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Quelle définition de justice climatique pour la France ?

Dans le document Revue de l’OFCE (Page 78-83)

POUR LA FRANCE ?

1. Faire face en France aux inégalités générées par l’impact du changement climatique

1.1. Quelle définition de justice climatique pour la France ?

Le concept de justice climatique fait l’objet de plusieurs interpréta-tions sur la scène internationale et c’est également le cas dans le contexte français. Cette diversité d’interprétations tient à la fois à ceux qui le mobilisent : scientifiques, ONG, institutions, … et également à l’ambiguïté du terme justice. Ainsi en France ce terme est utilisé à la fois pour désigner l’institution judiciaire en lien avec la capacité de notre société à rendre la justice, et la problématique du cumul des inégalités environnementales et sociales telle qu’envisagée dans les arènes inter-nationales19. Nous évoquerons le concept dans cette seconde acception qui, plus large, inclut également la capacité de faire valoir ses droits à la justice climatique, y compris par le recours au juge20.

1.1.1. Parcours du concept

L’Accord de Paris accorde une place modeste à la notion de « justice climatique » dans son préambule. Tout d’abord dans son paragraphe 10 qui vise une « transition juste pour la population active », c’est le niveau national qui est considéré pour la création d’emplois décents et de qualité « conformément aux priorités de développement définies au niveau national ». Ensuite dans le paragraphe 11 de ce même préam-bule, il est noté « qu’il importe de veiller à l’intégrité de tous les écosystèmes, y compris les océans, et à la protection de la biodiversité, reconnue par certaines cultures comme la Terre nourricière, et notant l’importance pour certaines de la notion de justice climatique, dans l’action menée face aux changements climatiques » sans autre préci-sion sur le contenu de la notion.

En fait, l’introduction des termes de justice climatique dans l’Accord de Paris est liée à un long parcours de prises de position de la société civile internationale. Ces revendications, devenues très fortes depuis les années 2000, lient crises économique, sociale et écologique21. Elles s’appuient en premier lieu sur le droit de ne pas subir les conséquences des changements climatiques ni toutes formes de dégradation écolo-gique. La Charte des principes de justice climatique22 élaborée par un réseau d’ONG et d’activistes en 2002 est assez symbolique de cette

19. Voir Agnès Michelot (2016).

20. Les travaux sur les contentieux climatiques sont nombreux, voir notamment Cournil et Varison (2018) ; Christian Huglo (2018) ; Torre-Schaub, Cournli, Lavorel et Moliner-Dubost (dirs.) (2018).

21. Voir Michelot (2017).

22. Bali Principles of Climate Justice, 29 août 2002. http://www.ejnet.org/ej/bali.pdf

demande qui, en droit international, trouve son expression depuis la Conférence de Stockholm de 1972 au principe 1 de la Déclaration sur l’environnement humain.

La revendication de justice climatique s’est muée une lutte sociale.

Elle vise à lutter contre les inégalités à l’intérieur des pays et entre les pays et à repenser les systèmes politiques et sociaux qui les sous-tendent. Les syndicats notamment prennent position sur le sujet. Ainsi, lors d’un sommet des syndicats sur le climat organisé en amont de la COP 21 les 14-15 septembre 2015, la Confédération syndicale interna-tionale (CSI) déclare : « L’action climatique est une affaire syndicale car il n’y a pas d’emplois sur une planète morte ». Selon eux, la justice climatique permet de remettre en question le modèle économique qui ne répond pas aux attentes sociales et environnementales et génère des injustices. Elle est pensée comme une ambition sociale et devrait conduire à une transformation du modèle productif en veillant à protéger et soutenir la situation des travailleurs les plus fragiles Les syndicats souhaitent s’assurer que les salariés travaillant dans des secteurs qui vont faire face à des transformations majeures de leur acti-vité ou/et de leur filière seront protégés et accompagnés tout au long de ce processus. Ils défendent notamment la nécessité de soutenir des investissements ciblés, d’anticiper les impacts de ces transformations sur les travailleurs. Des mouvements éthiques et religieux se sont égale-ment emparés de la question. Ainsi, à l’échelle française, les représentants de six cultes (bouddhiste, catholique, judaïque, musulman, orthodoxe et protestant) présents en France ont publié une déclaration commune lors de la préparation de la COP 21 pour lancer un appel solennel à faire progresser la justice climatique.

