• Aucun résultat trouvé

Rappelons les termes de notre problème. D’un côté, tout énoncé, a fortiori toute théorie, prétend à la validité. En même temps, tout énoncé ne peut s’appuyer – du moins dans l’état actuel des connaissances – que sur un savoir fini, c’est-à-dire un savoir ou bien susceptible d’être révisé – autrement dit « faillible » – ou bien déjà réfuté. Si un énoncé ne peut s’appuyer que sur un savoir fini, comment peut-il satisfaire à sa prétention à la validité ? Prétention à la validité et finitude cognitive sont-elles compatibles ?

La réponse à ces questions suppose une définition précise de ce que l’on entend par « prétention à la validité » et par « finitude cognitive ». La finitude cognitive étant en partie déterminée par la notion de prétention à la validité, nous définirons celle-ci en premier.

1-1. Définition générale du concept de validité

Conformément à la perspective décrite au § 0.2.1, nous établirons un concept général de validité, c’est-à-dire un concept de validité ne se réduisant à aucun champ d’argumentation particulier et pouvant s’appliquer à tous. Ce n’est qu’en second lieu que nous préciserons les variations que subit ce concept dans les cas particuliers.

De plus, conformément aux exigences formulées au § 0.2.2, notre définition du concept de validité sera justifiée au moyen de la démonstration dialectique, c’est-à-dire par l’élimination des positions concurrentes connues. Ainsi, ce qui pourra apparaître comme des détours constituera en réalité une étape nécessaire à la consistance de l’argumentation. Ces « détours » permettront en outre de rassembler un outillage conceptuel qui sera utile pour les chapitres suivants.

1-1-1. Le procédé de définition

En un sens, tout ce travail vise à définir – ou à redéfinir – le concept de validité. Il convient donc selon nous d’expliciter et de justifier notre méthode de définition63.

Il est aujourd’hui de rigueur en philosophie de définir un concept à partir de ses différents usages dans le langage courant. On effectue d’abord une « lexicographie » du mot en question – on compile ses différents usages. Puis on en extrait les points communs, la cohérence ou l’« usage premier » qui gouverne ces différents usages. Cet usage premier est censé définir le concept en question. C’est ainsi qu’Austin définit par exemple le terme « vrai » dans ses Ecrits

63. D’autant plus que ce procédé de définition n’est pas étranger à la démonstration dialectique : le « critère de préférence » est le même dans les deux cas – ceci fera l’objet d’une recherche ultérieure.

philosophiques. Austin commence par s’interroger sur les différents usages du terme « vrai » : « Que

qualifions-nous de “vrai” ou “faux” ? Ou bien, comment l’expression “est vrai” se présente-t-elle dans les phrases (françaises) ? Au premier abord, les réponses semblent extrêmement diverses. Nous disons (ou on dit que nous disons) que des croyances sont vraies, que des descriptions ou des comptes rendus sont vrais, que des propositions, des assertions ou des affirmations sont vraies, et que des mots ou des phrases sont vrais, pour ne citer que quelques-uns des candidats les plus évidents. Ou encore, nous disons (ou on dit que nous disons) : “il est vrai que le chat est sur le paillasson”, ou : “il est vrai de dire que le chat est sur le paillasson”, ou : “ « le chat est sur le paillasson » est vrai”. A l’occasion, nous commentons également ce que dit quelqu’un d’un “tout à fait vrai”, “c’est vrai”, “c’est assez vrai”64. » Austin s’efforce ensuite de déterminer un

« dénominateur commun », un « usage cardinal » à ces différents usages : « La plupart de ces expressions (mais pas toutes), et d’autres encore, se présentent assurément de façon assez naturelle. Il semble toutefois raisonnable de se demander s’il n’existe pas un emploi premier de “est vrai”, ou un nom générique pour ce dont, au fond, nous disons toujours que c’“est vrai”. Si tant est qu’il y en ait une, laquelle de ces expressions prendre au pied de la lettre65 ? » Cet usage

commun est censé révéler l’essence du concept en question et résoudre ainsi les problèmes qui lui sont liés, comme Austin l’affirme à propos du concept de liberté : « En examinant toutes les façons dont chaque action peut ne pas être “libre”, c’est-à-dire les cas où il ne suffit pas de dire simplement “X a fait A”, nous pouvons espérer régler le problème de la liberté66. »

Si l’on suit ce procédé, il faudrait donc, pour définir le concept de validité et résoudre le problème qui l’oppose au fait de la finitude, relever les différents usages de ce terme dans le langage courant – « argument valide », « billet de transport valide », « personne valide », etc. –, puis en dégager l’« usage premier » gouvernant ces différents emplois.

