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Les causes de départ du Cameroun, fortement corrélées à l’influence des réseaux sociaux et des migrants déjà en Algérie

Introduction du chapitre

1- Les causes de départ du Cameroun, fortement corrélées à l’influence des réseaux sociaux et des migrants déjà en Algérie

Lorsque je demande à mes enquêtés pour quelles raisons les Camerounais sont aussi nombreux à émigrer, les réponses convergent : impossibilité d’accéder au marché de l’emploi même pour les personnes diplômées (à moins d’avoir un réseau de connaissances ou d’accepter des conditions telles que des faveurs sexuelles ou payer pour se faire embaucher), salaires extrêmement bas qui ne permettent pas de subvenir même aux besoins primaires, mauvaise gouvernance (népotisme124, ploutocratie125, gérontocratie126, cleptocratie127), influence des

médias donnant une image idéalisée de l’Occident, influence de l’entourage et particulièrement des émigrés au Maghreb ou en Europe lors de leur retour au Cameroun ou via les réseaux sociaux (Facebook) impactant ceux restés au Cameroun avec leur mise en scène (photos). Dans ce sous-chapitre nous allons expliquer toutes ces causes de départ, nous détaillerons également les profils de divers enquêtés avant le départ, en montrant ce qui les a poussés à émigrer.

Une économie exsangue et une corruption généralisée, une impossibilité d’accéder aux emplois et aux soins

Paul Biya, 87 ans, est le président camerounais en poste depuis 1982. Il a été réélu le 7 octobre 2018 pour un 7ème mandat, ayant fait modifier en 2008 la constitution qui limite à deux les mandats présidentiels. Pendant 38 ans de pouvoir, il a en effet été régulièrement « réélu » par des élections où les fraudes sont flagrantes et dénoncées par l’opposition. Il mène une vie très luxueuse : il aurait dépensé 157 millions d’euros en voyages privés depuis qu’il est président. Notamment, il séjourne régulièrement dans un hôtel de Genève en Suisse avec sa cour, dépensant 35 000€ par jour. Pendant toute la durée de sa présidence, il aurait passé 4 ans et demi à l’étranger. 75% des Camerounais ont moins de 25 ans et n’ont connu que Paul Biya

124 Le népotisme consiste à favoriser des proches, des membres de sa famille ; notamment le népotisme tribal, consiste à favoriser en particulier des personnes de sa région d’origine, par exemple en leur octroyant des postes hauts-placés au gouvernement. Voir :

Gandoulou, Justin-Daniel, Dandies à Bacongo. Le culte de l’élégance dans la société congolaise contemporaine, L’Harmattan, Paris, 1989, p.55 et 76.

125 État d’une société dans laquelle les plus riches exercent plus ou moins directement le pouvoir politique ou jouissent d’une influence prépondérante.

126 Gouvernement dominé par des vieillards.

127 Système politique dans lequel les gouvernants pratiquent, au plus haut sommet de l’État, la corruption et le pillage des deniers publics.

comme président. Selon l’ONG Transparency International, le Cameroun est classé parmi les 30 pays les plus corrompus au monde128.

Cette dictature est très largement soutenue par le gouvernement français pour les intérêts économiques qu’elle permet à l’ancienne puissance coloniale129. Deux zones du Cameroun

traversent actuellement une grave crise donnant lieu à une très grande insécurité pour les habitants : la région de l’Extrême-Nord130 et les régions anglophones (régions du Nord-Ouest

128 « Cinq choses à savoir sur Paul Biya, le président camerounais », vidéo Le Monde, 07/10/2018.

129 Le philosophe, politologue et historien camerounais Achille Mbembe écrit ainsi dans une chronique, à propos des « tyrans séniles et jouisseurs » à la tête des « États voyous d’Afrique centrale » : « Il n’est pas rare que les balles, les fusils, les gaz lacrymogènes et les véhicules militaires qu’ils utilisent pour mater leur peuple soient d’origine française. Il en est de même des engins équipés de mitrailleuses qu’ils font défiler sur le boulevard principal de la capitale à l’occasion de la fête nationale. La plupart des contrats d’exploitation des gisements miniers sont signés avec des compagnies françaises. La surveillance de l’espace aérien, la gestion des ports, des aéroports, des chemins de fer et la destruction des immenses forêts n’échappent guère à la règle. Il n’y a pas jusqu’aux uniformes de l’armée, aux chaussures et bérets des soldats, aux cartes d’identité, aux passeports, à la monnaie nationale et aux boîtes d’allumettes qui ne soient fabriqués par des entreprises françaises ou leurs succursales ».

