• Aucun résultat trouvé

Coppée dans sa « Ballade » de 1892, qui fait de Rimbaud un fumiste « réussi », exemplaire. L’essentiel de notre propos portera, d’une part, sur le mode de production de sens que construit la réception du sonnet « Voyelles » à partir de ce qu’elle rejette, à

savoir : la tradition baudelairienne de la modernité exprimée par ladite théorie des « sensations associées » (ou des « correspondances ») pratiquée après l’auteur des Fleurs

du mal par les poètes « décadents »; d’autre part, sur le fait que, derrière la tradition baudelairienne prise comme théorie par la critique, se cache ce que nous appellerons un grotesque démystificateur, la conscience d’une inconscience dans la « fumisterie », qui se révèle alors plus qu’un simple jeu de substitutions ou de « Cherchez l’erreur », et qui a trait plutôt, comme on le verra lors du chapitre suivant (3), « Réserver la traduction », à la « licence poétique » manière Rimbaud.

Dans ce chapitre, qui installe les bases d’une manière de déranger les habitudes intellectuelles et perceptuelles de lecteurs contemporains ou non, il sera question du modèle prosodique de Rimbaud, le poète parnassien Théodore de Banville, et de la façon dont « Voyelles », conçu (dans Une saison en enfer) comme un métatexte (pour aller vite : un texte qui sert au lecteur de lentille pour lire comment est fait un texte), rend conscient le lecteur des manigances des objets d’un texte, et l’oblige par le fait même de se garder de toute démarche inductive : en régime de sens fumiste, le mode de raisonnement ne peut être qu’« abductif », et non « inductif » ou « déductif » – le « ou »

devant être interprété ici comme un « et », car, en sciences, l’induction et la déduction travaillent à dévoiler à partir d’expériences une vérité qui apparaît dans une temporalité autre que celle de l’abduction, qui elle, première étape de la démarche scientifique, laisse le locuteur et le lecteur en plan, dans un état d’hallucination, ou en éveil, en vue d’un événement qui arrivera éventuellement.

Le quatrième chapitre (4), « D’une économie du rébus : fondements du moment fumiste », élargit la notion de « licence poétique » à la Rimbaud à la communauté des poètes et caricaturistes dont a fait partie Rimbaud auteur de « Voyelles ». Nous y développons alors l’idée selon laquelle la langue n’est pas symbolique, et que la métaphore se fait licencieuse en empêchant les rapports entre les choses de se fixer définitivement par un mode de signifier allégorique (et non symbolique, comme le veulent les positivistes Parnassiens, qui optent pour la représentation, et non la suggestion, d’idées).

La transition ou le passage de Rimbaud « fumiste réussi » aux autres fumistes, les Zutistes, non moins exemplaires (André Gill, Paul Verlaine, Germain Nouveau, Léon Valade, notamment), s’effectue au moyen de l’idée d’une économie du rébus (ou de la devinette par un décryptage phonétique de mots formant image). Cette économie est déjà présente dans les caricatures de l’époque (années 1860-70) qui, comme le sonnet, mettent en évidence la « composante sensible » de toute allégorie, ce qui rend le sens flottant et attire le regard du lecteur sur la matière d’un texte.

C’est avec le cinquième et dernier chapitre (5), intitulé « Métamorphoser par le document », où nous revenons sur le travail des Zutistes et introduisons le lecteur à celui des Incohérents, que l’on comprend mieux pourquoi les concepts de « fumisterie » et de

« mystification » sont insuffisants pour comprendre le fumisme dans son émergence en tant que document – car toute production fumiste est pour nous un document – et façon de détruire l’unicité d’une œuvre d’art (ou ce que le penseur allemand Benjamin appelle « l’aura »). Comme on l’aura vu avec le métatexte rimbaldien « Voyelles », un texte est aussi de la matière. Or, l’effort sémiologique investi par la critique, sa soif de cohérence, ne tient pas compte de la matière, ce qui transforme le fait littéraire en production de sens « incohérente ». Production de sens illustrée à merveille par l’artiste incohérent Émile Cohl, qui s’assimilera les productions zutiste et incohérente pour les adapter au cinéma naissant.

