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Déficience auditive en milieu urbain : quels enjeux et quels besoins?

collectifs et d’information accessibles à tous

5. Déficience auditive en milieu urbain : quels enjeux et quels besoins?

M. L. Saby

LASH ENTPE

L. Saby présente les réflexions et les premiers résultats de sa thèse, menée au Laboratoire des Sciences de l’Habitat (LASH), Département Génie Civil et Bâtiment (DGCB)–URA CNRS 1652) de l’Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat.

La thèse vise à comprendre les besoins des personnes déficientes auditives en matière d’accessibilité urbaine et à analyser certaines situations de handicap, afin d’émettre certaines propositions d’aménagement.

Il rappelle que la gestion du handicap auditif est plus complexe qu’on ne le croit. De nombreuses fausses idées sont véhiculées couramment :

Les « sourds et malentendants » parlent la langue des signes…

Les « sourds et malentendants » ne sont pas très nombreux…

Les « sourds et malentendants » ne doivent pas rencontrer beaucoup de difficultés au quotidien… car il leur suffit d’avoir recours à l’écrit…

Ces idées témoignent d’un besoin d’analyse et de compréhension du handicap auditif.

Des situations de handicap nombreuses liées à la déficience auditive L. Saby rappelle qu’une étude récente, menée par l’institut TNS-SOFRES (2006) confirme qu’environ 10% de la population française rencontrent des problèmes d’audition au quotidien. Un peu plus de la moitié des personnes concernées ont une surdité légère, source de gêne notamment en cas de communication dans le bruit.

Les autres surdités (moyenne, sévère et profonde) sont à l’origine de nombreuses situations de handicap.

Un large consensus des gestionnaires de l’urbain sur la nécessité d’améliorer l’accessibilité urbaine pour les PMR

Afin de comprendre la problématique du handicap auditif et d’analyser des situations de handicap dans la ville, L. Saby explique avoir fait le choix de se concentrer sur deux agglomérations et de rencontrer de manière aussi complète que possible les différents gestionnaires de l’urbain concernés par l’accessibilité. Une grille d’entretien ouvrant largement sur la question générale de l’accessibilité urbaine pour se resserrer progressivement autour de la problématique de la déficience auditive a été élaborée.

L’enquête a montré un large consensus sur la nécessité d’améliorer l’accessibilité urbaine à toutes les personnes à mobilité réduites (PMR). Les raisons évoquées

Session sur les handicaps auditifs et visuels

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touchent à l’amélioration générale du confort d’usage de la ville pour tous ainsi qu’une attractivité renforcée des modes doux de déplacement.

« Ce qu’on fait pour les personnes handicapées, on le fait pour les femmes enceintes, les parents avec les bébés et les poussettes, les personnes obèses…ça sert aussi pour les handicapés temporaires, bien sûr. » (Service Ville)

« Ne pas avoir des escaliers à monter pour aller dans un bus ou dans un tram, c’est du temps de gagné, (…) ça veut dire qu’on a des rotations meilleures et que

globalement on améliore l’attractivité…et les performances du système. » (AOTU)

Des gestionnaires de l’urbain démunis face à la question du handicap auditif

Afin de comprendre au mieux les difficultés rencontrées par les PMR et notamment les déficients auditifs au sein de l’espace public et de proposer des aménagements adéquats, les gestionnaires de l’urbain ont recours à la concertation. Ils organisent des groupes de travail, des visites de terrain, voire des mises en situation.

