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CHAPITRE I : L’UNIVERS DES GANGS DE RUE COMME ON EN TRAITE DANS LES ÉCRITS

CHAPITRE 3 GANG DE RUE, MEMBRE DE GANG, ACTIVITÉ DE GANG, ANCIEN MEMBRE DE

3.4 S E DÉCLARER ET SE CONSIDÉRER ANCIEN MEMBRE DE GANG

3.4.1 La désaffiliation

Au cours de la discussion portant sur « les anciens membres de gang de rue », nous avons demandé aux participants d’expliquer comment, selon eux, se produit la sortie d’un gang de rue. C.C. expose son point de vue de la façon suivante :

Quelqu’un qui a rendu des comptes à un gang de rue pis qui s’est retiré, il en a fait assez. Il a prouvé quelque chose à son gang pis il s’est retiré après, pis c’est tout. Il faut qu’il aille voir son gang pis qu’il dise : « moi je suis plus là- dedans ».

Selon C.C., pour qu’une personne parvienne à sortir d’un gang, elle doit s’acquitter de ses dettes et elle doit faire savoir à son gang qu’elle ne désire plus en faire partie. Oussama paraît partager le même avis précisant que : « Il faut que tu paies toutes tes dettes avant de bouger».

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Édouard renchérit insistant sur le fait que : « Parce que si t’as pas payé tes dettes, tu peux t’en aller ». Lors de la deuxième rencontre, C.C. réitère :

S’il a tout rendu ses comptes, il a rien à leur rendre, il a rien à leur donner. S’il a fait tout ce qu’il avait à faire, ça y’est, s’il veut se retirer, il se retire. Ici à Montréal, personne va t’obliger à rester.

Aucun auteur consulté n’a fait allusion à un processus de sortie apparemment aussi simple et indolore. Hamel et coll. 1998 évoquent même un phénomène s’apparentant à une véritable peine d’amour. Et il est aussi question, dans certains cas, de la peur des représailles, qui, toutefois, ne se produiraient qu’exceptionnellement (Hamel et coll., 2004).

Dans le cours d’un groupe de discussion, D-Boyz partage son point de vue concernant la désaffiliation, lequel semble faire consensus avec les autres participants du groupe quant au fait qu’il ne s’agit pas d’un passage si difficile, sauf dans le cas de groupes ethnoculturels en particulier :

Il y en a qui pense que quitter c’est impossible, c’est un genre de mythe légende. Il y en a qui s’éloignent quand même de ça. Ça se fait tranquillement. Il y en a qui disent que tu perds tes amis, tes amis te parlent plus. Mais si je décide de quitter ma gang demain matin, je vais les voir de temps en temps. Je vais leur parler de temps en temps, je vais commencer à faire mes autres affaires. Je vais garder contact avec eux. Tu fais tes affaires, ils vont te parler pareil. Les autres ethnies par exemple MS-13, 18, c’est sûr que, pour eux, tu peux pas quitter, tu as pris un engagement à vie.

East Side, d’origine latine, fait écho aux propos de D-Boyz en les nuançant en regard du contexte montréalais : « Dans mon pays, si tu veux sortir, ils te tuent. Ici, ils ne sont organisés. Ils ont une autre mentalité ». Donc, d’après East Side, dans les gangs hispaniques de Montréal, il est possible de quitter un gang sans se faire tuer. Montana renchérit en soulignant : « Il y en a dans les gangs de rue qui n’ont jamais eu de conflits, des conflits, mais rien de sérieux. Quand ils s’en vont, c’est correct. Ils ont rien ».

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sortir des gangs de rue sans commettre un dernier délit, se faire battre, ou se faire tuer. Il s’agirait simplement de remettre au gang ce qui lui appartient pour ensuite pouvoir quitter tranquillement l’univers des gangs, selon la description qu’en donne WSBG, tout en précisant que… « tout dépend » :

N’importe quoi on va se parler, il va toujours y avoir ça dépend de…ça dépend de qui, ça dépend de quoi. Il y en a qui peuvent te dire : « si tu veux sortir, tu fais ça pis t’es correct /…/ Vas tirer lui pis t’es correct ». Mais encore là, il y en a pas beaucoup à Montréal. Moi si une personne est dans une gang, pis il veut s’en aller, il s’en va, il dit « bye ». C‘est mon point de vue. C’est sûr que si il doit de l’argent, il faut qu’il le donne.

Il nous semble que tout n’a pas nécessairement été dit sur la sortie des gangs… et ses suites, et qu’il s’agirait là d’une avenue de recherche à fouiller spécifiquement

Pour l’instant, nous retiendrons que la sortie du gang se fait, ordinairement, tranquillement. C’est d’ailleurs ce que les auteurs mentionnent lorsqu’ils avancent que la désaffiliation se fait de façon progressive (Spergel, 1995; Vigil 1988 in Scott et Lauritsen 2002). C’est également ce que les participants décrivent lorsqu’ils expliquent que la personne qui quitte son gang, « téléphone de moins en moins et passe de moins en moins de temps avec les membres du gang ».

Quitter un gang est une décision et une démarche personnelle souligne. Édouard : « C’est personnel, il y a personne qui va te dire que tu l’es plus ». Chaque individu le vit différemment, il n’y a pas de processus précis et défni. WSBG confirme :« ça dépend de chaque personne », reflétant ainsi les résultats del’étude de Scott et Lauritsen (2002) qui indiquent que la désaffiliation ne s'effectue pas pareillement pour tous les membres.

Bien qu’il soit le seul à l’avoir soulevé, D-Boyz constate que cela peut se vivre difficilement : Le lien… c’est difficile à se détacher parce que c’est des gars que tu connais

depuis que t’es petit et ils ont toujours été là pour toi. Ils t’ont jamais lâché. C’est pas vrai que tu peux pas sortir des gangs de rue sans te péter la gueule, c’est pas vrai.

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Le point de vue de D-Boyz converge avec les conclusions des auteurs Hamel et coll. (1998). En effet, dans leur étude, les auteures ont soulevé que la désaffiliation est une étape qui peut s'avérer très difficile, surtout pour ceux qui étaient très haut placés dans le gang ou qui n'avaient que le gang comme lien d'attachement. Les auteures parlent même d'une véritable peine d'amour. Même si D-Boyz est le seul participant à l’avoir mentionné assez clairement, il faut se rappeler que plusieurs participants ont comparé leur gang à une famille.

Zack est, malgré tout, le seul participant qui considère que le fait de quitter son gang ne changerait rien, ce qu’il exprime de la manière suivante :

Pour moi, la vie continue normalement. Il y a rien qui change. Même s’ils viennent vers moi, je m’en fous d’eux. Je fais ma vie, s’ils veulent me battre, je vais me défendre.

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