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Chapitre 3 : Méthodologie 84 !

3.3.2. Déroulement de l’analyse 112 !

L’analyse thématique a été déployée en deux étapes complémentaires qui ont permis de renseigner la mobilisation du capital social. Les thématiques dégagées constituant des réponses aux questions de recherche, on peut ainsi dire que le recoupement thématique a été indexé sur l’objectif et les questions de recherche (Hubermas et Miles, 1991 ; Yin, 2009). Il s’agit ainsi de mettre en place une opération systématique de repérage et de regroupement des thématiques à analyser, sous la forme du codage ; les thèmes étant tout à la fois représentatifs du contenu et en lien avec ces questions. Ainsi s’est opérée une distinction, dans le cadre du premier registre d’analyse, entre l’étude du contexte et du capital social accessible et l’étude de la mobilisation que les élèves font du capital social à partir des dimensions de la théorie de la structuration (3.3.2.1). En ce qui concerne le deuxième registre, la stratégie est quelque peu différente puisqu’elle repose sur les

divergences qui sont apparues lors de cette première analyse, et notamment les divergences entre le capital social accessible et le capital social mobilisé (3.3.2.2).

3.3.2.1. Le premier registre d’analyse

Avant d’entrer plus précisément dans le détail de l’analyse, je précise que celle-ci a été réalisée sur support papier, favorisant ainsi un « contact physique » avec le corpus et la « flexibilité [de ce] support » (Paillé, 2012, p.235). J’ai ainsi colligé l’intégralité des documents rassemblés ainsi que mes notes d’observation afin de pouvoir y noter les thèmes. En effet, le fait de pouvoir disposer physiquement devant moi de l’ensemble du matériel, de le classer et de me l’approprier au fur et à mesure s’est révélé très facilitant pour le codage. Je rappelle que le journal de bord a constitué la balise qui m’a permis de faire le lien entre l’ensemble des documents et le point de convergence de l’ensemble des thématiques. J’ai ensuite créé un document central (voire plusieurs !) pour reprendre les différents thèmes ; il a servi de base à la présentation des résultats et s’est étoffé au long des lectures sur le capital social et du recoupement des thèmes.

(i) Étape 1 : Analyse des documents officiels et des observations à la lumière des dimensions du capital social pour renseigner le capital social accessible

Dans un premier temps, j’ai lu à plusieurs reprises l’ensemble des documents, afin de me les approprier, je les ai surlignés, annotés continuellement et leur ai attribué, au fur et à mesure des allers-retours opérés avec la théorie, un certain nombre de thèmes. Je rappelle également que les thèmes issus du cadre ont dû être validés empiriquement avant de faire partie de la nomenclature conceptuelle finale, et être complétés par les données issues du terrain. L’analyse a ainsi permis de dégager des unités de sens significatives, celles-ci pouvant prendre la forme d’un mot, d’une phrase ou d’un paragraphe. Plusieurs exercices de découpage ont conduit à fragmenter le contenu et ainsi parvenir à une optimisation des données exploitables.

Les thèmes les plus pertinents sur le plan théorique et sur le plan empirique ont ensuite été regroupés et ordonnancés. C’est de cette manière que s’est construit progressivement « l’arbre thématique53 ». Plusieurs sous-thèmes ont ainsi été dégagés en lien avec les ressources du capital social (statut, rôle, et approche d’intervention des différentes ressources de l’école) et les normes et valeurs institutionnelles qui leur sont liées (réussite, apprentissage, vivre ensemble). Les thèmes ont ensuite ouvert la voie à plusieurs « rubriques » (aide psychosociale, importance de l’apprentissage, approche d’intervention, etc.) ; ce qui a permis d’opérationnaliser le capital social au sein de l’école et de dessiner ce que j’ai appelé le cadre normatif du capital social. L’arbre thématique en annexe reprend l’arborescence finale qui a servi à analyser ces données. La constitution de l’arbre a suivi le processus d’induction modérée (Savoie-Zajc, 2011) mentionné précédemment, les dimensions conceptuelles dégagées ont été validées et se sont enrichies de nouvelles dimensions empiriques.