La thématique de la justice climatique trouve une diversité d’expres-sions portées par la société civile mais elle apparaît toujours comme une attention sociale exprimée par plusieurs composantes de la société au niveau international comme au niveau national, les deux niveaux pouvant interagir.

Dans ce contexte, et très logiquement, la société civile organisée – représentée dans la troisième assemblée constitutionnelle française – s’est exprimée, par auto-saisine, sur la question. Le Conseil économique social et environnemental français dans son avis du 27 septembre 2016 sur « La justice climatique : enjeux et perspectives pour la France » estime que « même limité à 2°C, le réchauffement aura des consé-quences notables auxquelles notre société devra s’adapter avec, en

l’absence de mesures, le risque que ne se creusent les inégalités entre ceux qui disposent de moyens pour le faire et ceux qui n’en disposent pas »23. Plus qu’un concept, « c’est une nouvelle logique d’élaboration et d’articulation de ces politiques que porte la justice climatique afin de préserver efficacement et durablement le droit à un environnement sain pour tous y compris pour les plus démunis, les plus exposés et les plus vulnérables au dérèglement climatique. » (…). La justice clima-tique, dans cette définition, ouvre la voie d’un consensus pour l’action, pour l’atténuation comme pour l’adaptation.

Nous avons ainsi proposé une définition de la justice climatique au plan national à partir des objectifs que la justice climatique doit pour-suivre en termes de lutte contre les inégalités considérant que la non prise en considération de l’impact des changements climatiques dans les politiques publiques pourrait accroître les risques de fracture sociale.

Selon le Préambule de l’avis « l’objectif central de la justice climatique est de tout faire pour que le réchauffement climatique n’accroisse pas les inégalités »24 et « Ce ne sont pas seulement nos comportements et notre modèle de société qui sont questionnés mais notre capacité à vivre ensemble et à faire face de manière solidaire à des changements qui vont accroître et même menacer les équilibres de notre société en risquant, si nous n’y prenons garde, d’augmenter la fracture sociale ».

Dans le PNACC 2, la référence faite à la justice climatique s’appuie explicitement sur ces éléments de définition. Ainsi est-il prévu que « Les mesures du PNACC-2 tiendront compte des vulnérabilités sociales et économiques des individus, des territoires (notamment ultra-marins) et des secteurs d’activité, des inégalités tant d’exposition que de capa-cités d’adaptation, dans le respect du principe de justice climatique. »25. Enfin, comme nous l’avons déjà indiqué, la nécessité d’une « transition juste » est rappelée dans l’avis donné par le Haut conseil pour le climat dans son rapport de 201926.

23. CESE, Jouzel et Michelot (2016). CESE27/09/2016. http://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/

Avis/2016/2016_10_justice_climatique.pdf

24. Cf. Avis du CESE, 27 septembre 2016, op. cit., p. 12.

25. PNACC 2, p.2, https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/2018.12.20_PNACC 2.pdf

26. Voir Rapport annuel du Haut conseil pour le climat, « Agir en cohérence avec les ambitions », juin 2019, p. 15. https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2019/09/hcc_rapport_annuel_