Mbembe, Achille, « ‘‘Les États voyous d’Afrique centrale sont les derniers avatars de la Françafrique’’ », Le

Monde, 04/03/2020.

130 L’insécurité dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun est causée par la secte islamo-terroriste d’origine nigériane Boko Haram. Son nom signifie « l’éducation occidentale est illicite » ; ses racines historiques se trouvent à Maiduguri, dans l’État du Borno, à l’extrême Nord-Est du Nigeria. Les racines du mouvement datent de 1995 : « à Maiduguri, [le leader] Mohammed Yusuf enseigne [alors] le Coran et un islam radical qui refuse le mode de vie et les principes occidentaux. Il dénonce également la corruption des hommes politiques qui détournent la rente pétrolière et qui laissent les populations du Nord dans une misère profonde ». La principale revendication de Boko Haram est l’application de la charia (loi islamique) et la pratique d’un islam radical sur l’ensemble du territoire nigérian. C’est en 2003 que les membres de Boko Haram ont recours à la violence pour la première fois. Depuis, ils ne cessent de s’armer et de multiplier les actions sanglantes. Particulièrement depuis l’exécution de Mohammed Yusuf par les forces de sécurité en 2009, les membres de la secte lancent régulièrement des séries de raids meurtriers contre les symboles du pouvoir politique. En 2010 Abubakar Shekau succède à Mohammed Yusuf à la tête du mouvement. Depuis cette date, la menace de Boko Haram ne cesse de s’amplifier jusqu’à devenir un des principaux sujets de préoccupation pour le gouvernement nigérian. Loin de disparaître, le mouvement s’est intensifié et s’est converti aux méthodes terroristes, telles que les attentats-suicides, l’utilisation de kamikazes et les enlèvements de personnalités politiques. Le nombre des membres de la secte est en expansion et avoisinerait les 300 000 personnes selon un rapport de 2011. Ce succès se nourrit de la crise économique et sociale dans laquelle est plongée le Nigeria depuis l’indépendance. Pourtant, la majorité des Nigérians rejettent la secte et son idéologie. La menace de Boko Haram s’étend sur le territoire des pays voisins du Nigeria : la porosité des frontières rend aisé les circulations de combattants islamistes au sud-est du Niger, à l’ouest du Tchad et à l’extrême nord du Cameroun. En particulier la région de l’Extrême-Nord du Cameroun sert de base de repli depuis des années au islamistes pourchassés au Nigeria. Depuis 2012, les attentats de Boko Haram dans cette région ne cessent de se multiplier.

Guibbaud, Pauline, Boko Haram. Histoire d’un islamisme sahélien, L’Harmattan, Collection Mondes en mouvement, Paris, 2014, p.54 à 56, p.62 à 65, p.115, p.117.

De plus, une branche de Boko Haram a prêté allégeance en 2015 à l’organisation État islamique. À l’extrême nord du Cameroun, les membres de Boko Haram incendient et pillent les villages, kidnappant ou massacrant les civils. Des soldats camerounais, tout comme des soldats nigérians, commettent parfois des exactions envers les populations et des exécutions extrajudiciaires de civils soupçonnés d’appartenir à la secte.

et du Sud-Ouest)131. Toutefois, aucun de mes enquêtés n’est originaire de ces deux zones132 ; aucun d’entre eux n’a fui une zone de conflit.

