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III. Vers une modélisation basée sur les densités de dislocations : validation en déformation

2.1. Déformation monotone des monocristaux CFC

2.1.1. Mécanismes et systèmes de glissement

Dans les matériaux cristallins, la déformation plastique résulte principalement du mouvement des dislocations dans leurs plans de glissement. Les dislocations mobiles sont produites par des mécanismes de multiplication comme les moulins de Frank et peuvent être éliminées soit en surface en y laissant une marche résiduelle, soit annihilées par recombinaison avec d’autres dislocations de signes opposés. Par ailleurs, cette annihilation étant incomplète, les dislocations peuvent être bloquées par interaction avec différents obstacles, notamment avec d’autres dislocations dites de la « forêt ». Ces dislocations sont ainsi stockées dans le cristal induisant un durcissement du matériau.

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Pour une étude plus complète des mécanismes de plasticité, le lecteur peut se référer aux ouvrages de François, Pineau et Zaoui (1991) et de Friedel (1964).

Dans le cas des métaux et alliages CFC, les dislocations peuvent glisser sur 12 systèmes de glissement différents, correspondant à 4 plans de type {111} et 3 directions pour chaque plan de type <110>. Ces systèmes sont rappelés dans TAB.III-1, selon les notations de Schmid et Boas (1935).

Système A2 A3 A6 B2 B4 B5 C1 C3 C5 D1 D4 D6

Plan 11¥1¥ 111 111¥ 11¥1

direction 01¥1 101 110 01¥1 101¥ 11¥0 011 101 11¥0 011 101¥ 110

TAB.III-1 : Définitions des systèmes de glissement du cristal CFC. Schmid et Boas (1935)

La contrainte résolue sur un système de glissement (s) est reliée à la contrainte macroscopique (à l’échelle du monocristal) via le tenseur de d’orientation m§:

τ§= σ ∶ m§

Le tenseur m§ décrit les caractéristiques géométriques du système de glissement s par la relation suivante :

=1

2 ( ‘⊗ {‘B {‘⊗ ‘)

et { sont respectivement la direction unitaire de glissement et la normale unitaire au plan de

glissement.

2.1.2. Stades de déformation des monocristaux CFC en traction monotone uni-axiale

Pour les monocristaux de structure cubique à faces centrées, la courbe de traction présente trois stades caractéristiques. Ces stades sont schématiquement illustrés sur la figure FIG.III-1a. La figure FIG.III-1b présente les courbes de tractions expérimentales obtenues sur des monocristaux de cuivre de différentes orientations cristallographiques (Kocks and Mecking, 2003).

Stade I : appelé aussi stade de glissement facile, est caractérisé par un faible taux d’écrouissage (µ/3000) et de faibles densités de dislocations (jusqu’à 10 m dans le cuivre à 300K, (Sauzay and Kubin, 2011)). Seul le système primaire est activé et les dislocations mobiles sur ce système interagissent avec la densité des dislocations de forêt initiale du cristal. La densité des dislocations immobiles augmente progressivement avec la déformation plastique et des phénomènes d’annihilation se produisent. La microstructure est formée essentiellement de denses paquets de dislocations (bundles) parallèles à la ligne de dislocation coin du système primaire (Chiu and Vessyière, 2008). Ces paquets contiennent une densité importante de boucles prismatiques ainsi que

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de longues lignes de type coin souvent crantées et une faible densité des dislocations vis due à leur annihilation mutuelle par glissement dévié.

Stade II : ce stade se caractérise par l’activation du système secondaire. Les interactions entre dislocations primaires et secondaires se multiplient et forment des barrières de type Lomer-Cottrell (Hirth and Lothe, 1992). La densité des dislocations immobiles (stockées) augmente significativement induisant un fort taux d’écrouissage, de l’ordre de µ/300. La microstructure de dislocations devient de plus en plus complexe, avec la formation de zones denses, plus ou moins parallèles au plan du système primaire et contenant les dislocations primaires et secondaires ainsi que des jonctions. Ces zones sont séparées par des régions de faible densité de dislocations.