Comme dans toute concertation, les gestionnaires se heurtent à différentes difficultés :

- la segmentation du milieu associatif et les conflits éventuels : « Il y a beaucoup de représentants… c’est extrêmement compartimenté (…) le représentant du handicap moteur n’est pas celui qui représente les handicapés mentaux…celui qui représente les sourds – les malentendants – n’est pas le même… » (Région) ;

- le manque de représentativité des associations ;

- le manque de « professionnalisme » des associations ;

- le manque d’interlocuteurs, parfois : « Le problème, c’est que quand on n’a pas d’associations pour nous faire remonter les problèmes, il n’est pas évident de savoir quelles sont vraiment les mesures à prendre en compte. » (AOTU) ;

Ces difficultés sont exacerbées dans la mesure où le thème du handicap auditif se révèle complexe et spécifique. Il ne peut être appréhendé par l’aménageur urbain qu’au travers d’expériences d’usagers. « C’est aussi un handicap qui ne se voit pas, donc qui les exclue encore plus. (...) On voit quelqu’un qui est handicapé physique et c’est pas difficile de savoir ce qu’il faut faire, (…) c’est clairement identifié.» (Service Ville)

Les gestionnaires de l’urbain se disent donc démunis à la fois en termes de connaissance des situations handicapantes, et en termes de mise en place de solutions adaptées.

Résultats de suivis de parcours et entretiens

Des suivis de parcours et entretiens de personnes sourdes et malentendantes ont permis d’identifier les sources d’inaccessibilité urbaine :

Dans les établissements recevant du public

- les ruptures de signalisation : « On a des escaliers partout, on a l’impression que c’est une fourmilière quoi. (…) A chaque fois, je reviens (…) là, j’ai le

sentiment d’être paumé. (…) Quand tu sors, tu sais jamais de quel côté tu vas sortir. (…) Y a une mauvaise visibilité, quoi… » ;

- les guichets inadaptés (aides, bruit, éclairage, obstacles…) : « Ça dépend beaucoup des guichetiers…Y a des guichetiers qui travaillent en baissant la tête ou qui articulent très mal, enfin trop vite… (...) Quand c’est trop sombre, on ne voit pas bien le guichetier. (…) Et [il faut] aussi moins de bruit autour des guichetiers… » ;

- les évacuations d’urgence ; - les interphones.

Pour l’accès aux transports

- les annonces (retards, changements de quai, incidents, interruptions de service, grèves, Vigipirate…) : inintelligibles ou inaudibles : « quand y a un problème technique, ils préviennent de pas monter… Moi, je suis sourd, donc je me fais bananer, et je suis seul, assis, dans la rame, et là y a quelqu’un qui vient me chercher et qui me dit : non, non, non, vous sortez. » ;

- le vocabulaire élaboré, les tarifications complexes, les noms abstraits… ; - la fermeture des portes des véhicules ;

- le problème de standardisation de certaines informations.

Dans les espaces publics :

- la cohabitation entre modes (cyclistes et voitures, piétons et 2 roues / tramway / voitures) : « Il faisait nuit, j’ai pas vu le tram arriver et à un moment je me rends compte qu’il y a une lumière vive. Je me tourne et le tram était à 1m de moi, il venait de s’arrêter. J’ai failli me faire écraser. Je ne me suis pas rendue compte parce qu’on sent très peu les vibrations sur les rails et je ne me suis pas rendue compte qu’il arrivait. » ; « Une fois, j’ai traversé (…), j’avais le droit de passer et en plein milieu du passage piéton j’ai entendu un drôle de bruit. Et je me disais : « ça me dit quelque chose » et c’était les pompiers. (...) J’ai été obligée de courir parce que j’avais pas réalisé qu’ils avaient le droit de passer. » ;

- le manque de repères visuels, plans, panneaux… ;

- le bruit : « Si je suis seul je fais hyper attention, mais si on est entre amis, on bavarde, on bavarde, on bavarde, et on oublie les voitures…et en plus, on n’entend pas, donc y a rien qui nous rappelle. » ; « Moi ça me tue, tout ce qui est bruit régulier. Bruit de l’eau, bruit de moteur…enfin les bruits répétitifs et pas variés. Là je suis crevé. Ça me tape dessus, c’est comme les coups de marteau, quoi. » ;

- les problèmes d’équilibre.

