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Chapitre V. Discussion générale

3. Une démarche de recherche combinant production de connaissances, opérationnalité et

3.1. Les relations développées lors des phases analytique et d’accompagnement

Ce travail de thèse a été conduit en interaction avec de nombreux acteurs. Tout d’abord, avec un échantillon d’agrumiculteurs afin de rassembler le matériau nécessaire à la phase analytique. Ensuite, avec des représentants du Conseil Général pour tester la démarche d’aide à la réflexion pour la conception d’aides agricoles. Nous avons également impliqué les autres parties prenantes, en rencontrant en début et en milieu de projet les représentants de l’ensemble des acteurs officiels des filières fruitières réunionnaises. Nous avons ainsi présenté le travail d’enquête et proposé l’utilisation d’ENTICIP à la Chambre d’Agriculture, l’institut technique ARMEFLHOR, l’interprofession des Fruits & Légumes et la Direction de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt.

Il est essentiel que les acteurs trouvent un intérêt à participer à la démarche de recherche, ne serait-ce que pour consolider leur coopération à long terme. C’est également une des missions que se donne le CIRAD dans sa charte déontologique (Cirad, 2017). L’impact de notre travail pour les agriculteurs enquêtés est très indirect, dépendant de l’influence de notre démarche d’accompagnement sur les futures aides agricoles qui seront proposées aux agriculteurs réunionnais. Il nous est apparu important de restituer les résultats aux agriculteurs enquêtés en réalisant une brève vidéo de cinq minutes qui raconte le projet de thèse et ses principaux résultats, dont le lien internet a été envoyé aux trente et un agriculteurs par SMS2. La dizaine de réponses

reçue témoigne de l’accueil favorable de ce type de communication simple et rapide.

L’apport de ce travail est plus direct vis-à-vis des acteurs du Conseil Départemental. La thèse a abouti à un prototype d’outil permettant de rassembler de nombreuses connaissances sur un ou plusieurs systèmes productifs et de simuler une large gamme de scénarios d’aides agricoles et de contexte de marché. Elle a répondu à la demande initiale des acteurs réunionnais qui était de maintenir une activité de recherche sur les agrumes. Elle a permis de remettre à jour la

2 La video est hébergée sur le site Vimeo, disponible avec le mot de passe « tangor » au lien suivant :

124 connaissance sur les pratiques des agrumiculteurs et de la présenter sous l’angle nouveau des opportunités et contraintes pour la transition agroécologique.

Les nouvelles réglementations et chartes des instituts de recherche incitent les chercheurs à rendre publiques leurs données. Dans le cas de données d’enquêtes, cela nécessite d’obtenir l’accord explicite des enquêtés et de rendre les données anonymes. Cette clause de diffusion des données pourrait freiner la conduite de telles enquêtes lorsque l’anonymat s’avère difficile à garantir comme à La Réunion où « tout le monde se connait ». Dans cette thèse, nous aurions pu discuter plus précisément avec les enquêtés sur l’utilisation de leurs données, afin de distinguer les données qu’ils tiennent absolument à garder confidentielles de celles qu’ils acceptent de rendre publiques. Les données publiques ont l’avantage d’être valorisables par d’autres chercheurs. Et dans notre cas, rendre public les comptes rendus des ateliers d’utilisation d’ENTICIP pourrait éclairer le rôle du CIRAD auprès des acteurs de la filière et faire valoir son positionnement qui se veut objectif et neutre.

3.2. Complémentarités entre phases analytique et opérationnelle

La phase analytique de cette thèse a permis de confirmer que les aides agricoles, pourtant nombreuses à La Réunion, ne sont pas un moteur d’écologisation dans les exploitations. Ce phénomène est observable plus généralement à l’échelle de l’Union Européenne (Mili et al., 2017; Wier et al., 2002). En effet, les politiques agricoles européennes en sont à une étape paradoxale : elles commencent à encourager des systèmes agricoles plus respectueux de l’environnement mais continuent à soutenir le modèle productiviste développé après-guerre. Ces deux types de systèmes sont simultanément encouragés alors qu’ils correspondent à des orientations opposées, et cela nuit à l’efficacité des politiques environnementales. Par ailleurs, les formats actuels des aides environnementales semblent inadaptés dans certains contextes. Par exemple à La Réunion, certains montants d’aides des mesures agro-environnementales et climatiques sont largement inférieurs aux surcoûts estimés pour la mise en place des pratiques contractualisées, ceci à cause de plafonds d’aides fixés à l’échelle européenne (Figure 19). En s’appuyant sur une phase analytique couplée à un outil opérationnel, notre démarche permet de proposer trois pistes pour améliorer l’efficacité de ces aides environnementales.

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Figure 19 : Calcul pour le montant de l’aide à la Conversion à l’Agriculture Biologique extrait du Programme de Développement Rural Régional de La Réunion pour 2014-2020.

Une première piste d’amélioration consisterait à adapter les aides aux spécificités des productions en fonction de leurs potentiels d’écologisation. A notre connaissance, il n’y a pas de travaux de recherche centrés sur la comparaison des productions pour la conception d’aides environnementales adaptées. Or notre étude montre par exemple que dans les zones en altitude l’ananas AB est presqu’aussi rentable que l’ananas conventionnel, alors que le tangor AB l’est beaucoup moins que le tangor conventionnel. Ainsi, à un même montant d’aide seul l’ananas AB se développe.

Une deuxième piste d’amélioration consisterait à adapter les aides aux spécificités des exploitations, qui sont en général diverses dans une petite région comme La Réunion. Les effets des aides sont en effet variables selon les ressources des exploitations et les comportements des agriculteurs (Blazy et al., 2015; Defrancesco et al., 2008). Par exemple, l’adoption d’un contrat agro-environnemental peut dépendre de la main d’œuvre disponible sur l’exploitation ou de l’aversion au risque de l’agriculteur (Ridier et al., 2013). Cette diversité est traduite sous forme de contraintes dans un modèle bioéconomique d’exploitation comme ENTICIP, de même que la diversité des circuits de vente à la disposition des exploitations.

126 Enfin, une troisième piste consisterait à rendre flexible la temporalité des aides pour s’adapter aux dynamiques de changement des agriculteurs, dont les rythmes sont également divers. Par exemple, les contrats agro-environnementaux sont limités actuellement à une période de cinq ans, alors que les agriculteurs mettent en œuvre leurs changements sur des pas de temps parfois beaucoup plus longs. Chantre and Cardona (2014) ont signalé un pas de temps de plus de dix ans entre les phases d’ « Efficiency » et de « Redesign » dans les trajectoires de certains agriculteurs et nos résultats confirment que cette étape peut parfois prendre plus de quinze ans. D’un autre côté, le caractère non linéaire de certaines trajectoires avec des phases d’essai-erreur montre que ces contrats de cinq ans peuvent être un cadre trop strict freinant le changement. Proposer des contrats agro-environnementaux de durée variable pourrait être une solution innovante pour mieux s’adapter à la diversité des rythmes de changement des agriculteurs.

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