Il est notable que parmi mes enquêtés, une seule a fui le Cameroun car elle craignait pour sa vie. Kevine (25 ans) est en Algérie depuis deux mois. Elle est homosexuelle et avait été victime, avec sa compagne, d’une grave agression homophobe. Kevine a en effet un profil plutôt particulier : contrairement à tous mes autres enquêtés, elle provient d’un milieu relativement aisé. Son père, décédé en 2014, était technicien agricole, sa mère est grossiste et vend des habits. Elle a une grande-sœur, qui fait des études de médecine, et un grand-frère. Kevine est elle- même diplômée : en 2016, elle a obtenu un Deug de psychologie à l’Université de Douala. Le jour même de son agression, en 2017, elle a fui de Douala, car avant même qu’elle ne rentre chez elle, tout son quartier était déjà au courant du motif de son agression. Sa mère, paniquée, choquée et honteuse d’apprendre par le même temps l’homosexualité de sa fille, lui a dit de partir en lui remettant une liasse de billets (570 000 francs CFA, soit 870€, une somme énorme avec laquelle elle a voyagé). Sa compagne, gravement blessée, sera arrêtée et fera 6 mois de prison133. Leurs agresseurs n’ont jamais été arrêtés ni inquiétés par la police. Kevine prend la

131 L’ensemble du Cameroun est francophone à l’exception de deux régions anglophones (régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest). Ces dernières constituent 20% de la population des 22 millions de Camerounais (selon la vidéo du Monde datant de 2018 ; en 2020 la population serait estimée à 27 744 989 habitants). Les racines de la crise anglophone sont anciennes : les revendications des anglophones émergent dès 1972 avec la fin du fédéralisme et la proclamation de la République unie du Cameroun, car ils s’estiment marginalisés au sein du pays. En 1995 le mouvement social prend un tour plus politique en demandant la partition du pays et la création de l’État d’Ambazonie. D’autres anglophones exigent le retour au fédéralisme. Depuis novembre 2016, la minorité anglophone proteste contre sa marginalisation dans la société. Les manifestations sont réprimées, les leaders politiques réfugiés au Nigeria ont été extradés et emprisonnés au Cameroun. Les groupes séparatistes armés et les forces de sécurité s’affrontent dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, des centaines de civils sont tués et cela donne lieu à un exode massif des habitants. De février à avril 2017, pendant trois mois, la zone anglophone a été privée d’Internet par le pouvoir, ce qui a renforcé la radicalisation de certains séparatistes. Du côté du pouvoir central, les manifestants sont présentés comme des terroristes. Fin 2017, les séparatistes ont décrété un boycott du système scolaire francophone. Depuis cette date, cette crise est devenue un conflit armé entre les forces gouvernementales et différents groupes séparatistes. Des atrocités commises sur les civils à la fois par les groupes séparatistes et les forces de sécurité camerounaises ont été rapportées par Amnesty international : enlèvements, exécutions extrajudiciaires, mises à feu d’écoles et de villages. En 2018 les estimations faisaient état de plus de 300 000 personnes déplacées en brousse, dans les grandes villes de régions voisines et même au Nigeria voisin. « Crise anglophone : pourquoi le Cameroun s’enflamme ? », vidéo Le Monde, 15/11/2018.

132 À l’exception d’un seul homme qui est né et a grandi à Kumba, dans la région du Sud-Ouest.

133 L’homosexualité est illégale et réprimée au Cameroun : « Depuis 1972, l'article 347 bis du code pénal camerounais stipule qu' ‘‘est punie d'un emprisonnement de six mois à cinq ans ferme et d'une amende de 20 000 à 200 000 FCFA [soit 30 à 300 euros] toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe’’. […] Amnesty International recense une centaine d'arrestations arbitraires d'homosexuels par an au Cameroun ». « Le calvaire de deux jeunes homosexuels au Cameroun », Le Monde, 20/07/2012.

Hormis la menace d’emprisonnement, « le rejet par les sociétés peut s'avérer plus destructeur encore que la menace des tribunaux. Un certain conservatisme religieux au sein de nombreux pays [africains], qu'ils soient chrétiens ou musulmans, explique en partie le regard porté sur les pratiques homosexuelles ».