Un tel procédé de définition à partir des usages du langage s’appuie sur plusieurs arguments. Selon Austin, « notre réserve commune de mots contient toutes les distinctions que les humains ont jugé utile de faire, et toutes les relations qu’ils ont jugé utile de marquer au fil des générations. Et sans doute sont-elles susceptibles d’être plus nombreuses et plus solides – puisqu’elles ont résisté au long test de la survie du plus apte –, et plus subtiles, au moins en ce qui concerne les domaines de la pratique ordinaire raisonnable, que celles que nous pourrions, vous ou moi, trouver, installés dans un fauteuil, par un bel après-midi [...]67. » Autrement dit, le langage

64. J. L. Austin, Ecrits philosophiques (1961), trad. L. Aubert et A.-L. Hacker, Paris, Seuil, 1994, p.93. 65. J. L. Austin, Ecrits philosophiques (1961), trad. L. Aubert et A.-L. Hacker, Paris, Seuil, 1994, p.93.

66. J. L. Austin, Ecrits philosophiques (1961), trad. L. Aubert et A.-L. Hacker, Paris, Seuil, 1994, p.142 ; voir aussi

ibid., p.164 l’exemple du mot « bon » : « Mais jamais nous n’aurons une notion vraiment claire de ce mot “bon” ni de

l’emploi que nous en faisons, tant que nous ne posséderons pas, idéalement, une liste complète de ces actes d’illocution dont louer, introduire des degrés, etc. sont des spécimens isolés – tant que nous ne saurons pas combien il y a d’actes de ce genre et quels sont les rapports et correspondances qu’ils entretiennent entre eux. »

ordinaire constituerait une réserve de connaissances longuement testées, de sorte qu’on pourrait l’interroger pour préciser une notion comme on interroge un sage ou un expert.

A cela s’ajoute un autre argument qui n’est pas explicitement formulé par les partisans de cette méthode, mais qui peut aisément être déduit de leur orientation philosophique. La méthode d’Austin comporte plusieurs points communs avec les sciences de la nature. Elle vise en effet à dégager un ordre sous la masse confuse des faits ; elle s’appuie pour cela sur une base empirique, ici les usages du langage ordinaire ; des expérimentations peuvent compléter cette base empirique : on peut tester la définition d’un terme en l’appliquant non seulement aux cas concrets rencontrés effectivement, mais aussi à des situations parfaitement inédites conçues à travers ce qu’on appelle des « expériences de pensée ». Si on admet que les sciences de la nature constituent un modèle de scientificité – de rigueur, de précision, d’objectivité –, et si la méthode d’Austin suit la même démarche que les sciences de la nature, alors il faudrait considérer la méthode d’Austin comme toute aussi scientifique68.

Une telle méthode se heurte cependant à plusieurs objections.

Dans un premier temps, on pourrait rétorquer que cette méthode présuppose qu’un même mot possède nécessairement une signification « essentielle », qu’un mot veut toujours dire exactement une

chose. La méthode d’Austin serait ainsi l’héritière d’une tradition philosophique issue au moins des

dialogues de Platon, notamment de ces passages où Socrate demande à son interlocuteur de définir une notion – par exemple la « connaissance » ou la « vertu » – et lui reproche d’« obtenir beaucoup »69. Or, une telle position est problématique. Un même mot peut parfaitement désigner

des choses contradictoires et renvoyer à des usages incompatibles. Par exemple, le terme « hôte » désigne tantôt celui qui donne l’hospitalité, tantôt celui qui la reçoit ; le terme « aucun » signifie tantôt « personne », tantôt « quelques-uns » ; le terme « quelques » signifie tantôt « quelques-uns au moins et peut-être tous », tantôt au contraire « quelques-uns mais non pas tous ». Rien ne garantit que d’autres termes – par exemple le terme « vrai » – ne renvoient eux aussi à des usages radicalement différents.