(ii) Étape 2 : Analyse des questionnaires, des entretiens de groupe et des observations pour renseigner la perspective des élèves : la mobilisation du capital social

Pour cette deuxième étape, j’ai tout d’abord retranscrit et colligé les entretiens, exercice qui s’est révélé extrêmement chronophage (autour de 100 heures54) car il était parfois très

difficile de saisir ce que les élèves disaient lors des entretiens de groupe. Par la suite, la stratégie analytique présentée précédemment a de nouveau été mise en place, toujours selon les principes de la thématisation en continu (Paillé et Mucchielli, 2012). Cette thématisation, je le rappelle, s’est opérée suite au rapprochement des dimensions conceptuelles du capital social et de celles du cadre de Giddens (1987) agencées selon les principes de la théorie de la structuration. Si les thèmes dégagés de ce rapprochement en reprennent les principales dimensions, celles-ci se sont révélées assez vastes pour permettre l’émergence de rubriques très variées.

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53 L’arbre thématique se trouve en annexe (Annexe 1).

54 Je précise que ces 100 heures concernent seulement la transcription des entretiens de groupe. En effet,

comme il est expliqué plus en détail dans la partie sur l’analyse, les observations sont restées colligées dans le journal de bord.

Le rapprochement conceptuel a donné lieu à une très grande diversité de données. Pour illustrer cette idée, le rapprochement conceptuel entre la « dimension légitimation » et la « dimension normative » de la théorie de la structuration présentait énormément de données très disparates qu’il a fallu traiter. Face à cette diversité, j’ai dû opérer un recoupement et c’est à partir de ce recoupement qu’ont émergé les processus de mobilisation du capital social. La figure qui représente les points principaux de ce rapprochement et qui détaille les différents processus qui en découlent se trouve à l’issue du chapitre des résultats.

Les processus de mobilisation qui ont ainsi émergé se nourrissent aux trois grandes dimensions de la théorie de la structuration (la signification, la légitimation et la domination) réparties sur les trois niveaux d’action (structures-modalités-interactions humaines) présentés dans le chapitre théorique. La logique de présentation suit la logique d’apparition des processus dans le journal de bord :

- processus d’acceptation : les élèves adhèrent à l’aide offerte par la ressource sans en négocier la mobilisation, en jugeant que la ressource est là pour les aider ; - processus de soumission : les élèves se résignent à mobiliser une ressource qui,

de leur point de vue, ne correspond pas à leur projet ;

- processus d’évitement : les élèves mobilisent des stratégies ostensibles de contournement de la ressource, qui n’est pas significative à leurs yeux et dont ils ne partagent pas les normes et valeurs ;

- processus de rejet : les élèves ne font pas qu’éviter la ressource comme dans le processus précédent, ils repoussent fermement toute forme d’aide proposée par la ressource mobilisée et sont en réaction contre les normes et valeurs dont elle est porteuse ;

- processus de fraternisation : les élèves, observant une distance avec les normes et valeurs institutionnelles, se rapprochent d’une ressource avec laquelle ils entretiennent une relation de proximité et la mobilisent selon leur projet ;

- processus de manipulation : les élèves mobilisent la ressource sociale selon leur propre projet et la dissimulent volontairement, allant à l’encontre du cadre normatif ;

- processus d’appropriation : les élèves mobilisent la ressource de manière opportune, c’est-à-dire en fonction de besoins spécifiques dans leur parcours éducatif, rendant ainsi la mobilisation significative ;

- processus de contrôle : c’est le projet des élèves qui initie et oriente la mobilisation de la ressource, rendant cette action très significative à leurs yeux, dans les limites du cadre normatif.

3.3.2.2. Le deuxième registre d’analyse :

(iii) Étape 3 : Analyse des résultats à partir d’un nouveau cadre théorique, celui de la forme scolaire (Vincent, 1980)

Les divergences et convergences entre la perspective institutionnelle (le capital social accessible, étape 1) et la perspective des élèves (les processus de mobilisation du capital social, étape 2) se sont ainsi révélées de manière de plus en plus marquée, au cours de la progression dans l’analyse. La multiplicité des perspectives permettant de « construire un panorama au sein duquel les grandes tendances du phénomène à l’étude vont se matérialiser » (Paillé, 2008, p.232) ; ces tendances se sont polarisées autour de la distinction entre capital social prescrit et capital social produit. Distinction qui s’est révélée riche en nouvelles potentialités analytiques.

