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La délégation par étapes : des biens aux personnes

Dans le document La sûreté aéroportuaire en France (Page 33-39)

Chapitre II : La place incontournable des acteurs privés dans la mise en œuvre

Paragraphe 1 : La sûreté aéroportuaire, « laboratoire » de la privatisation

B) La délégation par étapes : des biens aux personnes

La loi qui est venue externaliser pour la première fois des missions de sûreté date de 1989. Toutefois, dans les faits, certaines activités avaient déjà fait l’objet d’une délégation, comme

le rappelle Florence Nicoud3 : « Si certaines compagnies aériennes faisaient déjà appel à des entreprises privées afin d’assurer des missions de sûreté sur leurs vols, le recours systématique à des agents privés pour participer à la sûreté aéroportuaire résultera du vote de la loi du 10 juillet 1989 ». Cette loi vient modifier l’article L 282-8 du code l’aviation civile en permettant aux agents privés de « procéder à la visite des bagages, du fret, des colis postaux, des aéronefs et des véhicules » après un double agrément du préfet et du procureur de la République, et sous le contrôle d’un OPJ. Ainsi que l’a souligné M. Denis Mezzetta4, consultant chargé des questions opérationnelles auprès du SESA, en 1993 les agents n’avaient pas le droit de manœuvrer les machines, ni mettre les mains dans les bagages de passagers. Les services de l’Etat ont éprouvé dans un premier temps des difficultés, selon lui, a laisser des agents privés se charger de l’exécution matérielles des mesures de sûreté : « Quand on (les entreprises privées) a commencé à remplacer les services de l’Etat, il y a avait des craintes que des agents privés remplacent les agents publics. On a bien senti que, dans les premières années, la mise en place de procédures très détaillées avait pour objet d’enlever toute capacité de réflexion ou d’analyse ». Les agents privés eurent ainsi pour consigne de ne pas s’adresser directement aux passagers pendant le contrôle. L’Etat a eu du mal à gérer la transition.

Si les intervenants privés ont mis du temps à se faire accepter, leur travail se démarquait nettement par une plus grande efficacité. Le contrôleur général Siffert5, sous-directeur des affaires internationales, transfrontalières et de la sûreté à la DCPAF, rappelait que l’évolution sociologique de la police, avec des gardiens de la paix titulaires d’un baccalauréat, ne lui permettait plus d’assurer de pareilles tâches, ce qu’elle faisait très mal par ailleurs. De même, M. Denis Mezzetta évoque un exemple particulièrement marquant : « Les chiffres parlaient beaucoup. Je me rappelle d’une époque où en trois mois d’exploitation, on était seuls sur les postes, on a retirés plus d’articles prohibés qu’en un an avec les services de l’Etat ». Progressivement, les agents privés se sont parfaitement intégrés dans le paysage aéroportuaire.

La loi du 26 février 1996 relative aux transports va étendre leurs prérogatives en les autorisant de procéder à la visite des personnes. L’article 282-8 du code de l’aviation civile est

3 Florence Nicoud, La participation des personnes privées à la sécurité privée : actualité et perspectives » RDP,

2006, p 1247 à 1274.

4 Entretien réalisé le 15 mars 2016. 5 Entretien réalisé le 22 mars 2016.

ainsi modifié : « En vue d’assurer préventivement la sûreté des vols, tant en régime national qu’international, les officiers de police judiciaire et, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire peuvent procéder à la visite des personnes, des bagages, du fret, des colis postaux, des aéronefs et des véhicules pénétrant ou se trouvant dans les zones non librement accessibles au public des aérodromes et de leurs dépendances. Ils peuvent aussi faire procéder à cette visite sous leurs ordres : […] Et éventuellement par des agents de nationalité française ou ressortissants d’un Etat membre de la Communauté européenne, que les entreprises de transport aérien ou les gestionnaires d’aérodromes ont désigné ou fait désigner par des entreprises liées par un contrat de louage de services pour cette tâche ; ces agents devront avoir été agréés par le représentant de l’Etat dans le département et le procureur de la République ; leur intervention sera limitée, en ce qui concerne la visite des personnes, à la mise en œuvre des dispositifs automatiques de contrôle, à l’exclusion des fouilles à corps et de la visite manuelle des bagages à main. ». Cette intervention demeure encore largement limitée mais illustre le mouvement de retrait progressif de l’Etat dans l’exécution matérielle de sûreté. La loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne va aller encore plus loin dans les délégations autorisées puisqu’elle va ouvrir des possibilités de nouvelles fouilles en encadrant notamment les palpations et la fouille des bagages. Cette loi, adoptée à la suite des attentats du 11 septembre 2001, devait s’appliquer jusqu’au 31 décembre 2003. Elle fut prolongée par la loi du 18 mars 2003 pour une période de deux ans, avant qu’une ordonnance ne vienne l’entériner en modifiant l’article 282-8 du code de l’aviation civile : « (…) sont également habilités à procéder à ces fouilles et visites, sous le contrôle des officiers de police judiciaire ou des agents des douanes, les agents de nationalité française ou ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne désignés par les entreprises de transport aérien, les exploitants d'aérodromes ou les entreprises qui leur sont liées par contrat. Ces agents doivent être préalablement agréés par le représentant de l'Etat dans le département et le procureur de la République. Ils ne procèdent à la fouille des bagages à main qu'avec le consentement de leur propriétaire et à des palpations de sécurité qu'avec le consentement de la personne. Dans ce cas, la palpation de sécurité doit être faite par une personne du même sexe que la personne qui en fait l'objet ».

