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Partie 3 Annexes

3.4 Cartographie des connaissances, fondements et mises en œuvre

3.4.2 Définition & motivations

La spatialisation consiste à projeter une donnée dans deux ou trois dimensions, qu’elle soit { l’origine multidimensionnelle ou non. La cartographie est une spatialisation où les données sont géolocalisées (localisées par rapport à la terre). Aujourd’hui, cette notion s’étend { des données localisées ou spatialisées qui utilisent la sémantique de la cartographie (distances, chemins, frontières, etc.). La carte est l’instance de la cartographie : à partir de données cartographiques, plusieurs cartes peuvent être générées afin d’adopter et de partager des points de vue différents et nouveaux. Utilisable à plusieurs échelles, elle permet de voir émerger une connaissance plus simple { un niveau macroscopique ou de s’intéresser { une information détaillée sur une région de la carte.

Les données cartographiques peuvent être localisées dans l’anatomie d’un corps humain, dans un bâtiment (plan), dans un réseau informatique, etc. Elles peuvent aussi être localisées dans un espace multidimensionnel purement abstrait ou non localisées. C’est par exemple le cas des cartographies de l’information qui considèrent un espace ou un réseau informationnel. Dans ces derniers cas, la localisation disparaît, et seule la sémantique subsiste dans la métaphore (relief, distance, etc.).

Ces propriétés sémantiques ont été obtenues par un consensus culturel, ou sont issues du principe d’affordance de Gibson [Norman; Gibson 1977; Gibson 1979]: « un objet par lui-même, influe sur son utilisation, indique comment s’interfacer avec lui ». Cette démarche rejoint la sémiologie graphique de Jacques Bertin [Bertin 1967; Bertin 1977]. La métaphore de la cartographie qui utilise une métaphore géographique pour rendre l’espace informationnel accessible à la cognition humaine [Chalmers 1995; Skupin and Buttenfield 1997; Fabrikant and Buttenfield 2001].

Cette métaphore est qualifiée par Helen Couclelis d’ « unique et la plus riche, la source la plus systématique de sous-métaphores cohérentes pour structurer des représentations d’information complexe »1 [Couclelis 1998]. Employée dans de multiples contextes plus ou moins abstraits, la cartographie possède une image proche de celle que nous souhaitons produire avec notre outil. Elle favorise aussi la tendance naturelle qu’a l’utilisateur { « aller voir ce qu’il y a derrière la prochaine colline » [Buttenfield and Weber 1994], une stimulation de la curiosité de l’utilisateur qui correspond au problème d’analyse exploratoire de données.

La cartographie est issue des géosciences (ou sciences de l’information géographique). D’autres termes existent dans cette communauté et dont les définitions ne font pas toujours consensus. Le terme cartogramme se dissocie de la carte : la carte est le fond permettant la géolocalisation, le cartogramme est le produit qui superpose à ce fond de carte des données diagrammatiques [Andrieu 2005]. Cette notion est très proche de celle de carte thématique. Le terme géovisualisation restreint la cartographie à l’observation interactive de phénomènes spatiaux. Enfin, le terme spatialisation consiste à représenter dans un espace à 2 ou 3 dimensions des données abstraites qui ne sont pas initialement de cette nature.

3.4.2.2 Au croisement de plusieurs communautés

Les travaux théoriques en matière de cartographie sont principalement issus des géosciences. La carte est cependant visuelle, et a pour objectif de faire sens sans nécessiter d’apprentissage important : l’utilisateur sait ce qu’est une carte et comprend sa sémantique de façon relativement intuitive, éventuellement en se référant à une légende. Elle poursuit alors des objectifs similaires { ceux de la visualisation d’information, synthétisés par Edward Tufte comme suit :

1 « … single richest, most systematic source of coherent submetaphors for structuring complex information representations. »

Clarity and excellence in thinking is very much like clarity and excellence in the display of data.1 [Tufte 1983]

Il rejoint le principe de congruence et l’ancien adage attribué { Confucius « Une image vaut mieux que mille mots ». Ensuite, il définit l’excellence graphique :

Graphical excellence is the well-designed presentation of interesting data – a matter of substance, of statistics, and of design. Graphical excellence consists of complex ideas with clarity, precision, and efficiency. Graphical excellence gives the viewer the largest number of ideas in the shortest time with the least ink. 2[Tufte 1983]

Il propose dans ses ouvrages des outils et des méthodes objectives permettant de construire et d’évaluer cette excellence [Tufte 1983; Tufte 1990; Tufte 1997]. La plus connue est certainement le ratio encre/donnée :

Il prodigue de nombreux autres conseils pratiques, et introduit d’autres notions comme l’intégrité des données. Une seconde référence issue du domaine des géosciences est l’œuvre de Jacques Bertin [Bertin 1967; Bertin 1977]. Il se concentre sur la « sémiologie graphique » (ou sémiotique) : il étudie comment « la graphique » fait sens sans définition et apprentissage préalable. A partir des connaissances physiologiques de la perception visuelle et de la cognition, il explique comment utiliser efficacement les signes.