Ainsi, le rapprochement entre ce que j’ai appelé par la suite le cadre normatif de la mobilisation (le capital social accessible) et les processus de mobilisation des élèves a permis de soulever plusieurs divergences et tensions internes autour de la mobilisation du capital social, nées de l’écart entre l’approche scolaire d’intervention55 (perspective

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55 Ici le terme « intervention » est employé comme un terme générique qui englobe l’ensemble des

pratiques à destination des élèves en difficultés. Dans une perspective plus cognitiviste, certains écrits francophones peuvent opérer une distinction entre remédiation et intervention (pour des élèves avec des difficultés plus profondes), ce qui est moins souvent le cas dans les écrits anglophones.

institutionnelle) telle qu’elle est prescrite et la mobilisation des élèves (perspective des élèves). Par exemple, l’exercice d’analyse a permis de dégager, au fur et à mesure de sa progression, des éléments constitutifs d’une approche globale d’intervention telle qu’elle est promue par l’école auprès des élèves qui rencontrent des difficultés, et qui est appelée dans cette recherche l’approche scolaire d’intervention.

Pour exploiter en profondeur ces éléments de tension, relevés tout au long du premier registre d’analyse, tout en sachant qu’ils n’étaient pas prévus par le cadre théorique initial, il a fallu recourir à un nouveau cadre théorique, le cadre de Giddens ne permettant pas d’étudier ces tensions internes56. Le deuxième registre d’analyse a été l’occasion de rassembler et de réexploiter ces multiples tensions sur le organisationnel, qui constituent des freins à la mobilisation du capital social, à partir d’un nouvel éclairage théorique. La « forme scolaire » de Vincent (1980) a ainsi permis de les reconsidérer mais à partir du point de vue de l’institution cette fois, soit dans une perspective plus globale. Ce changement de perspective a offert une occasion d’opérer un retour sur la problématique, puisqu’il permet d’interroger cette fois la capacité de l’école à générer du capital social.

3.4. Les incidences méthodologiques

Les choix méthodologiques présentés ont pu entraîner un certain nombre d’incidences méthodologiques, pour ne pas dire limites. C’est un point essentiel à considérer, en particulier en ce qui concerne les données suscitées (entretiens, observations et questionnaires), même si les données invoquées (documents, journaux) ne sont pas non plus dénuées de biais, ne serait-ce que par le choix de ces mêmes données. Plus généralement, certaines décisions méthodologiques, comme le choix de la Maison des jeunes en tant que porte d’entrée sur le terrain, la proximité avec les élèves ou l’importance de la place accordée à l’ethnographie, ont pu former un prisme déformateur, et, d’une certaine façon, teinter les résultats.

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Toutefois, plusieurs dispositifs méthodologiques ont été mis en place tout au long de cette recherche pour garantir une certaine validité interne des données (Yin, 1984). Certains ont d’ailleurs été présentés au cours de ce chapitre. Rendre la démarche méthodologique la plus explicite et détaillée possible, de même que les liens entre les méthodes choisies et les choix théoriques, constitue un premier critère de transparence, qui est en soi un critère de validité interne du point de vue de Savoie-Zajc (2000). Cela renvoie aux exigences de Yin (2009) sur l’explicitation de manière transparente du lien entre le questionnement théorique et les choix méthodologiques. Il s’agit plutôt de renseigner le plus précisément possible la réalité étudiée (nuancer, illustrer et détailler les manifestations relevées).

D’autres dispositifs ont permis de garantir une certaine forme de validité. C’est leur complémentarité qui permet de comprendre le phénomène à l’étude de manière la plus détaillée. Le recours systématique à de multiples sources de données complémentaires a ainsi permis une forme de confirmation empirique. Dans cette idée, le fait de faire valider les observations que je réutilisais par les élèves eux-mêmes au cours des entretiens a constitué une manière d’objectiver mes observations. Même chose pour le croisement et la validation de données a posteriori grâce à l’éclairage complémentaire des acteurs. L’ancrage du phénomène à l’étude dans son contexte réel est un autre critère de validité cité par Roy (2009) qui limite les erreurs et distances. Dans le cas de cette recherche, la durée de l’ethnographie a également contribué à dissiper les postures forcées dont les élèves pouvaient faire preuve dans les premiers temps. Si certains biais de désirabilité sociale peuvent généralement émerger lors d’entretiens ou d’observations, les trois années et demie passées sur le terrain ont pu permettre d’observer les manières d’être, d’agir et de réagir plus authentiques. Sur le plan théorique enfin, la validation systématique des dimensions théoriques, opérée par les allers-retours avec le terrain, a également contribué à surmonter les limites d’un cadre trop hermétique.

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