Notre conclusion se concentrera sur cet artiste. Cohl est important pour nous en ce qu’il annonce les réflexions de Benjamin sur la reproductibilité technique des œuvres d’art et donne de l’envergure au concept de document fumiste en l’arrimant à l’art cinématographique. Ainsi, grâce à Cohl, le fumisme, inséparable d’une époque et d’un lieu précis (Paris et Montmartre, années 1860-80) dans le cadre de la présente thèse, aura survécu à son moment.

Chapitre 2

Démystifier le fumisme

« Le symbole avait été trouvé par une analogie complaisante. Le symbole dès lors suffisait. Avec cette espèce d’argot plastique, on était le maître de dire et de faire comprendre au peuple tout ce qu’on voulait. Ce fut donc autour de cette poire tyrannique et maudite que se rassembla la grande bande des hurleurs patriotes. »

Charles Baudelaire, «Quelques caricaturistes français» (1857), sur la poire de Louis-Philippe

« Rimbaud, fumiste réussi, Dans un sonnet que je déplore, Veut que les lettres O, E, I Forment le drapeau tricolore. En vain le décadent pérore, » François Coppée, « Ballade pour défendre la doctrine des poètes Parnassiens », 1892, vers 9 à 13

Nous avons établi que le sonnet « Voyelles » a fait l’objet d’un conflit intellectuel dans une ballade de 1892 de Coppée, un texte encore ignoré à ce jour (sinon oublié, comme l’œuvre de Coppée, d’ailleurs) par la critique littéraire. Ce conflit, qui définit le fumisme et son moment (1860-80), est tributaire d’une réception : la presse française des années 1880.

Le présent chapitre se penchera sur la façon dont cette réception a conçu le fumisme en tant que discours exemplifié par le sonnet « Voyelles ». Le sonnet de Rimbaud ne nous servira que de prétexte pour montrer que le discours fumiste a été assimilé, à tort, au discours, jugé irrecevable, des poètes décadents, alors qu’il s’inscrit dans la tradition littéraire « moderne » de Baudelaire, écrivain jugé tout aussi irrecevable que les décadents.

Baudelaire et Rimbaud : une autre façon de produire du sens

Selon le journaliste Maurice Peyrot100, Rimbaud a « développé », « en un sonnet demeuré célèbre », « Voyelles », la « conception » de Baudelaire :

Il était réservé à un jeune qui, depuis, disparut sans qu’on sût jamais où il était allé, et sur le compte duquel courent de multiples légendes, de développer, en un sonnet demeuré célèbre, la conception de Beaudelaire [sic]. Arthur Rimbaud était d’ailleurs parfaitement inconnu lorsque en 1869 [sic : plutôt vers l’automne 1871], il eut la gloire, d’autres diront l’inspiration bouffonne, d’écrire son fameux sonnet des voyelles. […]

Cette « conception » se rapporte à une « théorie » : celle des « sensations

associées » ou, en raison du titre d’un poème que nous analyserons plus tard, des « correspondances ».

La théorie de Baudelaire repose sur « l’idée de l’impressionnisme en littérature » (c’est Peyrot qui souligne le mot), idée selon laquelle « les sens doivent agir sur

l’entendement », et non l’inverse. Pour Peyrot, cette idée n’a aucun sens : d’une part, le

100 Peyrot M., « Symbolistes et décadents », La Nouvelle Revue, novembre-décembre 1887; article cité dans

« sens personnel » ayant « tout absorbé », « lorsqu’il écrivait », contrairement aux peintres (impressionnistes) lorsqu’ils peignent, Baudelaire « se préoccupait bien plus de rendre exactement l’impression, même fugitive, causée par chaque objet sur son système nerveux, que de composer des tableaux d’un réalisme indiscutable, mais dénués de personnalité »; d’autre part, son imagination vagabonde « l’amenait à concevoir l’intuition secrète de rapports invisibles à d’autres. Aussi procédait-il souvent par sensations associées, d’où le peu de clarté de certaines de ses poésies ».