Stade III : ce stade se caractérise par une réduction du taux d’écrouissage qui devient semi- parabolique. Les contraintes étant élevées, des mécanismes d’annihilation et de restauration dynamique s’activent. La valeur de la contrainte seuil |ªªª est généralement admise comme la contrainte critique pour l’annihilation des dislocations vis par glissement dévié. Cette contrainte dépend fortement de la température (Mitchell, 1964) ainsi que de l’énergie de défaut d’empilement (Sansal, 2007).

FIG. III-1 : (a) courbe de déformation typique d’un monocristal CFC (Sansal, 2007). (b) courbes de traction expérimentales de monocristaux Cu de différentes orientations à température ambiante (Kocks and Mecking, 2003).

2.1.3. Interactions entre dislocations

Le durcissement dans les métaux CFC est directement lié aux interactions entre dislocations. Il existe différents types d’interaction entre les systèmes de glissement. Seules les dislocations dont les lignes sont sécantes, dites arbres de forêts, sont considérées comme obstacles potentiellement durcissant. Dans le cas des dislocations parfaites dont les systèmes sont sécants, ces interactions peuvent conduire à différentes configurations, toutes conduisant à la formation d’un nouveau segment appelé jonction. Les travaux de Saada (1960) et de Friedel (1964) stipulent, en effet, que la formation

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d’une jonction est accompagnée d’une minimisation de l’énergie totale des lignes de dislocations. On distingue trois types de jonction : la jonction de Hirth, la jonction glissile et la jonction de Lomer. En plus des interactions entre systèmes sécants, trois autres interactions peuvent avoir lieu, à savoir : l’interaction d’un système avec lui-même (auto-écrouissage), l’interaction entre systèmes coplanaires et enfin l’interaction entre un système et son système dévié (colinéaire).

De nombreuses études ont été menées afin de décrire et de quantifier expérimentalement ces différentes interactions. Basinski and Basinski (1979) ont proposé un premier classement des interactions entre systèmes de glissement en compilant des résultats obtenus sur du cuivre en glissement simple. Selon cette synthèse, les interactions de type Lomer, glissile et colinéaire seraient très fortes, l’interaction de Hirth serait forte tandis que l’interaction coplanaire serait faible. Plus tard, Franciosi et al. (1980) puis Wu et al. (1991) ont menés des essais de traction avec changement de trajet sur des monocristaux de cuivre, le but étant d’estimer l’écrouissage latent. Le principe consiste à pré-déformer le monocristal en glissement simple afin de densifier en dislocations un des systèmes de glissement. Ensuite, un nouvel axe de chargement est choisi de manière à se trouver en glissement simple sur un des systèmes sécants au premier. A l’issue de cette étude, Franciosi et al. (1980) ont proposé un classement des interactions très différent de celui de Basinski and Basinski (1979). Ainsi, l’interaction de Lomer serait la plus forte, ensuite l’interaction de type glissile et enfin les interactions de types Hirth, coplanaire et colinéaire seraient les plus faibles. En 1991, Bassani and Wu (1991) ont proposé à partir de leurs résultats expérimentaux un nouveau classement de ces interactions, par ordre croissant : auto-écrouissage, colinéaire, Hirth, coplanaire, glissile et Lomer. De plus, Franciosi (1978, 1984) a proposé une écriture de ces interactions sous forme d’une matrice symétrique (FIG.III-2). Les termes diagonaux de la matrice (h ) représentent l’auto-écrouissage. Les autres coefficients caractérisent l’interaction coplanaire (h ), la jonction de Hirth (h ), l’interaction colinéaire (hn), la jonction glissile (h`) et les verrous de Lomer (h]).

