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Le déroulement du lien de droit.

Dans le document La fable du ricochet (Page 72-151)

75.- Le lien de droit est en mouvement comme l’est le ricochet. Si les conditions étudiées dans le chapitre précédent sont réunis, il existe un lien de droit (1) qui suit une trajectoire que l’on peut symboliser sous la forme d’une spirale (2). Il est borné par des règles de droit (3). Certaines de ces règles, des principes, visent à créer et maintenir un vide (4). Etant solide et durable, il inspire un sentiment de confiance (5).

1.- L’existence du lien de droit.

76.- Le ricochet a un aspect péjoratif. On trouve dans l’ancienne littérature la phrase suivante à propos d’une dispute : « en vous faisant de la vérité un bastion à deux bouts ou un pot à

deux anses, que chacun empoigne de son côté, avec la façon de la chanson de ricochet, qu’entre vous autres est toujours à recommencer ». Il s’agit d’un litige qui ne s’arrête pas :

« cette querelle eut des suites et des ricochets sans nombre »342. Avec le mot ricochet, nous nous trouvons du mauvais côté du droit et des relations, du côté du litige, des nœuds, des impasses, des labyrinthes, en opposition avec le lien de droit qui veut éviter les litiges, mettre chacun à sa juste place, trouver une vérité humaine qui ne soit pas différente d’une partie à l’autre.

La vérité d’un lien de droit est la distance adéquate entre les parties. Si une telle distance n’est pas prouvée, c’est-à-dire si les conditions vues dans le chapitre précédent ne sont pas établies – les paroles des parties, le tiers de référence, un objet et une cause – alors le lien de droit n’existe pas. Des effets juridiques ne peuvent donc être déduits. La notion de lien de droit ou de lien juridique n’est pas seulement un terme générique servant à définir d’autres notions juridiques (filiation, contrat, nationalité). Elle a en elle-même son utilité qui a été peu remarquée en doctrine. Elle apparaît fréquemment dans la jurisprudence pour remplir une fonction négative. Elle est souvent utilisée par une partie qui conteste une condamnation en disant qu’elle n’avait pas de lien de droit avec telle autre personne physique ou morale et donc qu’une conséquence juridique telle qu’un droit ou une condamnation n’aurait pas du être tirée. Il existe de nombreux arrêts en ce sens. Ainsi l’absence de lien de filiation entre un homme et une jeune fille, empêche de faire de la paternité un élément aggravant de l’agression sexuelle. De même, l’absence de liens familiaux en France empêche un étranger d’obtenir un droit de séjour. De nombreux arrêts du Conseil d’Etat indique, en ce sens, que telle personne n’a pas de liens familiaux en France mais de vagues relations sociales et donc qu’elle n’a pas d’attache avec la France. S’il n’y a pas de liens juridiques, il n’y a pas non plus de dettes. Ainsi dans un arrêt critiquable de la CJCE du 18 juillet 2007, les arrhes versées à un hôtel ne

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Fanfares des Roule, Bontemps, p.59 cité par le dictionnaire d’étymologie de la langue française de Ménage 1750.

constituent pas un lien juridique. Il n’y a donc pas de contrepartie en termes d’obligation de réservation, si bien qu’en cas de défaillance du client, l’hôtel peut conserver les arrhes sans payer de TVA. En effet, la TVA n’est applicable que s’il existe une contrepartie à une somme versée. Cet arrêt confond, semble-t-il, le lien contractuel d’hébergement avec l’existence d’un lien juridique lorsqu’il est affirmé que « la conclusion du contrat et, par conséquent,

l’existence du lien juridique entre les parties ne dépendent pas normalement du versement d’arrhes ». Les arrhes prennent place, en effet, dans un lien juridique antérieur au contrat

d’hébergement, qui pourrait être analysé en une promesse de contrat343

. Il existe également une importante jurisprudence concernant le lien de subordination juridique dont il faut rechercher l’existence pour savoir s’il y a ou non un contrat de travail.

Lorsqu’au contraire, l’existence d’un lien est établie, des effets juridiques peuvent être déduits. Ainsi, s’il existe un lien contractuel, les dispositions du règlement communautaire dit Bruxelles 1 du 22 décembre 2000 sur la compétence en matière contractuelle sont applicables. L’emploi de la notion de lien dans un sens positif est généralement plus précise et fait appel au lien d’instance, au lien matrimonial ou au lien contractuel344

, quoique ces dernières notions soient aussi, parfois, utilisées dans un sens négatif.

