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193 Introduction

Après une première étude de la Direction des Bâtiments du roi, du travail du Directeur avec le Roi et de l’administration centrale, marquée par le spectre des difficultés financières, nous allons dans un second temps nous intéresser au fonctionnement des différents départements afin de comprendre comment les problèmes financiers de l’administration pèsent sur l’efficacité du travail quotidien.

Au XVIIIème siècle, l’administration des Bâtiments du roi compte environ trois cents personnes qui travaillent en permanence aux différents échelons et dans les différents départements de l’administration d’après les registres du Grand Etat de la Dépense. Sous Louvois, Thierry Sarmant évalue déjà entre 250 et 300 le nombre de

personnes travaillant pour les Bâtiments474. Cette administration n’est pas la plus

importante du royaume, loin derrière la ferme générale qui compte 685 employés pour

le seul Hôtel des fermes de Paris sans compter les ramifications en province475.

Pourtant, si on la compare aux autres administrations centrales d’Ancien Régime à la fin du règne de Louis XIV, elle est plus importante que le contrôle général des finances qui totalise entre 100 et 120 personnes, que le département de la guerre avec une soixantaine d’employés ou que les départements de la Maison du Roi ou la Marine qui

474 SARMANT, Thierry, Les demeures du soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du Roi, Champ Vallon, 2003, p. 134.

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AZIMI, Vida, Un modèle administratif de l’Ancien régime : les commis de la ferme générale et de la régie des aides, Paris, édition CNRS, 1987, p. 33-38.

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emploient respectivement une cinquantaine de personnes476. Au sein de la Maison du

Roi, les registres ne répertorient qu’entre trente et cinquante personnes attachées aux

Menus Plaisirs477.

Aucune étude d’ensemble du personnel de l’administration des Bâtiments du Roi n’a été réalisée à ce jour, que ce soit pour le XVIIIème siècle, objet de notre étude, comme pour les siècles précédents. La recherche s’est plutôt focalisée sur les principaux Surintendants qui ont œuvré sous Louis XIV, dans le cadre des travaux de Versailles,

comme Colbert ou Louvois478, mais le cumul des charges de ces importants personnages

relègue souvent au second plan leur rôle de surintendant des Bâtiments. De même, plusieurs thèses de l’Ecole des Chartes portent sur le duc d’Antin, Lenormant de

Tournehem, Marigny et d’Angiviller, Directeurs des Bâtiments479

. A travers ces différentes monographies, les membres de l’administration centrale sont généralement présentés plus ou moins précisément. Cependant, ces travaux passent sous silence le cœur même de l’institution qui en permet le véritable fonctionnement, à savoir le petit personnel responsable de l’entretien et des réparations des résidences et bâtiments royaux. Ce personnel fait l’objet de rares études précises dans le cadre de recherches sur

des départements ou des catégories professionnelles480, comme les Vitry, dynastie de

Fontainiers ou pour les marbriers du roi sur lesquels les travaux de Sophie Mouquin

offrent sur la période de 1661 à 1745 une étude complète481. On peut aussi citer la

476 SARMANT, Thierry, STOLL, M., Régner et gouverner, Louis XIV et ses ministres, 2010, p.323.

477 LEMAIGRE-GAFFIER, Pauline, Du cœur de la Maison du Roi à l’esprit des institutions, l’administration des Menus Plaisir au XVIIIème siècle, thèse, Paris I, 2011. Ces chiffres sont calculés par nous-mêmes d’après les annexes fournies dans cette thèse p.172, qui citent les membres du personnel à différentes dates sans donner de total ou d’évolution de l’effectif pour toute la période. Nous avons compté 28 personnes en 1757, 32 en 1761 et 52 en 1772.

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SARMANT, Thierry, Les demeures du soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du Roi, Champ Vallon, 2003. ; BOURGET,P. et CATTAVI,G, Jules Hardouin-Mansart, Paris, 1960, CORVISIER, André, Louvois, 1983 ; JESTAZ, Bernard, Jules Hardouin-Mansart (thèse) 1962) MURAT, Inès, Colbert, Paris, 1984, GADY, Alexandre, ss. Dir, Jules Hardouin-Mansart, 1646-1708, 2010, CENAT, Jean-Philippe, Louvois, le double de Louis XIV, édition Tallandier, Paris, 2015.

