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6. POLITIQUE ÉTRANGÈRE DU QATAR

6.1. Définition de l’intérêt national

Zakaria explique que plus un État est puissant, plus il a tendance à avoir une politique expansionniste et à vouloir prendre de la place dans les relations internationales, particulièrement dans les pôles de décisions, c’est-à-dire qu’il voudra promouvoir une politique d’influence. Pour cet auteur, l’expansion est une variable dépendante. Elle varie donc selon la puissance relative perçue d’un État. Cela n’est pas un facteur analysé individuellement, mais plutôt combiné avec la

perception des menaces et l’incertitude que ces dernières posent au Qatar. L’accroissement des politiques d’influence ne serait qu’une autre manière d’augmenter le contrôle pour le Qatar dans sa région ; il s’agit de jouer avec la géopolitique afin que cette dernière tourne en sa faveur plutôt qu’en sa défaveur. L’intérêt national du Qatar n’est donc pas d’augmenter sa puissance relative à proprement parler, mais d’augmenter son niveau d’influence et de contrôle (dans sa région particulièrement).

Si certains proposent que l’Émir ayant pris le pouvoir en 1995 innove en intégrant la médiation dans la nouvelle constitution qatarie – entrée en vigueur en 2005, mais dont l’écriture débute dès 1999 –, le règlement pacifique des conflits était déjà un objectif de politique étrangère pour le Qatar avant 1995. Dans les Principes politiques de la Constitution de 1972, nous pouvons lire :

The State holds a belief of the principles of the Charter of the United Nations which aim to strengthen the right of peoples in self-determination, develop international cooperation for the goodness of all mankind, offer peace and security throughout the world, commit the states to settling their disputes by peaceful means and establish its relations with states on the basis of justice and equality under the provisions of the International Law. (Pt. 2, Article 5, E)

Cela se rapproche de ce qui est énoncé dans la nouvelle Constitution qatarie :

The foreign policy of the State is based on the principle of strengthening international peace and security by means of encouraging peaceful resolution of international disputes; and shall support the right of peoples to self-determination; and shall not interfere in the domestic affairs of states; and shall cooperate with peace-loving nations. (Art. 7)

Dans la Constitution de 1972, l’Article 5, dédié à la politique étrangère est par contre globalement différent de l’Article 7 de la Constitution de 2005. Dans la première, l’accent est mis sur l’appartenance du Qatar au monde arabe. Les sections de l’Article 5 spécifient que l’Émirat doit travailler conjointement avec les autres États arabes, notamment au sein de la Ligue arabe, qu’il se doit d’assurer la sécurité de la région et de ses voisins avec lesquels il a des liens fraternels. Le concept d’entraide entre les États arabo-musulmans est au centre de l’Article 5. Dans la seconde constitution, l’appartenance à la nation arabe, bien que présente, ne constitue que deux lignes et demie alors que dans la première, cela représentait quatre paragraphes.

Mis à part l’article où l’État s’engage à défendre son intégrité territoriale, l’Article 5 de 1972 et l’Article 7 de 2005 posent les bases de la politique étrangère et de l’intérêt national du Qatar au

sein de la communauté internationale. Son intérêt premier est d’assurer sa sécurité et de se défendre contre les menaces (Art. 5-a, 1972 ; Art. 5, 2005) et la manière de le faire est indirectement définie dans les principes politiques. En 1972, le Qatar lie sa sécurité au monde arabe alors qu’en 2005, il la lie plutôt à la communauté internationale dans son ensemble. En 1972, il est écrit que le Qatar doit contribuer à des « common higher [arab] interests » et que les intérêts des autres États islamiques sont aussi ceux de l’Émirat (Art. 5b-c).