Cet emploi de la notion de lien de droit réalise une large mise à distance des parties. Lorsque le juge nie qu’il existe des liens, il est dans la fonction de celui qui laisse des personnes en dehors de liens juridiques. Elles sont si éloignées qu’il n’y a aucune stabilité et aucune parole échangée. Il indique qu’elles sont hors champ, qu’elles n’ont pas d’espace commun et qu’il faut en tirer les conséquences juridiques. La notion de lien de droit a donc une fonction négative. Il faut d’ailleurs qu’il y ait des personnes non liées entre elles afin qu’il y ait des tiers. Ainsi, un juge est par définition un tiers par rapport aux parties. Lorsqu’il constate l’existence d’un lien de droit, en revanche, il prend en considération des éléments réalisant une distance adéquate entre les parties.

Il nous semble qu’il existe une catégorie de lien de droit qui reste innommée à côté des liens nommés tels que le lien contractuel, le lien de filiation ou de nationalité. Ainsi les relations post-contractuelles sont généralement analysées en une situation de fait précaire. C’est le cas, par exemple, lorsque malgré la résiliation d’un contrat de distribution, les parties continuent d’avoir des relations d’affaires et de conclure des contrats de ventes ponctuels. J. Mestre se demande ainsi « doit-on y voir la prolongation des relations contractuelles initiales, la

naissance d’un nouveau lien, lui-même contractuel ou bien le passage à une simple situation de fait, par essence précaire ? »345. On pourrait y voir un lien de droit qui ne soit pas un contrat346, mais un lien innommé d’origine jurisprudentielle. Ce lien qui peut comprendre diverses obligations (une clause de non concurrence par exemple), voire la conclusion de contrats ponctuels, n’est pas un contrat cadre puisqu’il n’y a pas d’échange de consentement mais une sorte de lien de droit cadre. Les relations qui subsistent après un divorce entre les ex époux pourraient être également qualifiées de lien de droit innommé. Les parties sont parfois davantage contraintes après le divorce que dans les liens du mariage. Ainsi, dans certains cas, les parties ne peuvent pas aisément déménager. Il s’agirait d’un lien d’origine légale et

343 Affaire C-277/05 Société Thermale d’Eugénie les Bains, Rev. Droit fiscal 2007, n°37, n°194 note Y. et I.

Serandour (affaire signalée par Daniel Gutman, professeur à Paris 1 que nous remercions ici).

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V. la jurisprudence sur la matière contractuelle au sens de l’art. 5-1 du règlement communautaire du 22 décembre 2000 qui suppose un « lien contractuel librement assumé » (Civ. 1re, 6 juil. 99 Rev crit. DIP 2000, 67 note E Pataut).

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RTDciv. 1987, chron. p.311.

jurisprudentielle puisque les obligations des personnes divorcées sont fixées par la loi et précisées par le juge.

77.- La preuve du lien de droit établit une vérité. Il ne s’agit pas là d’une vérité objective au sens scientifique. Il faut prouver un lien de droit malgré l’incertitude ou le vide qu’il comprend. En droit civil, la vérité d’un lien de droit est la distance adéquate entre les parties formalisée par le document contractuel écrit ou attestée par un témoin. Dans l'infraction, la vérité est la reconstruction de faits suffisamment proche du trouble ressenti par la victime et la société. La preuve prend en compte le passé, construit une trace du passé, c’est une boucle, un ricochet à l’envers, il s’agit de revenir à l’origine du lien. Le tiers témoin est à distinguer du tiers de référence qui fonctionne comme une force stabilisatrice. Le témoin n’est pas une force, il est purement extérieur au cercle et a simplement vu ou entendu. Il doit néanmoins indiquer quels sont ses liens avec les parties. En effet l’article 210 du Code de procédure civile prévoit que les témoins indiquent : « s’il y a lieu, leur lien de parenté ou d’alliance avec

les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d’intérêts avec elles »347. Cette disposition constitue l’embryon d’une typologie des liens de droit. Certains tiers ne peuvent témoigner tels que les enfants dans le divorce des parents ou peuvent être dispenser de témoigner tels que les membres de la famille ou ceux détenant un secret professionnel.