En réalité, la méthode d’Austin ne présuppose pas nécessairement un tel postulat essentialiste : une fois les différences de sens clairement établies, rien n’empêche ensuite de préciser chacun d’eux

68. Austin évoque le projet d’une « science du langage » dans les Ecrits philosophiques (1961), trad. L. Aubert et A.- L. Hacker, Paris, Seuil, 1994, p.205 : « Ne se pourrait-il que le siècle prochain assiste à la naissance, grâce aux travaux conjoints des philosophes, des grammairiens et de tous ceux qui étudient le langage, d’une vraie science du langage complète et détaillée ? Nous nous serions alors défaits d’une autre partie de la philosophie (il en restera alors beaucoup d’autres) [...]. »

69. Cf. par exemple Platon, Ménon, trad. M. Canto-Sperber, Paris, GF-Flammarion, 1991, 72a : « J’ai vraiment beaucoup de chance, apparemment, Ménon ! J’étais en quête d’une seule et unique vertu, et voilà que je découvre, niché en toi, tout un essaim de vertus. Justement, dis-moi, Ménon, pour en rester à l’image de l’essaim, suppose que je t’interroge pour savoir ce qu’est une abeille dans sa réalité, et que tu déclares qu’il y en a beaucoup et de toutes sortes [...]. » ; voir aussi Théétète, trad. M. Narcy, Paris, GF-Flammarion, -1995, 146d : « De bonne race et généreux, mon cher, celui qui, quand on lui demande une seule chose, en donne plusieurs, et toute une variété à la place d’une chose simple. »

en suivant la méthode d’Austin. Par exemple, une fois que l’on sait que « quelques » a plusieurs significations incompatibles, rien n’empêche ensuite d’étudier les usages qui correspondent à telle signification, puis les usages qui correspondent à telle autre pour affiner chaque définition. Plus encore, c’est précisément en empruntant la méthode d’Austin que l’on peut déterminer si un même mot recouvre plusieurs significations. Par exemple, c’est en étudiant les différents usages du mot « quelques » dans le langage courant que l’on s’aperçoit qu’il recouvre des significations incompatibles. Enfin, il convient de ne pas présumer de ces différences de signification. Rien ne garantit que ces différences ne dissimulent en réalité quelques points communs fondamentaux. On pourrait également émettre l’objection suivante. Cette méthode s’appuie sur une compilation d’expressions, sur une « lexicographie ». Elle exige un inventaire complet de toutes les expressions où l’on emploie le mot en question. Or, n’est-ce pas formuler une exigence impossible à remplir ? Surtout que le langage évolue. Le temps de faire l’inventaire des usages du langage au moment T1, le langage a déjà évolué. Un tel procédé ne pourrait donc jamais garantir une définition définitive.

Toutefois, on verra qu’il n’est pas nécessaire, notamment dans un contexte de finitude cognitive, de satisfaire à une validité universelle pour justifier une position. On peut se contenter pour cela de montrer que la position défendue est meilleure que les autres positions concurrentes connues. Ceci vaut aussi pour le procédé de définition en question : il n’est pas nécessaire de prétendre rendre compte de tous les usages possibles d’un terme dans le langage pour le définir, on peut se contenter d’une définition « meilleure » en montrant qu’elle s’appuie sur le plus grand nombre d’usages connus. Cela ne permet pas d’obtenir une définition définitive, mais au moins une définition rationnellement acceptable70.

D’autres objections nous paraissent plus pertinentes.