Comme le montrent ses travaux qui se basent sur des critères de quantité d’encre, etc. E. Tufte s’est intéressé dans un premier temps { des supports papier. L’informatique a progressé dans le quotidien du cartographe et des utilisateurs de cartes. La conception de carte se fait à l’aide de logiciels et de systèmes d’information géographique ; les cartes deviennent interactives, cliquables, zoomables, et animées. Le cartographe est alors amené à utiliser les outils informatiques de visualisation d’information. En parallèle, la communauté informatique de la visualisation s’intéresse aux mêmes aspects. Jock Mackinlay et Colin Ware prennent en compte par exemple les caractéristiques physiologiques et cognitives de la perception visuelle pour établir des recommandations pratiques dans la conception de visualisations [Mackinlay 1986; Ware 2000]. Ces deux disciplines sont maintenant réunies : elles partagent des outils, des techniques et pratiques, des utilisateurs et des fondements théoriques. Ces rapprochements pluridisciplinaires sont particulièrement bien illustrés par l’UCGIS ou encore le groupe de travail du CNRS en France. Les travaux de Sara Fabrikant et de ses collaborateurs en sont représentatifs [Fabrikant and Buttenfield 2001].

La carte est omniprésente : elle est disponible sur les sites touristiques, dans les Pages Jaunes ou par exemple sur les sites d’information concernant les élections passées. Elle envahit les terminaux mobiles (assistants de poche, téléphones, GPS pour les routes, les voies navigables et les randonnées, etc.). De nouvelles questions se posent avec la diversité des usages, des utilisateurs et des supports (taille de l’écran, figée ou animée, etc.). Que devient la légende ? Comment l’utilisateur est-il capable de personnaliser sa carte ? Ce sont ces questions auxquelles tentent de répondre communément informaticiens et géographes.

Enfin, soulignons l’interpénétration de ces deux communautés. Un exemple anecdotique est la mesure d’Horton et Strahler employée en géo-hydrologie [Strahler 1952]. Utilisée initialement

1 La clarté et l’excellence dans la pensée sont fortement similaires { la clarté et l’excellence dans l’affichage des données.

2 « L’excellence graphique est la présentation bien conçue de données intéressantes – un problème de substance, de statistique et de conception. L’excellence graphique consiste en la communication d’idées complexes avec clarté, précision et efficacité. L’excellence graphique donne au lecteur le plus grand nombre d’idées en un temps minimum avec un minimum d’encre. »

pour calculer la largeur de la représentation d’un cours d’eau sur une carte (plus généralement sa taille), cette mesure a été reprise pour la visualisation d’arbres binaires et n-aires [Auber, Delest et al. 2004.].

3.4.2.3 Le rôle du support graphique

Nous avons déjà cité les adages « Une image vaut mieux que mille mots » de Confucius repris par Napoléon « Un dessin vaut mieux qu’un long discours ». Au-delà de simples adages, il existe de multiples motivations pour visualiser des données.

La vision est la fonction la plus développée dans le cortex cérébral de l’homme ; elle en monopoliserait plus de la moitié. La faculté de vision est le résultat d’une évolution qui s’est faite en partie au détriment de notre système olfactif. Elle est notre principale source de perception. Plus généralement, la perception permet de traiter en parallèle une grande quantité d’informations. Au contraire, notre réflexion est séquentielle, et nécessite l’utilisation de la mémoire à court terme dont la capacité est restreinte1. Enfin, la présentation visuelle de l’information met en œuvre une activité distincte dans la mémoire. La vision permet donc de réduire la charge cognitive d’une tâche et d’améliorer l’activité mnémonique dans cette tâche (rétention et rappel). Des mécanismes de préattention permettent par ailleurs de détecter des mouvements et des changements. Il est important de prendre en compte les mécanismes de perception et de cognition dans la communication et l’analyse de l’information. C’est ce que résume la phrase de Ben Schneiderman :

«The eye is the best way for the brain to understand the world around us. »2 [Shneiderman 1987] L’objectif d’une visualisation (dans une carte ou non) est donc de faciliter l’analyse, la compréhension et le partage de données complexes [Tufte 1990]. Arnheim et MacEachrean et Card utilisent le terme de « raisonner visuellement » [Arnheim 1969; MacEachrean 1995; Card, Mackinlay et al. 1999]. McCormick propose la définition suivante :

Visualization is a method of computing. It transforms the symbolic into the geometric, enabling researchers to observe their simulations and computations. Visualization offers a method for seeing the unseen. It enriches the process of scientific discovery and fosters profound and unexpected insights. In many fields it is already revolutionizing the way scientists do science. 3

D’autres définitions existent dont nous recommandons la synthèse proposée par le WikiViz. Par ailleurs trois principaux objectifs de la visualisation d’information y sont décrits : la communication (présentation, mémorisation, argumentation, etc.) [Röber 2000], l’analyse exploratoire de données (qui englobe selon eux l’aide { la décision) et l’analyse confirmatoire (vérification d’hypothèse). Ces deux dernières démarches correspondent à celles des biologistes avec lesquels nous collaborons : dans un premier temps, ils analysent au niveau macroscopique du génome entier l’expression des gènes (puces à ADN). Une fois qu’ils ont isolé quelques gènes d’intérêt, ils vérifient leurs hypothèses par exemple { l’aide de QRT-PCR.

Enfin, ils définissent la visualisation d’information par son rôle essentiel de mise en relation d’éléments de données (distance, liens, taille, etc.).

1 On considère généralement qu’elle contient 7±2 « cases »

2 « Les yeux sont le meilleur moyen pour le cerveau de comprendre le monde qui nous entoure »

3 La visualisation est une méthode informatique. Elle transforme le symbolique en géométrique, permet aux chercheurs d’observer leurs simulations et calculs. La visualisation offre une méthode pour voir le « non vu ». Elle enrichit le processus de découverte scientifique et favorise des percées profondes et inattendues. Dans de nombreux domaines, elle révolutionne déjà la façon dont les scientifiques font des sciences.