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Le développement de la fosse du Labrador : des communautés pour l’extraction

5. Fermont, au pays des géants

5.1. Le développement de la fosse du Labrador : des communautés pour l’extraction

La communauté de Fermont est située sur la fosse du Labrador, à la frontière entre le Québec et le Labrador. La fosse du Labrador est une large bande géologique formée il y a deux milliards d’années et constituée de pierres volcaniques et de roches sédimentaires. S’étendant sur près de 1 200 kilomètres et pouvant mesurer jusqu’à 100 kilomètres de large, la fosse du Labrador débute dans le réservoir de la Manicouagan, longe le Labrador et se prolonge jusqu’à

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la baie d’Ungava (Télé-Québec, 2017). Elle est reconnue notamment pour son minerai de fer, mais aussi pour le cuivre et le nickel.

Notre recherche s’intéresse aux communautés établies sur un immense gisement de fer qui se trouve à cheval sur la frontière entre la province de Québec et celle de Terre-Neuve-Labrador. Du côté de Terre-Neuve, elle regroupe les villes de Labrador City et de Wabush. De l’autre côté de la frontière, Fermont est à une vingtaine de kilomètres. Ces villes forment une agglomération urbaine nordique vivant de l’exploitation du minerai de fer et qui est particularisée par sa situation frontalière (Simard, 2017). Plus au Nord, la communauté de Schefferville n’est pas accessible par voie terrestre, mais partage la vocation minière des autres communautés de la fosse du Labrador.

Cette agglomération « Labrador City – Wabush – Fermont » comptait environ 22 000 personnes en 2016 (Statistique Canada, 2018). L’agglomération urbaine est située au nord du 52e parallèle, son climat subarctique est caractérisé par une végétation de type taïga, faisant le lien entre la toundra du nord et la forêt boréale plus au sud (Ministère de la Forêts Faune et Parcs Québec, 2003-2016). La forêt d’épinettes noires est clairsemée et la pousse des arbres est lente.

Les étés sont courts et les hivers rigoureux. Il y tombe beaucoup de neige 10 mois par année et en été, les bois sont envahis par les moustiques. Une faune nombreuse peuple le territoire et ses grandes étendues d’eau.

Si le territoire est habité depuis des siècles, voire des millénaires, par diverses nations autochtones, c’est vers 1836 que la Compagnie de la Baie d’Hudson y établit une série de postes de traite (Labrador Heritage Museum; Simard, 2017). À cette époque, le territoire est parcouru par de nombreux explorateurs. L’intérêt porté aux gisements de fer de la région remonte à la fin du XIXe siècle. Cependant, le territoire n’a été prospecté de façon systématique qu’à partir de 1936, alors que les besoins des États-Unis en fer et en acier s’accentuaient et que les réserves des gisements du lac Supérieur diminuaient en qualité et en quantité (Journaux & Taillefer, 1957).

Le premier établissement minier de la région fut Schefferville en 1954. Construit par la compagnie minière IOCC (Iron Ore Company of Canada), le minerai de fer partiellement traité

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était exporté directement vers ses filiales dans le nord-est des États-Unis (Bradbury, 1984). Une voie ferrée de 575 km fut construite au milieu des tourbières, permettant le transport du minerai du centre du Labrador au port de Sept-Îles, sur le Golfe du Saint-Laurent. À cette époque, la mine de Schefferville n’était en opération que six mois par année (Bradbury, 1984; Journaux &

Taillefer, 1957). Quelques années plus tard, IOCC annonce le projet du lac Carol et la ville de Labrador City est inaugurée en 1961. La Wabush Mining Company s’établit à Wabush en 1965.

C’est en 1960 que la compagnie minière Québec Cartier fonde la ville de Gagnon, pour y exploiter le site du lac Jeannine. La minière y construira également son propre chemin de fer sur plus de 300 km vers Port-Cartier. Du lac Jeannine, une partie du minerai de fer sera acheminé vers l’usine de boulettage et expédié par bateau du port de Port-Cartier, le long du fleuve Saint-Laurent, à travers les Grands Lacs, jusqu’au Midwest américain, où se trouvent les aciéries (Sheppard, 2007). Aujourd’hui, le chemin de fer Cartier transporte sur près de 420 km, le concentré de minerai de fer produit à Mont-Wright, près de Fermont (ArcelorMittal, 2017c).

Sept-Îles et Port-Cartier (anciennement Shelter Bay) ont directement bénéficié du développement minier de la fosse du Labrador et ont vu leur population croître rapidement entre 1950 et 1980 (Bradbury, 1984). Les chemins de fer du nord convergeant vers les ports de Sept-Îles (pour les minières de Schefferville et de Labrador City) et de Port-Cartier (Gagnon et ensuite de Fermont), des usines de boulettage du fer sont construites à la proximité des ports. L’usine de Sept-Îles fermera ses portes en 1981, cependant celle de Port-Cartier (Compagnie minière Québec Cartier, maintenant ArcelorMittal) est toujours en activité (Ville de Port-Cartier). La figure 2 illustre les limites géographiques de la fosse du Labrador, les différents sites miniers actifs en 2016 ainsi que les chemins de fer toujours en opération sur le territoire.

La croissance globale impressionnante de la production et de l’exportation du minerai de fer de la fosse du Labrador entre 1950 et 1983 a réussi à masquer jusqu’à un certain point les fluctuations de l’économie mondiale de cette époque. La production totale de fer dans la région est passée de 7 à 59 millions de tonnes en 1980. Cela représentait environ 77 % de la production canadienne en 1980 (Bradbury, 1984). Cependant, les bouleversements économiques mondiaux ont rattrapé immanquablement la région et l’ont exposé à une restructuration et à des fermetures

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massives au cours de la fin des années 1970 et le début des années 1980. Cette période a été marquée notamment par la fermeture de la ville de Schefferville en janvier 1983 (Bradbury, 1984).

Figure 2 - Mines de fer au Québec et au Labrador en 2016

Infographie Le Soleil, (Lévesque, 2016)

Aujourd’hui, le nom des compagnies minières peut changer, mais ces sites miniers sont encore actifs ou sur le point d’être redémarré (à l’exception du lac Jeannine). Le site minier du lac Carol près de Labrador City est toujours exploité par Rio Tinto IOC. La mine de Scully à Wabush avait été fermée en 2014 par Cliff Natural Resources, mais fut rachetée par Tacora Resources et a redémarré sa production en 2019 (La presse canadienne, 2018). Du côté québécois, les projets miniers autour de Schefferville ont repris depuis 2011. À Fermont, la propriété du site du Mont-Wright changea de main et devient la propriété d’ArcelorMittal en 2008 (ArcelorMittal, 2017a). Également propriété d’ArcelorMittal, le site de Fire Lake, à 55 km au sud du Mont-Wright, est de nouveau en opération depuis 2006. Un nouveau site minier près

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de Fermont, le lac Bloom, fut inauguré en 2010. Opéré par Cliff Natural Resources, il fut également fermé en novembre 2012 suite à la faillite de Cliff. En avril 2016, le site et ses installations furent rachetés par Champion Iron Mines par l’entremise de Minerai de fer Québec, qui a redémarré la production en novembre 2017 (Lévesque, 2017). Finalement, la région fait aussi l’objet de prospection notamment pour le graphite et le quartz (CLD de la MRC de Caniapiscau, 2015).