrement neufs où il appose son empreinte de savant, des « Avertissements » qui participent à la polémique autour de l’ouvrage, et avant tout le fameux « Discours préliminaire des éditeurs » qui ouvre le premier volume par un panorama des savoirs humains, tout à la fois genèse et synthèse, un texte d’emblée célèbre qui le fait naître comme philosophe.

On trouve dans certains de ses articles de mathématiques pures, d’astro-nomie, d’optique, d’hydrodynamique, de mécanique, de physique (comme Allées de jardin, Courbe, Différentiel, Dynamique, Figure de la Terre, Fluide, Géométrie, Hydrodynamique, Lune, Méchanique, Précession des équinoxes, Statique), des informations et des synthèses que l’on chercherait en vain dans le reste de son œuvre, même si celle-ci entretient un rapport fécond avec ses articles pendant toute la période 1750-1758 (et même un peu plus largement, puisque D’Alembert, s’il n’est plus éditeur, continue à fournir de la matière jusqu’en 1762). Plus généralement, sa vision philosophique des sciences s’est exprimée au détour de multiples notions, et l’occasion ne lui manque pas de promouvoir une langue scienti-fique la plus claire possible, comme dans l’article Élémens des sciences : Les mots nouveaux, inutiles, bizarres, ou tirés de trop loin, sont presque aussi ridicules en matière de science qu’en matière de goût.

On ne saurait, comme nous l’avons déjà dit ailleurs, rendre la langue de chaque science trop simple et, pour ainsi dire, trop populaire ; non seule-ment c’est un moyen d’en faciliter l’étude, c’est ôter encore un prétexte de la décrier au peuple, qui s’imagine ou qui voudrait se persuader que la langue particulière d’une science en fait tout le mérite, que c’est une espèce de rempart inventé pour en défendre les approches : les ignorants ressemblent en cela à ces généraux malheureux ou malhabiles qui, ne pouvant forcer une place, se vengent en insultant les dehors.

Cet intérêt pour la langue, que manifestent aussi ses articles de synonymes et l’article Dictionnaire, va de pair avec son entrée à l’Académie française en 1754.

Il a également mis son ironie au service de la bataille contre l’autorité de la pensée scolastique et le poids de la superstition sur l’éducation, criti-quant les vaines discussions autour de l’existence des Antipodes, raillant la croyance, manipulée par les imposteurs, en l’Influx des astres, ou encore proposant des réformes des Collèges jésuites dont il savait fort bien qu’elles ne plairaient pas :

ce n’est point aux hommes que je fais la guerre, c’est aux abus, à des abus qui choquent et qui affligent comme moi la plupart même de ceux qui contribuent à les entretenir, parce qu’ils craignent de s’opposer au torrent. La matière dont je vais parler intéresse le gouvernement et la religion, et mérite bien qu’on en parle avec liberté, sans que cela puisse offenser personne.

Mais l’article qui, probablement, fut le plus reproduit est bien celui qu’il fit à l’instigation de Voltaire en 1757, l’article Genève qui, sous couvert de vanter les mœurs et la tolérance de ses pasteurs (pour mieux leur reprocher d’interdire le théâtre), en donnait une image si peu orthodoxe qu’elle scan-dalisa le clergé genevois et eut tout le contraire de l’effet escompté :

On peut dire encore, sans prétendre approuver d’ailleurs la religion de Genève, qu’il y a peu de pays où les théologiens et les ecclésiastiques soient plus ennemis de la superstition. Mais en récompense, comme l’intolérance et la superstition ne servent qu’à multiplier les incrédules, on se plaint moins à Genève qu’ailleurs des progrès de l’incrédulité, ce qui ne doit pas surprendre : la religion y est presque réduite à l’adoration d’un seul Dieu, du moins chez presque tout ce qui n’est pas peuple : le respect pour J.-C. et pour les Écritures sont peut-être la seule chose qui distingue d’un pur déisme le christianisme de Genève.

« Le regard vif, un sourire très fin, […] et je ne sais quoi d’impérieux… » dit Grimm de D’Alembert (pastel de Quentin De La Tour, Musée Antoine Lécuyer, Saint-Quentin).

Oser l’Encyclopédie

Lorsque les menaces contre l’Encyclopédie se concrétisent, D’Alembert n’a pas alors, comme Diderot, une famille à faire vivre, ni le même investissement intellectuel qui lui rendrait la tâche supportable. Il a publié à part, dès 1753, le

« Discours préliminaire » dans ses Mélanges et, au faîte de sa carrière scienti-fique, il peut se permettre de se fâcher avec les libraires, et même avec son ami Diderot, comme il peut se permettre de refuser les offres d’emploi de Frédéric II de Prusse et Catherine II de Russie. Ses articles dans les derniers volumes, publiés en 1765, n’ont plus la diversité, la verve ni l’ampleur des premiers.

III. Jaucourt, l’encyclopédiste

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