La postulation d’un ascendant de la personnalité, ou de la volonté, de l’écrivain sur le « réalisme indiscutable » d’une peinture repose sur le principe selon lequel l’impression que cherche à saisir Baudelaire est « causée par chaque objet sur son système nerveux ». Peyrot donne ainsi à la théorie de Baudelaire un vernis scientifique. Pour prendre les termes d’un scientifique contemporain de Peyrot, de Rimbaud et de Baudelaire, Charles Henry101, Baudelaire chercherait à être « conforme à l’excitant »;

ainsi, sa théorie obéirait à une « méthode scientifique nouvelle » qui aboutit à une « science de l’instinct », un système scientifique qui fonctionne à rebours de « notre

science », conçue, elle, « comme un système de défense contre les illusions et les erreurs de notre sensation brute, contre la complexité de notre organisation [ou : de notre système nerveux] » (nous soulignons). Ce vernis scientifique ne sert toutefois qu’à camoufler un culte (pratiqué alors également par les poètes décadents, qui pastichent autant Baudelaire que Rimbaud) de la sensation rare.

Sous-entendant que Baudelaire cherche à cultiver la sensation rare, et non à combattre la sensation brute, Peyrot conclut que la « méthode » de Baudelaire n’est

101 Cité par Martinet A., Énergétique clinique : physiopathologie, thérapeutique : le sympathique, le vague, les réflexes de la vie organo-végétative, Dr Martinguay éd., Paris, Masson et cie, 1925, p. 361.

accessible qu’à quelques « personnes douées d’un tempérament analogue, et, en quelque sorte, initiées » :

On voit immédiatement à quel degré d’obscurité dans le style peut conduire l’abus d’une semblable méthode, car il est évident que, seules, les personnes douées d’un tempérament analogue, et, en quelque sorte, initiées, parviendront à se comprendre.

Ayant réussi à se « distinguer » plus que les autres disciples de Baudelaire « en des recherches de plus en plus subtiles » sur la « sensation associée », Rimbaud intervient dans l’exposé de Peyrot en tant qu’auteur du « premier manifeste » de l’école dite symbolique, et non symboliste; la coquille vaut la peine d’être soulignée :

Tel fut le premier manifeste de l’école symbolique [nous soulignons]. La route

une fois indiquée, tous s’y engagèrent, et chacun eut à cœur de se distinguer en des recherches de plus en plus subtiles. Les voyelles ayant des couleurs, on assigna des nuances aux syllabes, des formes aux consonnes, et l’on décida que l’alliance de ces nuances et de ces couleurs, l’assemblage de ces formes, devaient éveiller l’idée, mais non être l’idée elle-même.

Cette coquille met l’accent sur la tache aveugle du discours de la réception de « Voyelles » : le symbole, ou la façon de produire du sens. Mais aussi et surtout : la production de sens à partir d’un raisonnement non dialectique.

Le sonnet « Voyelles » fait partie des « déplorables conséquences » de la théorie de Baudelaire - d’une part, parce qu’il applique la thèse de l’écrivain en se réappropriant la prédominance des sens sur l’entendement, ou, pour mettre en évidence ce qui agace l’aristotélicien critique de la Nouvelle Revue, la subordination de l’entendement aux sens; Peyrot :

Cherchons quelle peut être l’application de cette théorie. Chez ceux qui, comme Baudelaire, apercevront les mêmes rapports entre les mêmes choses, le nom d’un unique objet suffira pour évoquer des idées nombreuses et diverses. Le son d’un

mot, en se répercutant sur les sens, produira une sensation déterminée qui, agissant à son tour sur l’esprit, éveillera la pensée que l’on voudra faire naître

[nous soulignons]. […]

Baudelaire n’entrevit sans doute pas toutes ces déplorables conséquences.

D’autre part, parce que justement, étant une thèse, c’est-à-dire, selon les mots d’Aristote, « un jugement contraire à l’opinion commune », la théorie de Baudelaire échappe à la discussion dialectique et se fait ainsi discours; tout discours étant trompeur parce qu’il ne se base pas sur la dialectique, ce discours en est un pour initiés, et donc sujet à des erreurs, et des erreurs inaccessibles au plus grand nombre102.

On comprend ainsi mieux l’opposition de Peyrot entre le « réalisme indiscutable » du peintre (impressionniste) et le désir de l’écrivain Baudelaire de « rendre l’impression, même fugitive » : avec Baudelaire et ses initiés - dont Rimbaud et les symbolistes, mais aussi les décadents, l’article de Peyrot est intitulé « Symbolistes et décadents » -, on n’est pas dans un rapport d’imitation, mais dans un rapport de désir, de production de sens.

