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3. L’IRONIE ET LE SARCASME

3.3 Définition de l’ironie et du sarcasme

« I will refrain from engaging in the vain attempt to define irony » (Bara, 2010). Si la recherche semble s’accorder sur le fait qu’il est très difficile de définir ce qu’est l’ironie, il nous paraît toutefois justifié de présenter quelques pistes qui permettraient, à défaut de la définir, au moins de mettre en place un cadre qui nous sera utile pour notre expérience. L’ironie, donc, consiste généralement en une locution orale

6 https://www.internetworldstats.com/stats.htm [Consulté le 20 Mai 2019]

ou écrite qui présente une position intellectuelle, une attitude ou une description à propos de la réalité qui est d’une manière ou d’une autre, contraire à cette réalité (Herbert, 2017). Toujours selon la définition proposée par Herbert, l’ironie permet d’exprimer d’une manière acceptable une position négative. Le sarcasme, selon lui, est une forme d’ironie qui est associée à cette négativité. Moncelet, quant à lui, définit le sarcasme comme étant la forme la plus acerbe de l’ironie (Moncelet, 2006). Mateo, en revanche, postule que la grande différence entre l’ironie et le sarcasme est que l’ironie représente faussement l’intention du message afin de présenter la contradiction entre ce qui est dit et ce qui est pensé comme étant normale (tout en restant compréhensible pour le lecteur), alors qu’avec le sarcasme, le message semble être parfaitement sincère et ne fait état d’aucune contradiction visible (Mateo, 1995).

La différence qui existe entre ces deux notions est donc plutôt compliquée à définir, d’autant plus que la recherche ne s’accorde pas à utiliser un terme plutôt qu’un autre. Le corpus que nous avons utilisé pour notre recherche est qualifié de « sarcastique » par Filatova. Or, dans l’article de Buschmeier et al (2014) ceux-ci parlent de commentaires ironiques. Il précise ensuite que le corpus est composé de commentaires sarcastiques et ironiques sans pour autant expliciter ce qui différencie les deux termes.

Po-Ya Angela (2013), elle, a tenté dans son étude – à l’aide d’un autre corpus composé de tweets- de souligner les différences entre les énoncés qui étaient taggués « #irony » et les énoncés qui étaient taggués « #sarcasme » sur Twitter. Sa conclusion est que le sarcasme est toujours conscient alors que l’ironie peut arriver malgré le locuteur. De même, l’ironie peut aussi être utilisée pour parler d’un événement alors que le sarcasme aura toujours une cible définie. Elle déclare ensuite que l’ironie et le sarcasme sont interchangeables dès lors que le locuteur est conscient de son propre discours et qu’il fait preuve d’une certaine agressivité.

Ironie et sarcasme sont donc étroitement liés et nous ne prétendrons pas parvenir à les différencier d’une manière catégorique. C’est pourquoi nous nous rallions à l’école qui affirme que sarcasme et ironie définissent le même phénomène : c’est-à-dire premièrement un discours dans lequel il y a un schisme entre ce qui est dit et la véritable intention, et deuxièmement un discours qui a été mis en place sciemment par le locuteur. Nous utiliserons donc les deux termes ironie et sarcasme comme étant synonymes l’un de l’autre.

Nous mentionnions que dans notre définition de ces deux concepts, l’ironie et le sarcasme sont introduits intentionnellement par le locuteur. Celui-ci peut le faire selon deux façons différentes qui auront pour but soit de dévaloriser quelque chose soit de le valoriser. Ainsi, la première façon est la critique ironique et la deuxième consiste en un compliment ironique. Lorsqu’un locuteur dit : « Quelle belle veste ! » d’une manière ironique, cela consiste à dire qu’il ne considère pas ladite veste comme étant réellement belle. Au contraire, lorsque dans une locution ironique le locuteur déclare : « Quelle horrible veste ! » celui-ci exprimera le fait que la veste lui plaît. Notre corpus est constitué majoritairement de compliments ironiques quoiqu’on puisse trouver des exemples des deux types :

Figure 8 : Exemple d'un compliment ironique

Dans le cas de la Figure 8, il s’agit d’un compliment ironique puisque le commentaire n’est pas réellement positif. En effet, la personne se moque de l’artiste et de son album CD. Un consommateur face à ce commentaire devra donc comprendre que l’album n’est en réalité, pas si « fantastique ».

Au contraire, la Figure 9 ci-dessous représente un exemple d’une critique ironique. Ce qui semble être négatif ne l’est pas en réalité :

Figure 9 : Exemple d'une critique ironique

La personne prétend être déçue vis-à-vis de son achat : alors qu’elle s’attendait à recevoir un lapin entier elle a reçu un lapin dépecé. L’on comprend bien ici que c’est un jeu et que le locuteur s’amuse du produit plus qu’il ne le critique réellement.