Les usages courants du langage constituent sans doute la plupart du temps une source de clarification conceptuelle, mais rien ne garantit qu’ils ne soient pas aussi, parfois, une source de confusions et d’erreurs. Certains usages ont de fait conduit les savants à de fâcheux malentendus. Par exemple, le terme « expliquer » est utilisé aussi bien dans les sciences de la nature que dans les

70. Dans son introduction au livre de J. L. Austin, Quand dire, c’est faire (1962), trad. G. Lane, Paris, Seuil, 1970, p.17, Lane répond aux objections ci-dessus en avançant des arguments très différents des nôtres qu’il attribue à Austin : « Austin, pourtant, ne voit rien de décourageant dans cette condition : même s’il existait dix mille emplois du langage en un certain cas, avec le temps la tâche ne serait pas irréalisable. A l’encontre de Wittgenstein [...], il est persuadé en effet que les divers emplois du langage ne sont pas infinis. » Or, il ne suffit pas d’être « persuadé » que ces usages sont finis, encore faut-il le prouver. De plus, il n’est pas certain qu’Austin tienne une telle position absolutiste. Austin affirme certes que nous ne pouvons avoir une notion vraiment claire d’un terme que lorsque nous possédons l’ensemble de ses usages. Mais Austin reconnaît que ceci relève le plus souvent d’un « idéal » qu’on ne peut jamais être certain d’atteindre. Cf. par exemple ibid., p.163-164 [162], à propos de la définition du mot « bon » : « [...] jamais nous n’aurons une notion vraiment claire de ce mot “bon” ni de l’emploi que nous en faisons, tant que nous ne posséderons pas, idéalement, une liste complète de ces actes d’illocution [...]. » Nous soulignons. Enfin, il nous semble que nos arguments correspondent davantage à la position d’Austin dans la mesure où celui-ci affirme, si on en croit Lane lui-même ibid. p.17-18, qu’à défaut de disposer de toutes les données, les recherches « compilatrices » contribuent toutefois à tenir compte de certains aspects du réel que les philosophes ont tendance à négliger, conduisant ainsi à des définitions sans doute perfectibles mais au moins « meilleures ».

sciences humaines : on « explique » un phénomène et on « explique » un acte. Cet usage commun a incité plusieurs épistémologues à concevoir un modèle unique d’explication. Or, une telle unité méthodologique est sujette à caution : alors que l’explication d’un phénomène naturel se réfère à des lois, c’est-à-dire à des propositions générales, il n’est pas certain que cela soit aussi le cas de l’explication d’un acte, celle-ci se référant plutôt à des motifs, c’est-à-dire à des propositions particulières71. Certains usages sont en outre issus de conceptions désuètes. C’est le cas par

exemple des expressions « le soleil se lève » et « le soleil se couche », et probablement de nombreux usages des termes « corps » et « esprit » qui présupposent deux entités distinctes72.

Enfin, un mot peut connaître dans une langue des usages purement contingents, voire parasitaires. Par exemple, concernant le mot « savoir », Austin déclare que « bien que nous employions correctement : “je connais vos sentiments sur ce sujet”, ou : “il sait ce qu’il a derrière la tête”, ou (de façon archaïque) : “puis-je savoir ce que vous avez derrière la tête ?”, il s’agit là d’expressions assez particulières pour ne pas justifier d’un emploi général73. » Or, Austin ne

formule aucun critère permettant de distinguer rationnellement entre expressions contingentes et « emploi général ». Bref, la « base linguistique» sur laquelle s’appuie le procédé de définition d’Austin est bien plus problématique que ne l’est, dans les sciences de la nature, la base empirique. Le langage ordinaire est certes une réserve de savoir, mais il s’agit d’un « savoir » au sens large, incluant superstitions, théories dépassées et effets de mode.

De plus, à supposer qu’ils véhiculent un savoir rationnel, les usages ordinaires demeurent insuffisants pour définir des concepts élaborés dans le cadre d’activités éloignées de la pratique quotidienne. Par exemple, comme le remarque W. Sellars dans Empirisme et philosophie de l’esprit, « on ne [...] trouvera pas [l’idée de “particuliers bi-dimensionnels bombés”] par une analyse du discours ordinaire sur la perception, pas plus que les trajectoires d’espace-temps quadri- dimensionnel de Minkowski ne sont une analyse de ce que nous entendons lorsque nous parlons d’objets physiques dans l’espace et le temps74. » Or, il est fort probable que les notions que l’on