Session sur les handicaps auditifs et visuels

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Résultats d’un questionnaire

Les résultats d’un questionnaire AFIDEO-ENTPE sur l’accessibilité urbaine pour les sourds et malentendants [Saumureau, 2006] confirment que :

- plus des ¾ considèrent que la surdité accroît le danger pour eux en cas d’évacuation d’urgence d’un bâtiment ;

- plus de la moitié considère que les informations sont suffisantes dans les transports collectifs en période normale, mais insuffisantes en période perturbée (grève, incident, alerte…).

Les typologies de gêne

Les suivis de parcours, enquêtes et entretiens précités ont permis d’identifier les différentes situations de handicap rencontrées par les personnes sourdes et malentendantes et de les classer selon trois catégories : situations de gêne, d’angoisse et de danger [fig.1].

Les situations de gêne sont notamment celles liées :

- à l’absence de traduction de certaines informations sonores sous forme visuelle (fermeture des portes dans certains transports collectifs, par exemple) ;

- à la sensibilité accrue des malentendants au bruit ambiant ;

- aux difficultés de localisation et d’identification de sources sonores ; - au manque de lisibilité d’espaces complexes ou de leur signalisation ;

- aux difficultés de communication causées par une ambiance lumineuse ou acoustique inadaptée ou par un manque de sensibilisation du personnel d’accueil…

Les situations d’angoisse sont dues :

- aux difficultés d’obtenir certaines informations sur des événements imprévus, notamment dans les transports (grèves, incidents, modification d’une information) ;

- ou à l’invisibilité de cette déficience qui impose aux sourds et malentendants de se montrer plus vigilants dans l’espace public afin de ne pas se laisser surprendre par un véhicule (voiture, vélo, véhicule prioritaire…) qui signalerait son arrivée par un avertisseur sonore ;

Enfin, les situations de danger sont essentiellement liées :

- à la difficulté ou à l’impossibilité de percevoir les alarmes et autres messages d’évacuation d’urgence dans le cadre bâti ;

- ou encore à la difficulté de donner l’alerte en cas de problème.

Fig.1

Propositions d’aménagement

L. Saby propose certaines idées d’aménagement : Pour favoriser l’accessibilité aux bâtiments :

- développer l’éclairage par lumière naturelle ; - prévoir des zones de communication ; - décloisonner l’architecture ;

- préférer les formes arrondies ;

- prévoir des systèmes visuels d’alerte en cas d’urgence.

« J’enlèverais tout ce qui bloque, tout ce qui au milieu est entassé. Je mettrais beaucoup plus de visibilité. Je contrasterais plus les couleurs (…) et je mettrais beaucoup plus de luminosité. (…) Et aussi une esplanade : lorsqu’on est en bas et qu’on est perdu, hop : monter un peu, repérer de loin (…) ce qui se passe et pouvoir se retrouver. »

Pour favoriser l’accessibilité aux transports en commun :

-Prévoir des informations visuelles (texte, lumières…) ou tactiles : « Ce qui est bien dans le tram, c’est qu’on a les informations qui défilent. » ; « Les [carreaux blancs] qui permettent de repérer les portes, ça permet, pour les sourds, de bien se positionner vers l’ouverture des portes et comme ça d’être sûr de pas être le dernier à arriver et que les portes se ferment. »

Session sur les handicaps auditifs et visuels

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- Développer les marquages au sol ;

- Travailler les ambiances sonores et lumineuses ;

- Sensibiliser les personnels aux besoins des déficients auditifs ;

- Développer l’identité des lieux : « C’est vrai qu’au niveau de la station elle-même (…) chacune a un peu un thème. C’est bien de standardiser les stations mais là, je trouve, pas trop. Il faut que chacune ait une identité pour les reconnaître. ».

En conclusion, une meilleure connaissance de ces situations de handicap mais aussi des particularités inhérentes à la population (hétérogène !) des sourds et malentendants doit permettre d’améliorer l’accessibilité urbaine pour de nombreuses personnes en situation de handicap de communication.

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