Les moyens de preuve sont de plus en plus technologiques. Les enregistrements audio et vidéo ainsi que les expertises permettent de remonter dans le temps. Là encore un vide paraît se combler, l’incertitude inhérente à tout lien de droit peut sembler en voie de disparition. Ainsi un lien de filiation peut être prouvé de manière quasi certaine par les expertises génétiques. Il existe une longue histoire de la preuve du lien de filiation. Une proportion très importante de litiges donne lieu à des expertises donnant l’impression d’approcher de la vérité objective. Les juges sont parfois tentés de les suivre aveuglément. Pourtant la certitude n’est jamais tout à fait atteinte même en matière d’expertise génétique. Une erreur d’éprouvette est toujours possible. De surcroît, le lien de filiation n’est pas que biologique, il est aussi affectif et social. Le vide du lien de droit ne se prouve pas et doit rester en dehors de la preuve pour justement qu’il subsiste un peu de jeu. Quel enfant ne s’est pas imaginé qu’il avait été adopté et que ses parents n’étaient pas ses vrais parents ? Une preuve parfaite empêcherait cette rêverie pourtant sans doute nécessaire. En même temps que la faille s’élargit entre les parties, les moyens de preuve se font de plus en plus puissants. La clarté paraît partout s’imposer, alors qu’il est admis que la lumière a besoin de l’ombre348. Ainsi les secrets professionnels que l’on peut analyser comme des informations ne circulant que dans un groupe restreint de liens de droit sont de moins en moins protégés (seul le secret professionnel de l’avocat et du ministre du culte est encore solidement défendu).

L’homme est un être technique autant qu’il est un animal parlant. Ces deux aspects sont sans doute liés349. Tout lien de droit se forme dans un environnement technique. L’écrit ou l’enregistrement par toute autre forme technique permet de mémoriser le lien de droit pour en garder la trace, pour le rendre plus fort et plus durable. L’engagement serait-il suffisant s’il n’existait pas de preuve de son prononcé ? La notion de vérité se trouve impliquée par la technique. La technique provoque la vérité, affirmait Heidegger350. Le droit de la preuve

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Compar. Art. 445 du Code de procédure pénale : « les témoins doivent faire connaître… s’ils sont parents ou

alliés du prévenu, de la personne civilement responsable ou de la partie civile et s’ils sont à leur service » 348 J. Tanizaki, Eloge de l’ombre, rééd. 2001, POF.

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A. Leroi-Gourhan, Le geste et la parole, Albin Michel, 1964.

employant des moyens techniques permet ainsi de révéler plus brusquement la vérité de ce qui a eu lieu entre deux personnes, donc au sein d’un lien de droit. Les techniques les plus modernes sont employées en justice (expertise, enregistrement audio et vidéo, écoute téléphonique etc.) pour mettre à jour une réalité qui, à bien des égards, reste pourtant construite. Il existe toujours une marge d’incertitude (même dans l’expertise génétique, on l’a vu) qui peut tenir au choix de la méthode mise en œuvre par l’expert ou à de simples erreurs humaines. Les faits sont toujours construits ou reconstruits. De même, le témoin d’un crime reconstruit ce qu’il a vu et entendu dans l’après-coup.

L’essence de la technique moderne est, selon le philosophe allemand, un dévoilement brusque de l’être. Auparavant, la technique n’était que dévoilement et conduisait donc au vrai sans violence. Il apparaît, dès lors, nécessaire d’encadrer ces modes de preuve qui ont tendance à arracher la vérité comme peut le faire la torture. C’est ainsi que l’hypnose ou le sérum de vérité (ce que l’on nomme la narco-analyse) ont été écarté des modes de preuve admissibles. Les nouvelles technologies se développent devant les tribunaux. Ainsi l’informatique provoque un dévoilement des faits par sa capacité à transporter et à traiter des masses d’informations. Les moyens de transport et de communication rapprochent les parties dans le temps et l’espace mais ne les mettent pas nécessairement à une juste distance. Au contraire, elles faussent parfois les distances et rendent les liens de droit non durables. C’est pourquoi la présence physique des parties et du juge lors d’une audience au cours d’un procès doit être maintenue (malgré les possibilités de vidéo conférence qui sont parfois nécessaires).

On peut aussi voir la technique comme un instrument de passage entre le monde physique et le monde symbolique. Par exemple, le téléphone portable permet de faire passer plus aisément (quand la ligne est bonne, selon une expression devenue désuète) des paroles dans le monde physique. En ce sens, elle ne violente pas nécessairement la vérité et peut au contraire assurer une meilleure circulation entre les deux mondes à condition de ne pas contribuer à suturer le vide en comblant les désirs (de sons, d’information et d’image). Elle est aussi destructrice si elle ne s’insère pas dans des liens de droit équilibrés et nie la singularité des parties (c’est le cas de l’Internet quand il devient une addiction coupant du monde réel).

78.- Le paradoxe est que la seule chose qui soit vraie avec certitude est ce qu’affirme un jugement. Non pas qu’un jugement accède à la vérité des faits, mais il constitue la vérité que les parties ne peuvent plus contester si elles ont épuisé leurs voies de recours. L’autorité de la chose jugée est classée parmi les questions de preuve dans le Code civil car le jugement a un effet de vérité.

