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Démarche ethnographique & observations en ligne sur Facebook, Twitter et Instagram

L’importance des « dispositifs médiatiques » dans la mise en scène de la lecture

3. Démarche ethnographique & observations en ligne sur Facebook, Twitter et Instagram

3.1. Un emprunt à la démarche ethnographique : présentation des objectifs de l’« observation en ligne »

Nous avons emprunté à la démarche ethnographique une partie de sa méthodologie pour observer ce qui, depuis les blogs et YouTube est publié mais aussi circule sur les dits « réseaux sociaux numériques » - Facebook, Twitter et Instagram – lesquels participent pleinement pour cette raison à la dynamique d’écriture des blogs et des chaînes YouTube. Par le biais de cette démarche nous souhaitions pouvoir replacer dans le contexte plus large des interactions quotidiennes sur les « réseaux sociaux numériques » ce qui, par l’analyse sémiotique et les entretiens semi-directifs, semblait « couper » d’un côté les blogs et les chaînes YouTube des dynamiques sociales dont ils se nourrissent une fois un article ou une vidéo publiée, et isoler les enquêtés de la dynamique « discursive » plus large à laquelle ils participent depuis les

« réseaux sociaux numériques ».

Comme le rappelle François Laplantine, (1996, 2015), la démarche ethnographique, inscrite dans une perspective anthropologique, constitue un mode de connaissance qui s’élabore à partir de l’observation rigoureuse des groupes humains avec lesquels nous entretenons un rapport personnel.

Courant lié aux « subaltern studies » motivé par l’étude et le témoignage des paroles oubliées comme le rappelle Sylvain Lefèvre70, la méthode ethnographique – définie ici à grands traits – repose notamment sur l’immersion du chercheur dans son terrain qui, interpellé par des

70 Dans le cadre du séminaire « La mouche sur le mur ? Position et rôle du chercheur dans l’enquête ethnographique » qui s’est tenu à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), en avril 2018.

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manières de faire, de se présenter, d’habiller l’espace etc., cherche à restituer un certain nombre de logiques sociales et structurelles à partir de ses observations.

Dans les années 1990, le développement d’Internet s’accompagne d’une émergence de réflexions autour de la méthodologie ethnographique, lesquelles nous intéressent plus particulièrement pour l’appréhension de notre objet de recherche. En effet, un certain nombre de recherches qui analysent les « communautés virtuelles », s’interrogent sur les principes méthodologiques à partir desquels il est possible de les appréhender. Dans ce contexte, Robert Kozinets, professeur en marketing qui s’intéresse « aux communautés de consommation [émergeant] à travers la communication virtuelle » (Sayarh, 2013, p231), expose en 1997 une démarche méthodologique qu’il nomme la « netnographie » (née de la contraction « network » et « ethnography »), directement inspirée de l’ethnographie et de ses principales étapes d’analyse que le chercheur adapte à son objet de recherche (Sayarh, 2013, p229). Comme le rappelle Vincent Berry dans son article :

« Dans cette approche, une ethnographie du virtuel se doit, comme toute ethnographie traditionnelle, de « rendre explicite « les allant de soi » et les façons tacites dont les gens font sens de cela dans leur vie. L’ethnographe se doit d’habiter dans un monde entre deux, à la fois indigène et étranger. » (Hine, 2000, p. 5).

Derrière le terme d’ethnographie du virtuel, il s’agit ainsi pour certains de parler d’observation sur la longue durée et d’insister sur la participation comme une condition sine qua non » (Berry, 2012).

Pourtant, cette vision de l’ethnographie du virtuel a été très discutée par d’autres chercheurs qui insistent quant à eux sur ce qui la distingue d’une « ethnographie classique » puisque, d’une part, le chercheur n’observe pas son terrain in situ mais derrière son écran d’ordinateur - et/ou de téléphone portable dans notre cas – et d’autre part, parce que ses observations ne se

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cantonnent « qu’à ce qui est sur l’écran, qu’à ce qui est produit en ligne » (Berry, 2012). Dans ce contexte, le chercheur observe moins des « pratiques » que des « textes » lus et écrits par les individus eux-mêmes. Au regard de ces divergences théoriques, il nous faut donc préciser quelle a été la place et le rôle des observations menées dans le cadre de notre thèse.

Tout d’abord, nos observations ne s’attachent ni à rendre compte des « pratiques » des blogueurs et/ou des booktubeurs ni du « fonctionnement » de la « communauté » ou encore d’une quelconque « culture de groupe ». En somme, nos observations ne prétendent pas à « une compréhension profonde du groupe social investi » (Sayarh, 2013, p232). En effet, dans notre cas, les observations se sont limitées à porter une attention particulière (i) aux dispositifs qui construisent l’espace signifiant des échanges (ii) ainsi qu’à ce qui est échangé entre les individus. Par ailleurs, nous n’avons pas interagi au sein de la « communauté » adoptant une posture distanciée et non participante, réduite à la lecture de publications, de commentaires ou au visionnage de vidéos et « stories » sur Instagram.

Ce que nous avons observé relève donc davantage (i) de notre propre expérience des dispositifs qui donnent corps à des « espaces textuels » dans lesquels (ii) les individus échangent des

« significations », c’est-à-dire certains des « contenus » (pour souligner ici la dimension formelle des « publications » que nous observions) mais aussi certains discours et certaines idées à propos de leurs lectures, de leurs pratiques sur les blogs, les chaînes YouTube et les

« réseaux sociaux numériques » ou sur des thématiques plus larges relatives à la lecture et la littérature.

Pour cela, nous avons mené des observations sur les blogs et YouTube, mais aussi sur lesdits

« réseaux sociaux numériques », Facebook, Twitter et Instagram. En effet, les blogueurs et/ou les booktubeurs de notre terrain y publient quotidiennement.

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Dans ce contexte, la pratique des « réseaux sociaux numériques » participe pleinement au blog et à la chaîne YouTube en tant que relai de communication pour annoncer une nouvelle publication ou encore, un moyen pour échanger avec la « communauté » et partager ses avis de lecture. Pour cette raison, il ne nous paraissait pas possible de décorréler, comme tendaient à le faire nos analyses sémiotiques, les blogs et les chaînes YouTube du recours aux « réseaux sociaux numériques ». Ainsi, les deux objectifs principaux de nos observations peuvent être résumés de cette manière :

(i) Une première phase d’observation a été investie d’une perspective exploratoire des dispositifs qui ne nous étaient pas connus, à savoir Twitter et Instagram, en plus d’une attention plus systématique portée à YouTube et Facebook que nous « pratiquions » déjà dans un contexte personnel. Au cours de cette première exploration dédiée à la création de nos profils et à la compréhension du fonctionnement général des différents dispositifs, nous avons multiplié les « abonnements » aux chaînes BookTube (dont celles présentes dans notre terrain) ainsi qu’aux comptes Facebook, Twitter et Instagram de chacun des booktubeurs. Dans ce contexte, les observations quotidiennes menées depuis YouTube, Facebook, Twitter et Instagram, devaient nous permettre d’appréhender les « logiques » des dispositifs, notamment celle des recommandations, en en faisant l’expérience. Et, bien que ces observations n’aient pas été systématisées sous la forme d’une grille, elles nous ont permis d’informer nos analyses sémiotiques - en prêtant une attention particulière aux logiques opaques de l’algorithme - ainsi que nos entretiens semi-directifs pour lesquels elles ont nourri la construction de notre guide d’entretien.