Raisonnant selon la mimésis, en fonction d’un modèle à reproduire, la réception analyse « Voyelles » sous la forme d’une opposition entre « le verbe », qui serait « tout », et « l’idée », qui serait quant à elle « secondaire »103. L’idée ne prédominant plus pour

créer des antithèses, des oppositions fortes pour fixer le sens d’un modèle (Aristote : nos conclusions ne sont alors pas fondées sur la dialectique), il ne nous reste plus que le

102 « La proposition dialectique est une interrogation […] probable soit pour tout le monde, soit pour la

plupart, soit pour les sages, et, parmi ces derniers, soit pour tous, soit pour la plupart, soit pour les plus notables; interrogation qui ne doit d’ailleurs pas être paradoxale, car on peut admettre ce qui est reçu par les sages à la condition que ce ne soit pas contraire aux opinions du grand nombre [note de bas de page 1 : Sinon, c’est une thèse […]]. » (Aristote, Topiques Organon V, Paris, Vrin, « Bibliothèque des textes philosophiques », 2004, § 10 et 11, p. 40 et 35-36 respectivement.)

103 Nous tirons cette opposition d’un article du Figaro du 3 octobre 1885. Le nom de l’autre est inconnu.

verbe. Mais paradoxe : le verbe est fluide, trop mouvant, pas assez fixe! -- Les mots sont donc vivants, pousse alors le journaliste Pierre Bourde avec le ton narquois d’Adoré Floupette, l’auteur du recueil des Déliquescences (1884), parodie emblématique du poète décadent?

Dans un article qui précède de deux ans l’article de Peyrot (1885), le journaliste Bourde invoque le sonnet « Voyelles » en citant ses deux premiers vers pour l’associer à la thèse – une autre thèse, à détruire donc : on s’inspire ici aussi de l’idée de l’impressionnisme en littérature, on ne raisonne pas dialectiquement! - d’Adoré Floupette; selon cette thèse, « Les mots ne peignent pas » parce qu’« ils sont la peinture elle-même » :

[…] - Sais-tu ce que c’est que les mots? demande Floupette à son ancien condisciple, le pharmacien Tapora. Tu t’imagines une simple combinaison de lettres. Erreur! les mots sont vivants comme toi et plus que toi; ils marchent, ils ont des jambes comme les petits bateaux. Les mots ne peignent pas, ils sont la

peinture elle-même [nous soulignons]; il y en a de verts, de jaunes et de rouges

comme les bocaux de ton officine; il y en a d’une teinte dont rêvent les séraphins et que les pharmaciens ne soupçonnent pas. Quand tu prononces : Renoncule, n’as-tu pas dans l’âme toute la douceur attendrie des crépuscules d’automne? On dit : Un cigare brun. Quelle absurdité! Comme si ce n’était pas l’incarnation même de la blondeur que le cigare. Campanule est rose, d’un rose ingénu; triomphe, d’un pourpre de sang; adolescence, bleu pâle; miséricorde, bleu foncé. Et, ce n’est pas tout, les mots chantent, murmurent, susurrent, clapotent, grincent, tintinnabulent, claironnent; ils sont à tout à tour [sic] le frisson de l’eau sur la mousse, la chanson glauque de la mer, la base profonde des orages, le hurlement sinistre des loups dans les bois… […].

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles, Je dirai quelque jour vos naissances latentes. 104

Bourde commente ainsi les deux vers de Rimbaud :

Du moment qu’au sens fixe du mot un écrivain se croit libre d’ajouter personnellement des significations arbitraires, il nous parle une langue qui n’est plus la nôtre. Le galimatias est au bout du système105.

Avant d’analyser ce passage capital, il nous faut comprendre pourquoi « l’entreprise bouffonne » (Peyrot) qu’est « Voyelles » est associée à la poésie décadente.

La même année que Bourde (1885), un certain Coriolis avait associé l’entreprise des poètes décadents, qu’il nomme « décadisme », à « une pure fumisterie », à la fumisterie réduite à son plus simple appareil :

L’aventure du décadisme (car on dit à présent décadisme, de même qu’on a dit classicisme, romantisme et réalisme), demeurera, j’imagine, un des plus curieux chapitres de notre histoire littéraire. Bien des gens n’y veulent voir qu’une pure fumisterie. Je crains bien qu’ils ne se trompent. Le décadisme est la plus amusante manifestation de la grande névrose qui est le mal du siècle, et quelqu’un l’a définie à merveille : « Une attaque de nerfs sur du papier »106.