Par exemple, dans un arrêt de la Cour de cassation351, il était question de savoir si une deuxième action en justice dans une même affaire ne se heurte pas à l’exception de chose jugée car la contestation avait déjà été jugée (il faut clore les litiges et empêcher qu’il y ait de nouveaux procès portant sur la même affaire). Dans cette affaire, une première demande en paiement s’était heurtée à l’inexistence d’un lien de droit entre le créancier et le débiteur car il n’y avait pas eu de stipulation pour autrui permettant d’unir juridiquement les deux parties (une stipulation pour autrui est un contrat conclu entre une personne et une autre, par exemple une société d’assurance, en faveur d’un tiers afin, par exemple, que l’assurance verse un capital aux enfants de la première au moment de son décès). La seconde demande qui a porté sur une promesse de porte fort (une personne ne s’engage pas pour autrui comme dans la stipulation pour autrui mais se porte fort que le tiers s’engagera) s’est néanmoins heurtée à la

chose précédemment jugée : « Mais attendu … que les deux actions successives du syndicat

ne différaient que par la qualification juridique donnée aux engagements contenus dans les conventions, l'arrêt retient à bon droit qu'elles étaient fondées sur la même cause puisque, dans les deux procédures, il était demandé à la juridiction de déduire de ces engagements l'existence d'un lien de droit direct entre le syndicat et la société ». La cause de la demande de

paiement qui était l’existence d’un lien de droit était identique à la première dans la seconde assignation. La demande a été jugée irrecevable car elle se heurtait à l’autorité de chose jugée du premier jugement. L’absence de lien de droit avait, autrement dit, déjà été établie par le premier jugement. Cette vérité ne pourrait plus être remise en cause.

Si un lien de droit existe, des conséquences juridiques peuvent être déduites. Le lien de droit a une vie et un déroulement, il suit une trajectoire que l’on peut représenter sous forme de spirale.

2.- La spirale du lien de droit.

79.- La spirale, contrairement au cercle, réalise une ouverture en équilibrant des forces opposées352. Tout lien de droit s’enracine dans la réalité des choses, des territoires et des corps ; il relie par des paroles l’intelligible et le sensible pour durer ; il se développe sous forme de spirale pour n’être jamais le même, sinon il cesse d’exister.

Ainsi le lien de droit est un processus qui s’apparente à la vie : il naît, se développe et meurt. On peut noter des points communs entre tous les liens de droit en matière d’exécution ou d’incident. L’exécution d’une obligation est la réalisation normale de l’engagement fait par une partie. L’incident est un évènement imprévu qui modifie le lien de droit au cours de sa vie. Les parties doivent exécuter des prestations, éduquer les enfants, livrer un bien, payer les impôts. Il existe des possibilités de suspension du lien notamment du lien contractuel (en cas de maladie ou de maternité) ou du lien d’instance (si une partie devient majeure par exemple). Le décès est la fin naturelle de tout lien de droit, sauf des liens de parenté dont on dit qu’ils sont perpétuels. Le lien s’achève aussi quand le but est atteint. Ainsi, si un contrat est exécuté, le lien contractuel se termine. Néanmoins, un lien de filiation ne s’achève pas par l’éducation des enfants car il demeure une obligation alimentaire vis-à-vis des parents ou des enfants et des conséquences en matière d’héritage. On peut obtenir la fin d’un lien de droit par un jugement, ainsi le divorce est la fin judiciaire d’un lien conjugal ; de même il est possible d’obtenir la fin judiciaire d’un contrat, on parle alors de résolution judiciaire. Il existe aussi des cas où une seule des parties peut mettre fin unilatéralement à un lien de droit sans passer par le juge. On peut répudier la nationalité française lorsque l’on possède une autre nationalité ou si l’on se marie avec un étranger. Le PACS se termine par une décision unilatérale d’une des parties, ce qui est une forme de répudiation.

Au contraire, un lien d’amitié qui se rompt ne peut donner lieu à un règlement judiciaire, ce qui peut, d’ailleurs conduire à commettre des actes de violence. Ainsi une femme a incendié la maison d’un couple d’ex-amis après la brouille et a été condamnée à deux ans de prison avec sursis et surtout à ne plus revoir le couple victime353. Un psychologue, Nicolas Fischer, traite des brisures de liens « chacun d’entre nous peut être confronté à la brisure de son lien à

autrui : séparation, divorce, licenciement »354. Il ne traite de la rupture que sous son angle affectif. Le divorce ou le licenciement sont pourtant juridiques quoique le long travail de

352 V. P Née, op. cit., p.116 s. « spirale contre cercle, métonymie contre métaphore ». 353

Ouest France, août 2005.

reconstruction soit d’ordre psychologique. L’auteur le laisse entendre lorsqu’il souligne qu’il faut d’abord accepter le caractère ineffaçable du mal subi. N’est-ce pas le propre de l’acte

Dans le document La fable du ricochet (Page 72-151)

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