479 JUGIE, Sophie, Le duc d’Antin, directeur des Bâtiments du roi, 1708-1736, thèse de l’Ecole des Chartes, 1986 ; Frank, Louis, Lenormant de Tournehem et le mouvement des Arts au milieu du XVIIIème siècle (1745-1751), thèse de l’Ecole des Chartes, 1987 ; MONDAIN-MONVAL, Marigny, thèse de l’Ecole des Chartes, 190 4 ; MALOTEAUX, Sandrine, le comte d’Angiviller, thèse de l’Ecole des Chartes, 1992.

480 SOULLARD, Éric, « Les Vitry : une dynastie de fontainiers du roi au service des grandes eaux de Marly (1685-1793) », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles [En ligne], | 2012, mis en ligne le 13 juillet 2012. URL : http://crcv.revues.org/11912 ; DOI : 10.4000/crcv.11912; RINGOT, Benjamin, « Marly, département des Bâtiments du roi, microcosme institutionnel et social sous Louis XIV » articles internet Bulletin du Centre de Recherche du Château de Versailles.[en ligne], 2012, mis en ligne le 13 juillet 2012. URL : http://crcv.revues.org/11929 ; DOI : 10.4000/crcv.11929

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MOUQUIN, Sophie, les marbriers du roi (1661-1745), thèse Paris IV, 2003 ; MOUQUIN, Sophie, « les marbriers des bâtiments du roi : organisation et réalisation » article internet du bulletin du centre de

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monographie réalisée sur Henry Dupuis, jardinier du roi sous Louis XIV, dont les descendants exercent encore au XVIIIème siècle. Le principal inconvénient de ce dernier ouvrage est qu’il ne s’agit pas d’un travail d’historien, de plus le récit est en

partie romancé482. Mais ces études sont-elles représentatives de l’ensemble de

l’administration ? Nous allons donc nous attacher à comprendre qui travaille dans cette administration : les effectifs, la répartition par département, les conditions de nomination, les compétences, les rémunérations. De plus, nous avons cherché à suivre les stratégies familiales qui, ici comme ailleurs sous l’Ancien Régime, conduisent à la formation de véritables dynasties aux différents niveaux de la hiérarchie. Enfin, il s’agit à travers l’étude du personnel de comprendre comment fonctionne cette administration. La principale source à notre disposition reste en priorité le Grand Etat de la Dépense qui permet entre 1740 et 1780 de dresser un tableau complet de tous les membres du

personnel classés par département avec leur fonction et leur rémunération483. Les

registres des brevets de nomination par le roi permettent un travail d’ensemble de 1736

à 1786 offrant ainsi un éclairage sur les procédures et le nombre des nominations484. Les

Almanachs royaux et l’Etat de la France apportent des informations

complémentaires485. Concernant le petit personnel, certaines données sont lacunaires sur

le début et la fin de la période étudiée. Nous avons donc, avec toutes les donnés collectées, réalisé un index alphabétique de tous les membres du personnel sur la période, mentionnant la fonction, les dates de présence au sein de l’administration, la rémunération. Cet outil permet de confronter les différentes sources et d’éviter les doublons. Ce travail est rendu difficile par l’orthographe changeante des noms dans les sources qui ne facilite pas l’identification des personnes. Les fonds propres à chaque département permettent d’appréhender quelques aspects du mode de vie de ce personnel, mais il est plus difficile de retrouver, pour chacune de ces 1360 personnes, des traces dans les fonds notariés, même si quelques actes sont archivés dans ceux des Bâtiments du roi.

recherche du château de Versailles, [en ligne], 2012, mis en ligne le 24 septembre 2012. URL : http://crcv.revues.org/11997 ; DOI : 10.4000/crcv.11997.

482 BOUCHENOT-DECHIN, Patricia, Henry Dupuis, jardinier de Louis XIV, édition Perrin et château de Versailles, 2007.

483 AN, O1 2353-2386, Grand Etat de la Dépense.

484

AN, O1 1057 à 1061 : ordonnances, provisions, commissions, brevets du roi, règlements, arrêts du conseil, dons de terrain et logements, maisons, conciergeries. 1736 à 1786.