route le soir de son agression, vers 23h (l’agression avait eu lieu à la sortie d’un restaurant, vers 13h). Kevine n’avait nullement l’intention de partir en migration. Elle n’a absolument pas préparé son voyage et est partie dans la précipitation, à la fois parce qu’elle craignait pour sa vie, et aussi parce que sa mère l’a chassée de la maison. C’était la première fois qu’elle partait du Cameroun, et ne savait absolument pas où aller : elle devait juste fuir, car elle était en danger de mort, en plus de subir le rejet de sa propre mère134. Son profil constitue un cas tout à fait exceptionnel tant par son niveau de vie initial que par son motif à l’émigration : partir ne relevait pas de sa volonté propre, il lui était nécessaire de fuir pour protéger sa vie. Aucun autre de mes enquêtés n’a fui le Cameroun à cause d’un danger. Concernant ceux qui sont partis du Cameroun à cause d’un grave différend familial, ils sont très peu nombreux (hormis Kevine, seules 5 personnes mentionnent un conflit familial très important, totalement ou en partie à l’origine de leur décision d’émigrer). Pour tous les autres, leurs motifs à l’émigration, variés, vont être détaillés par la description de plusieurs profils.

Au Cameroun, ce sont « les jeunes [qui] sont les plus frappés par le chômage dans un pays où les aînés de sexe masculin détiennent tous les leviers de pouvoirs »135. Le SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti) est de 36 000 FCFA, soit 55€136. Ce salaire minimum très faible permet à peine de louer une petite chambre et de payer sa nourriture et son transport137. Les dépenses de santé et d’éducation (l’école et l’hôpital n’étant pas gratuits au Cameroun) ne peuvent en aucun cas être assurées avec un tel salaire, pas plus que toute autre dépense ne relevant pas de la stricte survie. Le contexte est marqué par un profond déséquilibre dans la répartition des richesses et l’argent se fait rare :

« Les prix des denrées de première nécessité ne cessent de grimper. En 15 ans, le Cameroun a connu 3 baisses de salaires sans aucun ajustement au niveau des prix des produits de grande consommation. La récession économique de la fin des années 80 a amené le gouvernement à

Ainsi, les militants pour la cause homosexuelle, ou les rares avocats qui défendent les homosexuels, sont régulièrement pris pour cible (intimidations, agressions et menaces de mort). Certains militants ont même été torturés et tués. Au Cameroun, il règne une totale impunité pour les homophobes.

« Éric Lembembe : torturé et tué pour avoir défendu les droits des homosexuels au Cameroun », Le Monde, 19/07/2013.

« Au Cameroun, ils veulent la peau des défenseurs des gays », Le Monde, 26/02/2015. 134 Entretien du 19/09/2017.

135 Tchetgnia, Lucas, Face au Sida, quel comportement en Afrique ? L’exemple du Cameroun, L’Harmattan, Collection Populations, Paris, 2016, p.20.

136 En juin 2020, 1€ (euro) est égal à 656FCFA (Franc de la coopération financière en Afrique centrale, en usage dans les six pays suivants : Cameroun, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine, République du Congo et Tchad) et à 145DA (dinar algérien).

procéder à une double baisse de salaire dans la fonction publique en 1993. Les fonctionnaires et agents de l’État ont perdu entre 50 et 70% de leurs revenus mensuels. Des avantages comme des primes de logement et de technicité ont été progressivement supprimés, ce qui a réduit le pouvoir d’achat des populations, entraîné la paupérisation et la banalisation de la corruption dans le service public »138.

Angela (30 ans) est en Algérie depuis 6 mois. Elle vient de la région du Centre, elle est d’ethnie bassa. Elle a un petit-frère et trois petite-sœurs, sa mère, décédée, n’était pas mariée et a accouché chez ses parents. Étant sous la responsabilité de ses grands-parents et faute de moyens financiers, elle a dû arrêter sa scolarité en classe de seconde. Angela a deux fils de 9 et 6 ans. Elle a connu son ex-compagnon à Douala quand il travaillait pour une société cacaoyère. Il a ensuite perdu son travail et ils sont allés s’installer chez sa mère à lui, dans la région du Sud. Cela a été une expérience difficile, ses beaux-frères la critiquaient sans cesse. Elle s’est alors séparée de son compagnon ; celui-ci ne l’a jamais aidée financièrement. Elle s’est ensuite remise en couple avec un compagnon plus âgé qui l’aidait financièrement, mais pensant qu’elle ne pourrait pas faire sa vie avec lui, elle s’en est séparée. Juste avant de partir du Cameroun elle vendait des fripes, elle a pu économiser un peu pour payer son voyage. Avant d’émigrer, elle est allée au Sud chez son ancienne belle-mère pour lui confier ses enfants pendant son absence. Son petit-frère étant à Alger depuis 5 ans, elle a choisi de le rejoindre. Son frère lui a en effet dit que l’on pouvait gagner sa vie en Algérie, mais elle a constaté en arrivant sur place que ce n’était pas le cas et qu’elle ne pourrait pas travailler. Elle avait et a toujours pour projet d’aller en Europe. Elle me fait part de la difficulté de se nourrir qu’éprouvent certains Camerounais, due au prix des produits de consommation ; ainsi que de la difficulté de se soigner même pour des maladies ordinaires :