Qu’est-ce que serait de la fumisterie à son état le plus pur, s’il se résume à l’entreprise décadente (n’est visée ici que la seconde moitié des années 1880)? Du pastiche. Car les cibles des décadents, dont l’auteur de « Voyelles », ont été pastichées et ce, dans le but d’être imitées selon « les « valeurs » poétiques des décadents »; à propos des pastiches décadents de Rimbaud, Bruce Morrissette écrit ceci :

… le but des pasticheurs n’était pas avant tout de faire des faux convaincants de Rimbaud, mais d’écrire, de la façon la plus extravagante qu’ils osaient le faire, des sonnets rédigés dans le jargon déliquescent alors en vogue, et exprimant des attitudes décadentes. La poésie de Rimbaud ne les intéressait vraiment pas, et ce fait […] a exercé une influence maîtresse sur les imitations qu’ils ont produites. Leurs raisons de choisir Rimbaud comme « auteur » sont liées à leur convenance

105 Ibid.

106 Coriolis J., «Poètes décadents», La Gironde littéraire, article déjà cité dans Ibid., p. 106 (page non

et à leur flair de journalistes, non au désir de travailler de la même manière que Rimbaud.

L’examen des faux sonnets du Décadent […] révèle, dans une clarté dévastatrice, les « valeurs » poétiques des décadents107.

Les pastiches décadents obéissent à une « phraséologie » décadente qui utilise les cibles littéraires en tant qu’instrument de la doctrine décadente. Les décadents, précise Morrissette, ne font pas attention au style de Rimbaud, ne traitent pas Rimbaud en tant que « produit » déjà « codé » qui fait d’eux les initiateurs ou les ouvriers de ce code; ils le traitent plutôt comme leur code à eux108. Il n’y a donc pas de pastiche décadent - que des mystifications décadentes. Tel fut le sort de Rimbaud et de Baudelaire passés à la moulinette du « décadisme » (Coriolis), Rimbaud étant classé « écrivain « régulier », quelque peu excentrique, dans la tradition de Baudelaire, et s’exerçant à la phraséologie déliquescente, ou décadente » à la Floupette; Morrissette :

Le choix même de la forme sonnet pour pasticher Rimbaud montre combien peu on comprenait la vraie portée du style de Rimbaud en 1886. Rimbaud n’a composé qu’une douzaine de sonnets, avant 1870; il n’en a plus composé après; c’est une forme qu’il a vite abandonnée, à mesure que son génie poétique s’imposait à lui. Pour Raynaud et ses collaborateurs, ou complices du Décadent, Rimbaud n’est pas le poète des Illuminations et de Une Saison en Enfer, mais un poète « régulier », quelque peu excentrique, dans la tradition de Baudelaire, et s’exerçant à la phraséologie déliquescente, ou décadente109.

Ont connu un sort semblable d’autres fumistes – les Incohérents, par exemple, un groupe de peintres « non professionnels » dont les expositions d’« Art incohérent », qui ont eu lieu entre 1882 et 1893, étaient des parodies du Salon annuel de peinture : le spécialiste

107 Morrissette B., La bataille Rimbaud…, op.cit., Paris, Nizet, 1959, p. 16-17.

108 À propos du pastiche, Paul Aron écrit : « … tout produit codé, spécialisé, c’est-à-dire requérant un

savoir et une compétence qui en ferment l’accès au grand nombre, permet l’émergence d’une moquerie de complicité, émanant de ceux qui sont en train de s’initier au code, comme de ceux qui prétendent le faire évoluer. » (Le dictionnaire du littéraire, p. 443.)

du fumisme Daniel Grojnowski, disqualifiant d’abord le groupe en le réduisant à de la mystification « sociale », à une « blague provocatrice », parle, dans un article de 1981110, d’« avant-garde sans avancée », avant de préciser, quelque vingt ans plus tard dans le Dictionnaire du littéraire, quelques années après avoir énoncé la distinction entre les deux types de mystification111, que ce même groupe était plutôt à l’origine d’un art de la

mystification fumiste, une mystification qui n’existerait pas sans un « public

Documents relatifs