485Almanach royal, 1708-1792, Paris, veuve Houry et Ch. M. d’Houry ; Etat de la France, Paris, chez Prudhomme, 1722 ; Paris, la Compagnie des Libraires, 1727 ; Paris, G.D. David et al. 1736 ; Paris, chez Ganeau, 1749.

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Il s’agit donc de savoir qui travaille dans les différents départements, comment s’organise le travail quotidien dans les départements et dans les chantiers tout en montrant les effets des problèmes financiers de l’institution.

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I. Le personnel des départements

A. Le poids financier des différents départements

La fonction principale de l’administration des Bâtiments consiste à entretenir et à réparer les résidences royales et à gérer les différents départements sous sa responsabilité. Il s’agit du principal poste de dépense dans le budget global. Nous allons donc nous intéresser au poids financier des différents départements pour comprendre quelles sont les priorités de l’administration dans cette période de restrictions budgétaires. Les réformes de l’administration, qui visent à réaliser des économies, n’ont pas atteint leur objectif concernant l’administration centrale, on peut se demander si elles sont efficaces quant au fonctionnement des départements.

Des résidences oubliées par la recherche ?

La Direction des Bâtiments du roi est responsable de différents départements qui regroupent à la fois des résidences royales dont certaines ont déjà été évoquées à travers les jetons, les périodiques et les annuaires dans une première partie, mais aussi des services plus spécialisés qui apparaissent dans la commission comme certaines Académies ou manufactures royales.

Ces départements ont pu être l’objet d’étude pour eux-mêmes, mais encore une fois le cadre de l’administration est souvent oublié, ou trop rapidement évoqué. Il s’agit

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surtout de monographies sur les résidences royales qui dépendent des Bâtiments. Le château de Versailles reste le sujet le plus traité, cependant la majorité des études portent sur le règne de Louis XIV et la seule évocation du rôle des Bâtiments du roi est liée au récit du chantier486. De surcroît, les recherches des historiens ne sont pas si fréquentes sur le château, ce thème est plutôt réservé aux spécialistes de l’histoire de l’art et de l’architecture et les conservateurs produisent aussi de nombreuses

monographies487. La majorité des publications reste des ouvrages descriptifs destinés au

grand public. Les travaux les plus importants sont ceux de l’historien et conservateur de château de Versailles, Pierre de Nolhac, datant de la fin du XIXème et du début du XXème siècle qui prend en compte, dans une certaine mesure, le rôle de

l’administration des Bâtiments du roi au XVIIème et XVIIIème siècles488

. Ainsi dans Le

château de Versailles sous Louis XV (1898), il reprend, après une étude pièce par pièce du château, des documents d’archives « pour servir à l’histoire du château » issus des fonds des Bâtiments du roi aux Archives nationales. Il publie ainsi un mémoire de 1742 pour la destruction de l’escalier des ambassadeurs ou encore des notes de Marigny sur les difficultés des Bâtiments du roi. Les archives ont plutôt une fonction illustrative et les fonds ne sont pas exploités systématiquement.

On retrouve pour le château de Fontainebleau le même type d’étude et on peut

citer en particulier celle de Pérouse de Montclos489 qui est la plus récente. Les ouvrages

sur le château de Compiègne sont plus rares, les travaux les plus récents sont ceux du conservateur actuel du château, Emmanuel Starcky. Pourtant le XVIIIème siècle est

souvent délaissé au profit du XVIIème siècle ou de l’époque impériale490

.

Les autres résidences royales et relais de chasses n’ont pas fait l’objet d’études récentes et les monographies sont souvent des histoires locales datant du début du

486 TIBERGHIEN Frédéric, Versailles, le chantier de Louis XIV, 1662-1715, Perrin, 2002.

487

VERLET Pierre, le château de Versailles, 2e édition, Paris, 1985 ; MARIE Alfred et Jean, Versailles au temps de Louis XV, 1984 ; NOLHAC Pierre, Histoire du château de Versailles, 1901.

488 NOHLAC, Pierre de, Le château de Versailles sous Louis XV, Recherche sur l’histoire de la cour et sur les travaux des Bâtiments du Roi, 1898 ; La création de Versailles d’après des sources inédites, étude sur les origines et les premières transformations du château et des jardins (dessins, plans, manuscrits du service des bâtiments du roi), 1901 ; Histoire du château de Versailles : l’architecture, la décoration, les œuvres d’art, les parcs et jardins, le grand et premier Trianon, d’après des sources inédites (..) compte et correspondances de l’administration des Bâtiments du Roi au XVIIème et XVIIème siècles, Paris, société des directions artistiques, 1899-1900.