On note à ce propos un changement important de la fonction des agents étatiques : ils ne dirigent plus l’activité privée par des « ordres » mais par un « contrôle », ce qui traduit un changement de paradigme.

Le 14 mars 2011, la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) va modifier l’article L.6342-2 du code des transports qui dispose que : « Ces fouilles et visites peuvent être réalisées, avec le consentement de la personne, au moyen d’un dispositif d’imagerie utilisant des ondes millimétriques dans les conditions visées à l’alinéa précédent. En cas de refus, la personne est soumise à un autre dispositif de contrôle. L’analyse des images visualisées est effectuée par des opérateurs ne connaissant pas l’identité de la personne et ne pouvant visualiser simultanément celle-ci et son image produite par le scanner corporel. L’image produite par le scanner millimétrique doit comporter un système brouillant la visualisation du visage. Aucun stockage ou enregistrement des images n’est autorisé. Un arrêté conjoint du ministre chargé de l’aviation civile et du ministre de l’intérieur détermine les aéroports dans lesquels le recours au contrôle par dispositif d’imagerie utilisant les ondes millimétriques est autorisé […] ».

Enfin, une ordonnance de 2012 6 va venir insérer l’article L.6342-4 du code des transports, abrogeant l’article L.282-8 du code de l’aviation civile. Cet article constitue le fondement de la définition de l’activité des activités privées de sécurité : « I.-Les opérations d’inspection- filtrage prévues par les mesures de sûreté mentionnées à l’article L.6341-2 peuvent être exécutées par les officiers de police judiciaire et, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux- ci, les agents de police judiciaire et les agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux 1°, 1° bis et 1° ter de l’article 21 du code de procédure pénale ainsi que les agents des douanes. A cet effet, ils peuvent procéder à la fouille et à la visite par tous moyens appropriés des personnes, des bagages, du courrier postal, des colis postaux, du fret, des approvisionnements de bord, des fournitures destinées aux aérodromes, des aéronefs et des véhicules pénétrant ou se trouvant dans la zone côté piste des aérodromes et dans tout autre lieu où sont mises en œuvre les mesures de sûreté précitées, ou sortant de ceux-ci » et, en second lieu, que : « II.- Les opérations d’inspection-filtrage des personnes, des objets qu’elles transportent et des bagages ainsi que les opérations d’inspection des véhicules peuvent être réalisées, sous le contrôle des officiers de police judiciaire et des agents des douanes, par des agents de nationalité française ou ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne, désignés par les entreprises ou organismes mentionnés à l’article L.6341-2 ou les entreprises qui leur sont liées par contrat. Ces agents doivent avoir été préalablement agréés par le représentant de l’Etat dans le département et le procureur de la République. Ils ne procèdent à la fouille des

bagages à main et des autres objets transportés qu’avec le consentement de leur propriétaire et à des palpations de sûreté qu’avec le consentement de la personne. La palpation de sûreté est faite par une personne du même sexe que la personne qui en fait l’objet. V.- Les mesures d’inspection-filtrage du courrier postal, des colis postaux, du fret, des approvisionnements de bord, des fournitures destinées aux aérodromes ainsi que les inspections d’aéronefs peuvent être réalisées par des agents autres que ceux mentionnés aux I et II. Ces agents sont titulaires de l’habilitation mentionnée à l’article L.6342-3 ».

Les agents privés se sont donc imposés comme les principaux exécutants de la sûreté, pendant que les services de l’Etat se mettaient à assumer une mission de direction et de contrôle de leurs activités. L’évolution de l’attitude des agents de sûreté traduit ce nouveau rapport avec les autorités publiques. Ainsi, quand les agents privés travaillaient « sous les ordres » d’un OPJ, ils avaient tendance à faire appel de manière récurrente aux services de l’Etat et souvent pour des raisons mineures. Or, ces derniers n’étaient pas systématiquement mieux placés pour résoudre une difficulté. M. Denis Mezzetta7 relate que, dans les années 1990, ils avaient du faire appel à des policiers qui s’étaient retrouvés aussi désemparés que les agents privés : « Il nous est arrivé d’avoir des difficultés avec des PHMR (personnes handicapées à mobilité réduite) : on arrivait en fin de process (c’est-à-dire à l’issue du processus de filtrage) et on ne savait plus ce qu’il fallait faire (le doute persistait). On a donc fait appel à un agent de l’Etat (…) qui n’avait pas forcément une meilleure solution à apporter ».