Le problème qui se pose, et qui est sans doute évident à la lecture du paragraphe précédent et des deux exemples, est donc le suivant : face à la phrase « quelle belle veste ! » comment un lecteur peut-il identifier s’il s’agit bien d’ironie ou si, au contraire, la phrase est tout à fait sincère et qu’il ne faut pas comprendre autre chose qu’un compliment ? Dans leur chapitre sur les marqueurs humoristiques, Christian Burgers et Margot Van Mulken notent que cette ambiguïté entre ironie et sincérité est précisément le but de l’ironiste. Mais cela présente un risque, puisque l’ironie risque à tout moment de passer inaperçue (Burgers et al., 2017). Toujours selon les mêmes auteurs, l’ironie est donc toujours accompagnée d’un certain nombre d’éléments qui rendront son identification possible, ce qui – comme nous le verrons dans la section 3.7 – peut permettre aux systèmes d’analyse de sentiment de la reconnaître. Ceux-ci sont appelés des facteurs ironiques par Burgers et Van Mulken (2017), et permettent au lecteur de comprendre qu’il ne faut pas qu’il interprète littéralement le sens de la locution.

Ces facteurs interviennent à différents moments du discours. En effet, ils peuvent être oraux – selon le ton qui est utilisé, par exemple – ou écrits.

Au vu du sujet de notre travail, nous nous bornerons à énumérer quelques-uns de ces facteurs écrits qui peuvent servir à l’identification de l’ironie. Le premier que nous pouvons citer consiste en des conflits factuels situés dans l’œuvre. Cela intervient lorsque l’auteur se contredit, par exemple. Le deuxième

sont des chocs stylistiques, lorsque l’auteur utilise une manière très peu idiomatique pour exprimer un événement ou un fait. Finalement, et c’est le marqueur qui nous intéresse le plus, il s’agit des conflits d’idéologie. Ce facteur survient lorsque l’idéologie présentée par l’énoncé est inverse à celle que nous, lecteurs, imputons à l’auteur. En d’autres termes, les lecteurs remarquent qu’il y a un conflit entre ce qui est dit et ce que l’auteur pense réellement. C’est le cas, par exemple, des deux commentaires (Figures 1 et 2) présents plus haut : il nous est difficile de croire à ce que dit le locuteur lorsque l’on lit son choix lexical « most bomb diggity album ever » ou « I would do anything for this man ». Tout cela ajouté au fait qu’il s’agisse d’un album de musique pop dont l’artiste – issu d’une émission de téléréalité – n’est pas considéré comme étant un artiste « digne de ce nom », l’on peut imaginer que l’auteur du commentaire ne pense pas réellement que cet album soit d’une qualité extraordinaire. De même, à la lecture du commentaire en Figure 2, il paraît évident que l’auteur du commentaire ne souhaite pas être pris au sérieux : il est tout à fait conscient que le lapin vendu n’était pas un lapin vivant, mais de la viande. Le sens des deux commentaires ne correspond donc pas aux valeurs que nous imputons aux deux auteurs.

Quoi qu’il en soit, l’un des éléments principaux à retenir est que pour comprendre une locution ironique, celle-ci doit être inscrite dans un contexte vis-à-vis duquel elle entre en conflit. C’est précisément le cas du commentaire en Figure 8 ; la connaissance du chanteur et de son public cible est essentielle à la compréhension du commentaire.

Toujours selon les auteurs que nous avons cités précédemment, il existe également des marqueurs qui peuvent servir à identifier l’ironie. Ceux-ci peuvent être typologiques ou méta-discursifs. Un marqueur typologique, typiquement, consiste à ajouter un nombre de points d’exclamation supérieur au nombre de points d’exclamation que l’on peut attendre dans un texte standard – en d’autres termes, à s’écarter des normes orthographiques comme nous pouvons le voir dans le commentaire ci-dessous (Figure 10).

Figure 10 : Exemple de commentaire dont la typographie est un marqueur d'ironie

Quant aux marqueurs méta-discursifs, ils consistent, par exemple au hashtag #sarcasme que l’on peut trouver sur Twitter ou le /s, que l’on peut trouver sur Reddit en exemple dans la Figure 11, et qui expriment l’un comme l’autre, que la locution est en réalité ironique/sarcastique.

Figure 11 : Exemple de commentaire sarcastique sur Reddit avec le marqueur sarcastique /s7

En guise de conclusion pour cette brève section sur l’ironie et le sarcasme, nous tenons à souligner que l’un des points principaux de ces deux notions est de relever qu’elles sont considérées comme étant

« flottantes » et que celle-ci, pour être employées correctement, doivent être comprises par le lecteur.

Nous reviendrons plus tard à la question de l’ironie et de la Traduction Automatique, mais il paraît pertinent, afin d’expliciter en quoi celle-ci peut être problématique de présenter d’abord les problèmes liés à la traduction humaine du sarcasme et de l’ironie.

7https://www.reddit.com/r/Wellthatsucks/comments/bwehnb/my_mom_accidentally_left_her_mirror_in_front_o