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2.1.4. Effet de l’orientation cristalline

Il est généralement admis que le durcissement des métaux est essentiellement dû aux interactions entre dislocations dont les systèmes de glissement sont sécants. Ceci induit un lien étroit entre le durcissement et le nombre de systèmes activés dans le cristal. Ainsi, les monocristaux orientés pour glissement simple se caractérisent par un faible taux d’écrouissage tandis que les monocristaux [111] et [001] ont un taux d’écrouissage largement supérieur à celui des autres orientations cristallines [(Göttler, 1973), (Takeuchi, 1975)]. FIG.III-3 présente les courbes de traction obtenues sur des monocristaux de cuivre de différentes orientations cristallines. On note un effet important de l’orientation sur les courbes de tractions indépendamment de la température (Takeuchi, 1976a et 1976b).

L’étude des caractéristiques de l’écrouissage des monocristaux de cuivre a mené Takeuchi (1975) à classifier ces derniers en 4 types, en fonction de la combinaison des vecteurs de glissement actifs : [001], [111], [101]-[212] et [112]. De même, Davis et al. (1957) ont mis une évidence l’effet de l’orientation sur les courbes d’écrouissage pour des monocristaux d’aluminium. Karaman et al. (2001) ont réalisé des essais de traction sur des monocristaux d’un acier austénitique inoxydable 316L pour trois orientations cristallographiques : [123], [001] et [111]. Les trois orientations se caractérisent par un stade I (glissement facile) assez rapide, bien que cette région soit plus étendue pour l’orientation [123]. Le taux d’écrouissage est faible pour le monocristal [123] comparé aux deux autres orientations, et l’activation du glissement simple induit la formation d’une structure de dislocations planaire. Des fautes d’empilement et des macles sont également observées. Quant aux monocristaux [111] et [100], le glissement multiple est détecté dès les premiers stades de la déformation plastique avec le développement d’une microstructure formée principalement de fautes d’empilement et de macles (FIG.III-4).

FIG. III-3 : Courbes de traction expérimentales obtenues sur des monocristaux de cuivre de différentes orientations et à deux températures, 22°C et 400°C (Takeuchi, 1975)

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FIG. III-4: Observations MET sur des monocristaux de l’acier 316L déformés en traction à température ambiante. (a) et (b) présentent respectivement des macles et des défauts d’empilement observés dans un monocristal [111] déformé jusqu’à

3%. (c) microstructure développée dans un monocristal [123] déformé jusqu’à 25% (Karaman et al., 2001)

La dépendance du comportement en traction vis-à-vis de l’orientation cristalline ne se limite pas aux monocristaux mais concerne également les grains dans les polycristaux. En effet, de nombreux travaux, menés sur des polycristaux d’aluminium, de cuivre [(Huang and Winther, 2007), (Huang and Hansen, 1997)] et de nickel (Hansen et al., 2001), ont démontré le rôle clé des orientations des grains formant le polycristal dans la formation et l’évolution de la microstructure. Ainsi, en traction, on peut distinguer trois domaines d’orientation correspondants à trois microstructures différentes, comme le montre la figure FIG.III-5 :

Type 1 : cette microstructure se forme dans les grains situés dans la zone centrale du triangle standard. Elle est constituée de joints géométriquement nécessaires (GNDs) droits et alignés selon un plan de glissement qui change d’une zone à l’autre.

Type 2 : cette microstructure se développe dans des grains ayant une orientation proche de [100]. Elle se caractérise par la formation de cellules equiaxes et une faible densité de GNDs.

Type 3 : cette microstructure caractérise les grains d’orientation proche de [111]. Elle est constituée de cellules de dislocations allongées dont les murs ne présentent pas de caractère cristallographique.

Cette corrélation entre l’orientation cristalline du grain et la structure des dislocations qui s’y développe a été démontrée expérimentalement aussi bien pour les matériaux à forte et moyenne énergie de faute d’empilement (EDE) (Al (Huang and Winther, 2007)) et Ni (Haddou, 2003)) que pour des polycristaux à plus faible EDE (Cu (Huang and Winther, 2007) et acier 316L (Gaudin, 2001)).

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FIG. III-5: Effet de l’orientation des grains sur la microstructure formée pour un polycristal d’aluminium avec une taille de grain de 300µm, déformée jusqu’à 34% à température ambiante (Sauzay and Kubin, 2011)