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Chapitre IV. Les bases moléculaires de la réception olfactive périphérique

IV.4. La dégradation et/ou l inactivation du signal chimique par les Odorant-Degrading Enzymes (ODE) 45

La terminaison du signal joue un rôle primordial dans la dynamique très rapide de la réponse des NRO à une stimulation olfactive. Pour assurer cette fonction essentielle, il y aurait au niveau périphérique un mécanisme d inactivation rapide du signal, nécessaire pour répondre à des stimulations périodiques fréquentes. Plusieurs mécanismes pourraient assurer cette étape de terminaison du signal : l internalisation des ligands par les RO après stimulation, la séquestration des ligands dans la poche de liaison hydrophobe des OBP (rôle de scavenger), ou la dégradation enzymatique rapide des ligands par des Odorant-Degrading Enzymes (ODE) présentes dans la lymphe sensillaire.

IV.4.1. Une diversité d activités enzymatiques de dégradation antennaires

Chez les lépidoptères, le phénomène de dégradation enzymatique antennaire des phéromones est connu depuis plus de trente ans chez B. mori [127] et Trichoplusia. ni [128] [129]. Depuis ces études pionnières, de nombreuses activités enzymatiques antennaires ont été montrées par des approches biochimiques chez d autres espèces de lépidoptères, activités principalement de type estérase [56] [130], aldéhyde oxidase (AOX) [131] [132], alcool oxidase/déshydrogénase [133] et époxide hydrolase [134]. Les phéromones étant généralement constituées de molécules à fonction acétate, alcool, aldéhyde ou époxyde, il n est guère étonnant de retrouver des activités enzymatiques antennaires spécifiques de ces composés. Ainsi, la première ODE caractérisée par une approche biochimique fut l estérase sensillaire d A. polyphemus, ApolSE [56], dont le composé phéromonal majoritaire est un acétate, le (E,Z)-6,11-hexadecadienyl acétate (E6,Z11-16 :Ac). Ces études menées chez des espèces de lépidoptères nocturnes utilisant des composés phéromonaux de nature chimique variée ont permis de démontrer la présence de différents types enzymatiques antennaires capables de dégrader les composés phéromonaux des espèces considérées. Cela est particulièrement bien illustré chez A. polyphemus dont l estérase et l AOX, toutes deux extracellulaires et localisées dans les sensilles olfactives, seraient capable de dégrader les deux composés phéromonaux à fonction acétate et aldéhyde de façon très spécifique [130] [132].

Cependant, la vitesse de la dégradation enzymatique des phéromones est controversée. En effet, des résultats contradictoires ont été obtenus chez différentes espèces au cours d études sur les cinétiques de dégradation in vitro qui ont permis d estimer le temps de demi-vie de composés phéromonaux en présence d extraits antennaires bruts ou de Pheromone-Degrading Enzymes (PDE) spécifiques plus ou moins purifiée. Ainsi, chez A. polyphemus, ces études ont montré que la demi-vie in vivo de la phéromone pouvait être estimée autour de 15 ms [130], ce qui est compatible avec une inactivation rapide du signal. De même, cette demi-vie de la phéromone a été estimée chez M. sexta autour de 0,6 ms [131]. Par contre, chez le ver à soie, des études ont démontré une dégradation enzymatique in vitro lente du Bol par les extraits antennaires, autour de 2,5 min, clairement incompatible avec l implication des ODE dans le processus de terminaison rapide du signal [133]. Ces résultats chez B. mori laissaient donc supposer que d autres protéines pourraient jouer un rôle dans ce processus (OBP, RO). Plus récemment, la caractérisation biochimique et moléculaire d une estérase impliquée spécifiquement dans la dégradation d un composé phéromonal à fonction acétate chez A. polyphemus, ApolPDE, a permis de démontrer in vitro que la protéine recombinante est capable de dégrader le composé acétate avec des paramètres cinétiques compatibles avec une inactivation très rapide du signal [135]. Ces travaux ont permis de renforcer l hypothèse

d un rôle prépondérant des PDE dans la terminaison rapide du signal, sans toutefois exclure un rôle complémentaire des OBP, RO ou encore des SNMP, même si cela doit encore être démontré.