489

PEROUSE DE MONTCLOS, Jean-Marie, Fontainebleau, Edition Scala, Paris, 1998.

490 MATHERAT, Georges, Compiègne, séjour royal et impérial, Beauvais, 1969 ; Louis XVI et Marie-Antoinette à Compiègne [Catalogue d’exposition, Compiègne, musée national du château, 2006-2007], Paris, RMN, 2006 ; STARCKY, Emmanuel, Compiègne royal et impérial, le palais de Compiègne et son domaine, Paris, RMN-Grand palais, 2011.

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XXème siècle. Une étude a été réalisée sur le château de Marly sous Louis XVI491.

Même s’il s’agit d’une recherche sur les arts décoratifs, l’auteur fait une introduction sur l’administration du château au XVIIIème siècle et dresse ainsi une liste des contrôleurs et des concierges qui font partie du personnel des Bâtiments. Il y reprend les transformations effectuées par les Bâtiments sous Louis XVI, le problème du coût de l’entretien et les divers règlements émanant de la direction de d’Angiviller. Mais les châteaux de la Muette, de Choisy de Bellevue, acquis sous Louis XV, restent peu étudiés et les monographies, très anciennes et souvent anecdotiques, ne donnant aucune information sur le lien avec les Bâtiments du roi ni même avec l’histoire

architecturale492. Ainsi le baron de Langle fait-il le récit des passages de Louis XV au

château de la Muette avec madame de Pompadour ou du séjour de Louis XVI après la mort de son prédécesseur en 1774, sans jamais porter d’intérêt à l’administration.

La ville de Paris n’est pas administrée par les Bâtiments du roi, mais certains palais ou monuments sont à leur charge. A ce propos, plusieurs études portent sur les monuments construits par les Bâtiments dans le département de Paris et notamment un

catalogue d’exposition sur Paris et ses rois493

dont plusieurs articles montrent les réalisations sous les règnes de Louis XV et Louis XVI, comme la place Louis XV les projets pour l’église de la Madeleine ou les travaux au Louvre. Ce catalogue contient de nombreuses reproductions de plans établis par les architectes des bâtiments du roi comme Anges-Jacques Gabriel, mais le rôle de l’administration reste en arrière plan. Les histoires de la ville de Paris consacrent rarement une place à la direction des

Bâtiments ou celle-ci est évoquée à travers les évolutions architecturales494. Le Louvre,

résidence royale et lieu d’habitation des artistes des Académies, dépend aussi de

l’administration. L’ouvrage collectif le Louvre des rois de Philippe Auguste à Louis XVI

(1995) sous la direction de Michel Fleury, retrace les grandes transformations du

Louvre. L’article de Marc Fumaroli495

sur le Louvre au XVIIIème siècle montre bien le rôle des Bâtiments dans ces travaux, même si la place de l’architecture reste plus

491 CASTELLUCIO, Stéphane, le château de Marly sous le règne de Louis XVI, étude du décor et de l’ameublement des appartements du pavillon royal sous le règne de Louis XVI, RMN, Paris, 1996.

492 Comte de FRANQUEVILLE, le château de la Muette, Paris, 1915 ; Baron de LANGLE, le château de la Muette, Paris, 1890 ; BIVER, Paul, histoire du château de Meudon, 1923, Histoire du château de Bellevue, 1933 ; MAILLARD, Jean, le château royal de Saint Hubert, 1903 ; DELACROIX, P., le château de Choisy…, études historiques et monumentales, Paris, 1903.

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Paris et ses rois, édition Paris musées, 1988.

494 CHAGNIOT, Jean, Nouvelle histoire de Paris au XVIIIème siècle, Hachette, 1988 ; FAVIER, Jean,

Paris, 2000 ans d’histoire, Fayard, Paris, 1997.

495

FUMAROLI, Marc, « le Louvre au XVIIIème siècle », p.132 in Le Louvre des Rois de Philippe-Auguste à Louis XVI, ss. dir. M. Fleury, Faton, Dijon, 1995.

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