71. Cf. par exemple K.-O. Apel, La controverse expliquer-comprendre (1979), trad. S. Mesure, Paris, Cerf, 2000. 72. Cf. par exemple G. Ryle, Le concept d’esprit (1949), trad. S. Stern-Gillet, Paris, Payot, 1978, -2005 ; cf. également l’exemple du terme « classification » in I. Hacking, Le plus pur nominalisme (1993), trad. R. Pouivet, Combas, L’Eclat, 1993, en particulier p.118 : « Je veux seulement mettre en garde contre des images très profondément enracinées de ce que doit être une classification. Tant que vous penserez à la formation d’espèces comme à une clôture, vous trouverez naturel de penser que la généralisation et la formation d’anticipations sont des choses tout à fait autres que la classification, et postérieures à elle. La doctrine des espèces naturelles – comme des générations d’auteurs l’ont appelée – était peut-être destinée à contenir la métaphore de la clôture. Si nous pensons les classes comme clôturées, la plupart de nous aura tout de suite une image des diagrammes de Venn. Et qui fut le premier philosophe à publier un texte contenant l’expression “espèce naturelle” ? John Venn. »

73. J. L. Austin, Ecrits philosophiques (1961), trad. L. Aubert et A.-L. Hacker, Paris, Seuil, 1994, p.68-69 ; cf. aussi

ibid., p.82 note 23 : « Parfois, nous employons “je sais” là où nous devrions être prêts à lui substituer “je crois”. »

74. W. Sellars, Empirisme et philosophie de l’esprit (1963), trad. F. Cayla, Combas, L’Eclat, 1992, p.56 ; cf. aussi J.-M. Lévy-Leblond, « Mots & maux de la physique quantique. Critique épistémologique et problèmes terminologiques » in

Revue internationale de philosophie, vol.54, n°212, 2/2000, p.243-265 ; B. D’Espagnat, Traité de physique et de philosophie,

Paris, Fayard, 2002, p.361-362, à propos de la notion de « causalité ». Un tel écart du langage scientifique par rapport au langage courant est même, selon Feyerabend, une condition nécessaire du progrès ; cf. P. Feyerabend, Contre la

méthode (1975), trad. B. Jurdant et A. Schlumberger, Paris, Seuil, -1988, p.24 : « Or, lorsque nous tentons de décrire et

veut appliquer à la fois aux activités quotidiennes et aux activités spécialisées – comme c’est le cas du concept de validité – relèvent elles-mêmes d’une théorie spécialisée et ne puissent être réduites aux usages ordinaires.

Enfin, le langage ordinaire s’incarne toujours dans une langue particulière, localisée dans le temps historique et l’espace social. Or, du fait de cette localisation, chaque langue possède ses propres expressions, ses propres « idiosyncrasies » qui ne s’appliquent pas nécessairement à d’autres langues. La définition que l’on établit à partir d’une seule langue n’est donc acceptable que pour ceux qui partagent cette langue, et on ne peut prétendre à une acceptation plus large sans risquer d’imposer aux autres langues des éléments pour elles contingents ou incompréhensibles, surtout si ceux qui pratiquent ces autres langues s’en tiennent aussi à ce procédé de définition. Et si, par souci d’impartialité ou d’intersubjectivité, on souhaite s’appuyer sur les usages d’une même notion dans plusieurs langues, alors on augmente d’autant les difficultés évoquées précédemment.

Les partisans de la méthode d’Austin reconnaissent en partie la pertinence de ces critiques. Austin admet par exemple « que toutes sortes de superstitions, d’erreurs et de fantasmes sont incorporées dans le langage ordinaire [...]75 » et que, « malgré la précision et l’étendue de

l’observation des phénomènes de l’action exprimés dans le langage ordinaire, les scientifiques modernes sont en mesure [...] de révéler son insuffisance sur de nombreux points, ne serait-ce que parce que, ayant accès à des données plus complètes, ils les ont étudiées avec un intérêt plus universel et objectif que l’homme de la rue, ou même le juriste76. » C’est pourquoi Austin limite

ses prétentions : « Bien sûr, nous n’en serons alors arrivés à rien de plus qu’à l’exposé de certains concepts ordinaires employés par des locuteurs (du français) ; mais aussi à rien de moins77. »

Toutefois, selon Austin, de telles objections ne permettent pas encore de renoncer à cette

Documents relatifs