De façon surprenante, peu d études s intéressent aux ODE comparé aux RO et aux OBP. Bien que les propriétés cataboliques des PDE envers les phéromones soient maintenant démontrées chez certains lépidoptères, très peu de données moléculaires sont disponibles. Les activités enzymatiques étant corrélées à la nature chimique des composés phéromonaux à dégrader, selon les espèces, différentes classes d enzymes peuvent être impliquées. Ainsi, chez les Lépidoptères, des estérases chez A. polyphemus (ApolPDE, ApolSE et ApolIE) [56] [130] [136], M. brassicae (MbraEST) [137], S. littoralis (SlitEST) et S. nonagrioides (SnonEST) [138], des enzymes à cytochrome P450 chez M. brassicae (CYP4S4, CYP4L4, CYP9A13 et CYP4G20) [139], une aldéhyde oxidase chez M. brassicae (MbraAOX) [140] et une gluthation-S-transférase (GST) [141] ont été clonées et séquencées.

IV.4.2. Dégradation de la phéromone chez le ver à soie

Chez B. mori, deux activités enzymatiques ont été mises en évidence dans les extraits antennaires, une activité de type alcool oxidase/déshydrogénase et une autre de type aldéhyde oxidase, les enzymes correspondantes pouvant naturellement être impliquées respectivement dans la dégradation de l alcool (Bol) [133] et de l aldéhyde (Bal) [132]. De manière intéressante, des traces de Bal ont été identifiées parmi les produits de dégradation du Bol par des extraits antennaires, indiquant que le composé minoritaire pourrait constituer également un intermédiaire de catabolisme du composé majoritaire [133]. Les propriétés biochimiques des enzymes pouvant dégrader le Bal ont été étudiées de façons plus approfondies chez M.

sexta [131], A. polyphemus et B. mori [132]. Chez ces trois espèces, une bande

antenne-spécifique correspondant à une AOX potentielle a été identifiée par électrophorèse protéique native et révélation colorimétrique. Cette enzyme a été trouvée dans les antennes des deux sexes mais de façon plus abondante chez les mâles. Ces AOX antennaires sont des enzymes solubles, possédant une masse moléculaire autour de 150 kDa et qui s organisent en dimères chez M. sexta. De plus, elles se sont révélées être localisées dans la lymphe sensillaire chez A.

polyphemus et M. sexta (non testé chez B. mori). Chez les trois lépidoptères étudiés, l enzyme

correspondante a été démontrée comme capable de dégrader des composés aldéhydiques à longue chaîne, incluant le Bal. Cependant, les PDE correspondantes n étaient pas encore isolées au moment de ma thèse.

Les PDE pourraient constituer de bonnes cibles moléculaires pour des approches intégrées de lutte biologique contre les insectes nuisibles. En effet, les phéromones sont constituées de différents odorants qui sont perçus comme un mélange précis par les NRO des sensilles olfactives, donc l inhibition d une PDE pourrait modifier la composition du mélange dans la lymphe sensillaire et ainsi perturber la perception de la phéromone toute entière et par conséquent la reproduction. Cependant, les PDE appartenant à des familles de protéines largement distribuées chez les animaux (estérases, P450 ), seuls des inhibiteurs spécifiques d une PDE pourraient être utilisés, afin d éviter de perturber d autres cibles. A titre d exemple, les résultats obtenus chez le coléoptère Phyllopertha diversa ont montré, en utilisant un inhibiteur d enzymes à cytochrome P450 olfactifs, qu il était possible de bloquer

in vivo la réception de la phéromone chez les mâles [142]. Chez cette espèce, une activité

enzymatique antennaire de dégradation de la phéromone basée sur l implication de P450 spécifiquement exprimés chez les mâles avait été identifiée [143]. Cependant, les P450 étant extrêmement répandus dans le règne vivant, il n est guère envisageable de cibler cette famille

enzymatique sans perturber d autres processus physiologiques chez l espèce cible ainsi que chez de nombreuses espèces non cibles.

Etudier la diversité et la spécificité des ODE appartenant aux différentes classes enzymatiques devrait contribuer à une meilleure compréhension de l implication de ces protéines dans la dégradation et/ou l inactivation des molécules odorantes, et particulièrement des phéromones. Cela nécessite donc d en caractériser de nouvelles, aux niveaux moléculaire, biochimique, et fonctionnel.

Chapitre V. L apport du modèle insecte dans l étude de la réception