« C’est terrible. Et les conditions de vie ne sont pas favorables quoi. La vie devient de plus en plus dure ! Le marché [les courses] qu’on faisait avant à 1500 [FCFA], tu faisais le marché, 4 ou 5 personnes mangeaient, mais de nos jours ce n’est plus facile. Si par exemple je vais manger avec mes enfants, je dois faire le marché de 2500 [FCFA]. Juste avec mes enfants. Donc c’est pas facile, il y a aussi, tu entends les gens qui meurent tout le temps, parce que depuis [que] je suis arrivée [en Algérie], [depuis] quelques mois [que] je suis arrivée ici, j’ai déjà suivi [entendu

dire] qu’il y a trois personnes qui sont mortes dans le quartier d’où je sors [mon quartier d’origine au Cameroun] ! Et ce n’est que des jeunes ! Trois jeunes oui ! Qui sont morts…

Morts de quoi ?

Suite d’une maladie ! Une maladie, une petite maladie, un a fait une semaine de maladie…

Et c’est par défauts de soins j’imagine alors, parce que ce genre de maladies peut-être aurait pu être soigné…

Par défauts de soins. En fait, défauts de soins, quand tu es malade, on t’amène à l’hôpital mais, il y a des infirmières qui ne font pas leur travail comme il faut. Oui oui. Eux aussi ils te précipitent même à la mort ! Ouais ouais ouais ! Tu n’as pas l’argent ? On [ne] te soigne pas. On [ne] te regarde même pas ! Et par moments même tu as ton argent, juste un peu d’argent, on [ne] te regarde pas. Partout c’est les relations ! Même dans les hôpitaux c’est les relations [qui comptent] !

Donc si tu n’as pas d’argent dans un hôpital, si tu viens te faire soigner, on ne s’occupe pas de toi ?

Oui ! On ne s’occupe pas de toi ! On [ne] te regarde même pas ! Pour dire, on va s’occuper de toi [a fortiori on ne va pas s’occuper de toi] ! [Si] tu n’as pas d’argent, [elle insiste] on ne s’occupe pas de toi ! Si je m’avance à l’hôpital avec peut-être mon enfant, et je dis : « son papa est en train d’arriver derrière avec de l’argent », on [ne le] regarde pas ! Non non !

Hm hm, il faut d’abord présenter l’argent ?

Oui ! Tu présentes d’abord l’argent, tu vas, tu remplis certains papiers, ensuite on prend soin de ton enfant. Peu importe s’il est en train de mourir ! Tant de choses qui nous font quitter le pays »139.

Son témoignage est très significatif sur la difficulté à se soigner. En effet au Cameroun, « l’accès aux soins médicaux même pour les maladies les plus courantes, relève d’une véritable gageure »140. Comme le témoignage d’Angela le montre, le système de soins n’est pas accessible aux plus défavorisés. De plus, la scolarité est payante, même l’école primaire. Cela a pour conséquence que certaines familles n’arrivent pas toujours à scolariser leurs enfants, ou les font arrêter leur scolarité au collège ou au lycée uniquement parce qu’ils n’ont pas de quoi payer. Ainsi, certains de mes enquêtés ont eu une scolarité chaotique : deux m’ont dit qu’ils allaient à l’école seulement certaines années ou une partie de l’année, lorsque leurs parents avaient de quoi payer (l’un a ensuite dû arrêter sa scolarité en classe de 1ère, et l’autre en classe

139 Entretien du 31/08/2017. 140 Tchetgnia, Lucas, op.cit., p.20.

de 3ème) ; quatre autres ont arrêté leur scolarité au collège et trois autres au lycée, uniquement