Avec le changement de la règlementation en vigueur, les agents privés travaillent dorénavant « sous le contrôle » des services compétents de l’Etat, ce qui a fondé une plus grande autonomie. Leurs interventions sont devenues moins fréquentes et demeurent un dernier recours8. Ainsi par exemple, si un passager refuse de se faire contrôler, les agents pourront d’abord appeler un superviseur qui tentera de le convaincre. Ce n’est que dans le cas d’un refus catégorique que l’accès lui sera refusé et, s’il tente de forcer le passage, que l’on fera appel à un agent des forces de l’ordre. A cet égard, la règlementation européenne prévoit que, en cas doute, l’accès pourra être interdit au passager « à la satisfaction de l’agent de sûreté »9.

7 Entretien du 15 mars 2016.

8 La décision des autorités publiques, en réaction aux mouvements sociaux de 2011 ayant conduit de nombreux

agents à se mettre en grève, à faire appel aux forces de l’ordre pour exécuter les mesures de sûreté en est une illustration.

9« Lorsque l’agent de sûreté ne peut déterminer si un passager transporte ou non des articles prohibés, ce

dernier est interdit d’accès aux zones de sûreté ou est à nouveau soumis à une inspection/un filtrage, à la satisfaction de l’agent de sûreté ». (point.4.1.1.2) du règlement (UE) n° 185/2010 de la Commission en date du 4

La notion de « satisfaction » pose juridiquement des questions car elle n’est pas précisée par les textes. Cette absence de définition peut conduire à des impasses. Comme le soulevait M. Denis Mezzetta : « On arrive parfois à des blocus qui arrivent en fin de processus de levée de doute : on a mis en œuvre les équipements, les procédures mais le doute n’est pas levé. On se retrouve donc bloqués. Les services de l’Etat eux-mêmes, parfois, ne souhaitent pas intervenir. On doit donc trouver une solution en appliquant une notion fondée sur le bon sens, ce qui, pour un agent, est très compliqué ».

Concernant la sûreté du fret, le code de l’aviation civile fut modifié par la loi de 1996 qui créa l’article L.321-7 (apparition des concepts « d’expéditeur connu », « d’agent habilité » et de « chargeur connu »). Les considérations de sûreté ont été intégrées par les fabricants dans le processus de transport du fret.

La sûreté aéroportuaire a un coût et sa prise en charge par les opérateurs privés a pu, dans un premier temps, être mal accueillie. Un rapport du Conseil général de l’Environnement et du Développement durable 10 rappelle que, en 2014, les dépenses de sûreté représentaient près de 9 € par passager. Cette charge concernait à 72% des charges de personnel. De même, les compagnies aériennes devaient mettre en œuvre leurs propres mesures de sûreté et payer la taxe aéroport (TAP).

En ce sens, le rapport met en relief la croissance continue de la part de la sûreté au sein de la TAP : « Le montant de la TAP a crû considérablement depuis sa mise en place puisque les dépenses qu’elle finance sont passées de 166 M € en 2000 à 931 M € en 2013 et devraient s’élever à 964 M € fin 2014. Les dépenses de sûreté sont passées sur la période 2000 à 2013 de 90 M € à 739 M € et celles de sécurité incendie (hors champ du présent rapport) de 76 M € à 192 M€ ».

Certains ont ainsi vu dans le transfert des missions de sûreté de l’Etat aux exploitants un poids supplémentaire et un risque de déstabilisation des entreprises : « confronté à une menace en mutation rapide et sans doute dans un souci d’efficacité, le gouvernement français tente de transférer des prérogatives régaliennes vers des opérateurs privés. Cela risque de fragiliser

mars 2010 fixant des mesures détaillées pour la mise en œuvre des normes de base communes dans le domaine de la sûreté de l’aviation civile.

10 Etude de parangonnage sur le coût et le financement de la sûreté aéroportuaire, Conseil général de

les entreprises françaises face à la concurrence internationale ».11

Un rapport de la Cour des comptes de 2008 12 soulignait quant à lui que « Les dispositions qui s'imposent dans le domaine de la sûreté (prévention des actes délictueux) rendent la gestion aéroportuaire plus complexe et plus coûteuse. Les dépenses ont quadruplé depuis 2001 pour atteindre 563 M€ en 2007 et représentent une part de plus en plus importante des charges d'exploitation. Le recours mal maîtrisé à la sous-traitance, couplé à la faible concurrence entre intervenants dans ce secteur, se traduit fréquemment par des dérives de coûts et de prestations ».

A ce propos, M. Denis Mezzetta13 souligne que les services de l’Etat ont eu des difficultés à concevoir que les entreprises puissent se faire des marges importantes en termes de bénéfices dans le domaine de la Sûreté.

Enfin, il n’a pas été question de revenir en France, bien au contraire, à un retour de l’Etat dans la mis en œuvre des mesures de sûreté 14contrairement au choix des Etats-Unis, après les attentats du 11 septembre 2001, de recruter 60 000 agents publics chargés de l’inspection filtrage et de les regrouper au sein de la Transportation Security Administration (TSA). La sûreté privée des plates-formes a aujourd’hui atteint une grande maturité et constitue un secteur économiquement très important.

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