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Le terme de registre , nous l'avons vu, se réfère à l'ordre de structuration tonale. De façon générique, il renvoie à l'espace tonal de la voix d'une personne. Dans la littérature francophone et anglophone, de nombreux termes lui sont associés, synonymes : tessiture , pitch range , pitch level , pitch span , register , key , space , width , tonal space , etc.

Parmi les termes listés de la littérature, nous relevons une première distinction, relative aux valeurs tonales comprises dans l'espace tonal de la voix. Soit il est fait référence à l'espace tonal comprenant et délimité par les valeurs extrêmes qu'une personne est capable d'émettre, ce que Laver et Hanson (1981) appellent caractéristiques de voix organiques ; soit il est fait référence à l'espace tonal ajusté lorsque un locuteur parle (bande de hauteur de sons émis sans diculté qui, généralement, ne prend pas en compte, sans les exclure, les valeurs extrêmes qu'un locuteur est capable d'émettre - Hartmann et Stork (1972)), ie. les caractéristiques de voix phonétiques (Laver & Hanson, 1981). De même, Laver et Trudgill (1979) et Laver et Hanson (1981) distinguent, respectivement, les termes range et span , Möhler et Mayer (1999) pitch range et register , Mertens et al. (2001) tessiture (tonale) et registre , pour faire référence aux caractéristiques de voix organiques et phonétiques d'un locuteur. Dans

ce travail, nous utiliserons les termes de tessiture et de registre selon la dénition de Mertens et al. (2001) :

La tessiture caractéristique de chaque voix se dénit par la gamme de hauteur comprise entre deux valeurs extrêmes, minimale et maximale, appelées parfois le plancher et le plafond. [...] Cependant, dans la communication parlée, le locuteur se sert essentiellement d'une plage de hauteur au centre de sa tessiture ; c'est le registre normal (Mertens et al., 2001, p198).

Lorsque les auteurs s'intéressent aux aspects formels et fonctionnels de l'espace tonal de la voix d'un locuteur, ils étudient plutôt les caractéristiques phonétiques de la voix que ses caractéristiques organiques. Ainsi, de nombreux termes, synonymes de registre (Mertens et al., 2001) ont émané de la littérature : pitch range (Abercrombie, 1967; Clements, 1990;

Hirschberg & Ward, 1992; Ladd et al., 1985; Ladd & Terken, 1995; Shriberg et al., 1996;

Clark, 1999; Patterson & Ladd, 1999; Xu, 1999; Patterson, 2000; Portes & Di Cristo, 2003;

Gussenhoven, 2004), register (Bolinger, 1951; Hollien, 1972; Deinse, 1981; Clements, 1990;

T. Rietveld & Vermillion, 2003), compass ou tessitura (Abercrombie, 1967) et key (Brazil, 1980).

Outre le fait que de nombreux termes ont été utilisés pour faire référence à ce que nous appelons désormais tessiture et registre , il faut noter que l'étude de ces phénomènes ne s'est pas faite de façon uniforme, et que leur conceptualisation ne s'est dessinée qu'au cours du temps.

Les premières études, portant notamment sur la notion de registre, décrivaient un espace tonal dans lequel varie la fréquence fondamentale. Les auteurs s'intéressaient aux variations de registre, à sa hauteur et/ou à son étendue sans jamais clairement dénir les paramètres considérés dans leurs études (Lehtonen, 1978; Abercrombie, 1967; Hollien, 1972; Ladd et al., 1985; Künzel, 1989; Ladd, 1994; Dommelen & Moxness, 1995). Bien que quelques auteurs se soient attachés à distinguer ces deux paramètres pour décrire les phénomènes intonatifs d'une langue (Bolinger, 1951; Jassem, 1971; D. Crystal, 1975; Loveday, 1981), c'est Ladd, en 1995, après avoir démontré que la hauteur et l'étendue du registre étaient deux paramètres indépendants et par soucis de mesurer de façon optimale le registre et ses variations, qui donnera au concept de registre son aspect bidimensionnel :

There is a clear distinction between overall raising and local emphasis [...]. This could be incorporated into a quantitative model by distinguishing two aspects of what is often loosely called pitch range , namely the overall level and the width of the space. (Ladd & Terken, 1995, p388).

(Il existe une nette distinction entre une élévation globale et une emphase locale [...]. Cela pourrait être incorporé dans un modèle quantitatif par la distinction

de deux aspects, repris sous le terme de registre, à savoir la hauteur et l'étendue globales de l'espace tonal.)