Dans les discours, l’accent est mis sur deux éléments principaux : la stabilité au Moyen-Orient et le développement. Malheureusement, il y a peu de documents officiels datant d’avant le coup d’État de 1995 sur les sites du gouvernement. Par contre, sur le site de l’Assemblée générale de l’ONU, il est possible de retrouver des discours remontant jusqu’en 1971 sans problème. Déjà dans les années 1970, le Ministre des Affaires étrangères qatari souligne que le règlement pacifique des conflits est la « stratégie » choisie par le Qatar et qu’il est dans son intérêt que la paix règne au Moyen-Orient. La métaphore du volcan est d’ailleurs d’abord utilisée en 1992 pour expliquer dans quelle mesure il est dans l’intérêt du Qatar de travailler afin de diminuer l’insécurité et les tensions régnant dans la région (DG, 1992).

Dans les discours post-1995 relatifs à l’écriture de la Constitution et au développement du QNV2030, l’accent est davantage mis sur le lien entre la sécurité et le développement (social, économique, humain, etc.). Dans le cadre d’une déclaration à la International Conference for Financing Development le 29 novembre 2008, l’Émir Hamad bin Khalifa Al-Thani explique, par exemple, que la paix et la sécurité vont de concert avec le développement et la stabilité sur la scène internationale (Al-Thani, 2008). Au-delà de ce lien, l’Émir insiste souvent sur l’importance et l’intérêt pour le Qatar de conjuguer modernité, développement et tradition. L’héritage islamique et la culture arabe sont au centre des préoccupations de l’Émir. Selon lui, la modernité et la tradition ne sont pas mutuellement exclusives. Si cela s’observe dans une déclaration de 2004 à la Conference on Democracy and Free Trade et dans une déclaration de 2005 lors d’un souper officiel avec le Premier Ministre du Bangladesh (Al-Thani 2004 ; Al-Thani 2005), ce discours se consolide en 2012 avec les soulèvements du Printemps arabe. L’Émir souligne d’ailleurs lors de la 41e réunion de son Advisory Council que malgré le développement rapide du Qatar, il n’a pas oublié ses racines et son héritage culturel (Al-Thani, 2012).

Sur le site web du Ministère des Affaires étrangères du Qatar (MOFA), la coopération internationale est identifiée comme la deuxième priorité dans la poursuite de la politique étrangère de l’Émirat (MOFA, 2016). Dans les sous-objectifs, divisés par section, nous pouvons d’ailleurs retrouver : « [a]ssist in dispute resolution among members of the international community » (MOFA, 2016). Encore une fois, le règlement pacifique des conflits fait partie des priorités identifiées par le Ministère. Quant à la politique sécuritaire de défense, il n’a pas été possible d’identifier les priorités du Ministère de la Défense puisque son site web est inexistant, même en langue arabe. Cependant, certains documents officiels donnent un aperçu des éléments clés de la politique de défense qatarie. Sur le site web du gouvernement se retrouve la vision guidant sa politique de défense: « Through the use of its fighting capabilities, Qatar Armed Forces’ mission is to defend and protect Qatar’s national supremacy and wealth as well as participate in humanitarian and peacekeeping missions» (HUKOOMI, 2016). Même les énoncés de la Défense qatarie mettent l’accent sur le règlement pacifique des conflits.

L’intérêt national d’un État est le même à travers le temps ; augmenter son influence et son contrôle afin de répondre à un environnement régional incertain. Mais la question subsiste : pourquoi assistons-nous à l’apparition de la médiation dans la politique étrangère du Qatar dans les années 2000 ? Reprenons le processus. La variable indépendante à la base est la puissance relative du Qatar, plus particulièrement sa perception. Cette dernière a augmenté entre autres grâce aux alliances, partenariats et ententes, et à l’économie. Cela devrait pousser le Qatar à avoir une politique étrangère plus active. Cela coïncide avec nos observations, mais ne répond pas réellement à la question. Il y a bel et bien un accroissement de l’influence de la politique étrangère qatarie à la suite de l’augmentation de sa puissance relative. Cependant, cela ne permet pas d’expliquer pourquoi la médiation est la stratégie de politique étrangère favorisée. C’est là que la perception de l’environnement régional comme une menace entre en ligne de compte.

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