2019_v2.pdf

1.1.2. La convergence de la conception française et de l’approche européenne

L’action de l’Union européenne sur la scène internationale repose sur les principes qui ont présidé à sa création, à son développement et à son élargissement et vise à les promouvoir dans le reste du monde : démocratie, État de droit, universalité et indivisibilité des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, respect de la dignité humaine, principes d’égalité et de solidarité et de respect des principes de la Charte des Nations Unies et du droit international. Ces principes vont dans le sens de la justice climatique dans la mesure où ils s’appuient sur le respect des droits humains dont le droit à un environnement sain fait partie. Par ailleurs, ils font écho aux fondements du droit de l’environ-nement issus de la Déclaration de Stockholm sur l’environl’environ-nement humain de 1972, laquelle énonce que « l’homme a un droit fondamental à la liberté, l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un envi-ronnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être ». La dignité humaine est à la base de l’ordre constitutionnel euro-péen, source de tous les droits fondamentaux. Le sujet de la dignité humaine est essentiel parce qu’il permet d’ancrer les sociétés dans des valeurs éthiques qui reconnaissent que chaque personne mérite d’être respectée en soi et pour soi indépendamment de son statut social, de son pouvoir économique, de son sexe, sa religion, … Il en découle que sa faiblesse ou sa vulnérabilité ne doivent pas conduire à nier ses droits les plus essentiels. De même chaque personne est unique, la dignité permet ainsi de renouer avec la valeur intrinsèque et le principe de l’intégrité écologique. Tout ne trouve pas son équivalent, ni la vie humaine ni un écosystème. La justice climatique est donc ancrée dans ces principes portés par le droit européen.

Il faut également rappeler l’article 191-2 du Traité sur le fonctionne-ment de l’Union européenne qui énonce que « La politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les diffé-rentes régions de l’Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement sur le principe pollueur payeur »27.

27. Voir version consolidée du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, JOUE 9.05.2008,

https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:88f94461-564b-4b75-aef7-c957de8e339d.0010.01/DOC_3&format=PDF

Par ailleurs, l’Union européenne a tout intérêt à défendre la justice climatique. En effet, celle-ci peut permettre de lier les compétences sectorielles de l’UE, soutenir la promotion de son modèle de solidarité et être un élément de renforcement de son influence dans le monde par la promotion de la coopération multilatérale comme message poli-tique dans les négociations climapoli-tiques et au-delà. L’UE, en tant qu’organisation affichant des aspirations globales, a franchi des étapes importantes pour devenir un acteur majeur de la justice climatique, en particulier dans les domaines de l’assistance au développement et de l’adaptation au changement climatique.

La politique européenne donne également un cadre aux États membres pour développer des politiques et objectifs climatiques comme le rappelle le Haut conseil pour le climat. De fait, l’intérêt de l’Union européenne pour la vulnérabilité sociale à certains risques envi-ronnementaux, notamment à l’exposition à l’élévation des températures, est révélé dans un rapport récent28.

Enfin et surtout, dans le débat de plus en plus actuel qui entoure la définition de la justice climatique, il faut mettre en avant un événement rare. L’avis du CESE français a rencontré un écho favorable direct dans un avis d’initiative29 du Comité économique et social européen du 19 octobre 2017.

Le CES européen définit ainsi le changement climatique mondial comme une question d’ordre politique et éthique, et pas strictement environnemental. Il s’appuie sur « le constat que les catégories les plus vulnérables et les plus pauvres de la société sont souvent les plus affec-tées par les effets du changement climatique, et ce, alors même que ces catégories sont les moins responsables des émissions ayant conduit à la crise climatique » 30 et « il encourage les institutions de l’UE et les pouvoirs publics nationaux à se pencher sur des principes de justice climatique à tous les niveaux : européen, national et local ».

28. EEA Report n° 22/2018, « Unequal exposure and unequal impacts: social vulnerability to air pollution, noise and extreme temperatures in Europe ». https://www.eea.europa.eu/publications/

unequal-exposure-and-unequal-impacts

29. Il s’agit donc d’un avis sur auto-saisine ce qui reste exceptionnel pour le Comité économique et social européen.

30. Comité économique et social européen, Rapporteur Lohan C. (rapporteur), Avis d’initiative, La justice climatique, 19 octobre 2017, 12 p.

1.2. La justice climatique : un enjeu et un défi particulier pour

Dans le document Revue de l’OFCE (Page 78-83)