En eet, dans cette étude, Ladd et Terken (1995) se sont intéressés aux variations de registre intra- et inter-locuteurs, an de vérier l'hypothèse selon laquelle les cibles tonales des contours intonatifs restent toujours invariantes (Bruce, 1977; Liberman & Pierrehumbert, 1984; Van Den Berg, Gussenhoven, & Rietveld, 1992). Dans leur expérience, 16 sujets néerlandais (8 hommes et 8 femmes) avaient pour tâche (1) de lire normalement un énoncé, puis (2) de le lire en élevant la voix, comme pour parler à travers un combiné téléphonique de mauvaise qualité et (3) de mettre en emphase un mot en particulier dans un énoncé. Les auteurs ont mesuré pour ces trois productions (normale, élévation de la voix, emphase locale) des points pré-sélectionnés, ie. la syllabe initiale inaccentuée de l'énoncé, le premier pic accentuel, le ton bas nal de l'énoncé dans les armations, les creux bas accentuels dans les questions. Les auteurs rapportent ainsi, que, pour l'ensemble des locuteurs, il existe une nette distinction entre une élévation globale de la voix et l'emphase locale. Pour l'élévation, les pics et les creux s'élèvent alors que pour l'emphase seulement les pics sont aectés. Dans l'élévation globale donc, c'est la hauteur qui est principalement aectée alors que pour l'emphase, c'est l'espace tonal qui est étendu. La hauteur et l'étendue du registre varient indépendamment et peuvent donc revêtir des fonctions diérentes16.

Cette bidimensionnalité sera d'ailleurs reprise par de nombreux auteurs : Reissland et Snow (1996) utiliseront les termes key et register , Savino et Grice (2007) les termes pitch height et pitch range , Patterson et Ladd (1999), Patterson (2000) et T. Rietveld et Vermillion (2003) pitch level et pitch span , Fox (2000) height of the voice et pitch range , Portes et Di Cristo (2003) register level et register span , Gussenhoven (2004) pitch register et pitch span , Hirst (2007) et De Looze et Hirst (2008) key et range comme synonymes respectifs de hauteur et d'étendue.

Nous dénissons donc le registre comme l'espace tonal eectivement utilisé dans un énoncé, une bande de hauteur de sons émis sans diculté qui, généralement ne prend pas en compte, sans les exclure, les valeurs extrêmes qu'un locuteur est capable d'émettre. On distingue deux dimensions au sein du registre : sa hauteur (hauteur globale de voix perçue par un auditeur) et son étendue (espace tonal délimité par les valeurs maximale et minimale émises par un locu-teur). Nous empruntons à Patterson (2000), la représentation schématique des modications de ces deux dimensions (gure 2) et proposons un exemple de variations de registre (gure 3), tiré d'un de nos corpus17, où la hauteur du registre mesurée à 157 Hz pour le premier énoncé elles font leur brevet blanc s'élève à 280 Hz pour le deuxième énoncé et Laurie, elle est contente alors ? .

16. Ce point sera développé dans nos chapitres expérimentaux 17. PFC, locuteur 13aAC1lw.

Figure 2 Représentation schématique des variations de hauteur et d'étendue du registre.

Figure 3 Exemple de changement de hauteur de registre entre les énoncés elles font leur brevet blanc et et Laurie, elle est contente alors ? . La hauteur est donnée par le calcul de la médiane pour chaque énoncé. Le premier énoncé délimité par une barre verticale noire est estimé à 157 Hz alors que le deuxième est estimé à 280 Hz.

Nous dénissons la tessiture comme un intervalle de fréquences délimité par les valeurs ex-trêmes (hautes et basses) qu'un locuteur est capable d'émettre. Nous appliquons à ce concept l'aspect bidimensionnel déni pour le registre. La tessiture est donc considérée sous deux dimensions : sa hauteur et son étendue. Elle est propre au locuteur, et dépend de facteurs physiologiques. (Lehiste, 1970; Brazil, 1980; Helfrich, 1979; Laver & Trudgill, 1979; Laver &

Hanson, 1981; Linville, 1987; Knowles, Wichmann, & Alderson, 1996; Ladefoged, 2001; Crut-tenden, 2001).

Pour notre part, nous nous intéressons à l'espace tonal utilisé dans un énoncé, nous ne re-viendrons donc plus sur le concept de tessiture. Le terme de registre à présent déni18, nous proposons d'aborder les problématiques qu'il soulève. L'une des premières dicultés que pose le registre concerne les descriptions phonologiques de l'intonation des langues naturelles. Com-ment, en eet, décrire les faits tonals d'une langue lorsque l'espace tonal, dans lequel s'éche-lonne les cibles tonales, n'est vraisemblablement pas le même pour tous (e.g. voix d'homme vs.

de femme) ? Ou encore, comment les décrire, lorsque l'espace tonal varie au cours de l'énoncé pour un même locuteur ?