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Défaillances de la fonction paternelle chez les sujets toxicomanes

2. METAPSYCHOLOGIE DE LA PROBLEMATIQUE ADDICTIVE

2.4. Défaillances de la fonction paternelle chez les sujets toxicomanes

Après avoir montré l’importance des perturbations des relations précoces mère-enfant dans la genèse des processus toxicomaniaques, il convient de nous questionner sur la place de la fonction paternelle tierce dans la problématique addictive. Nous tenterons ainsi de rendre compte de la place de la figure paternelle dans la problématique de dépendance à partir des travaux sur les pathologies limites qui représentent, selon nombre d’auteurs, l’organisation prototypique pour « penser » les addictions. Nous évoquerons également de récents travaux spécifiques à la problématique addictive.

Les pathologies limites sont souvent comprises comme l’expression de la persistance d’une mère interne omnipotente qui règne sur l’univers mental du patient, associée à un défaut du tiers paternel qui n’a pu mettre fin à la relation fusionnelle en jouant son rôle de médiateur- séparateur. Dans les pathologies limites, les désirs hostiles contre le père ont plus trait à son absence en tant que limite entre la mère et l’enfant au sein d’une relation menaçant l’autonomie de ce dernier, qu’au désir de maintenir la relation fusionnelle. Cependant, le père est perçu comme trop fragile pour résister à ces attaques, ce qui peut détruire la relation minimale qui perdure. La mère semble par ailleurs avoir usurpé les fonctions paternelles, empêchant alors l’enfant de lutter contre la figure paternelle. Le père ne peut être haï ni absent, il est alors perdu (Green, 2008). Green (Ibid.) introduit dès lors le concept lacanien de forclusion du père.

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L’absence de père est un manque fondamental pour la psyché, car toutes les fonctions paternelles absentes manquent aux identifications du sujet et à sa protection.

Donnet et Green (1973) ont par ailleurs rendu compte d’une organisation du complexe d’œdipe singulière chez les patients limites, qui relèverait justement d’une défaillance de la mise en place de la problématique œdipienne. Ils décrivent une organisation où le sujet serait uni à ses géniteurs, eux-mêmes unis par la différence des sexes. Contrairement à la structuration névrotique où la différence des sexes structure la relation autour de la problématique de la castration qui elle-même s’articule avec l’identification, la « tri-bi-angulation » implique une relation entre les trois protagonistes modifiée. Le père et la mère sont différenciés, non selon leur sexe mais selon leurs qualités bonnes ou mauvaises. « Comme tout dichotomie a pour conséquence que chaque terme renvoie nécessairement à l'autre comme un double inversé, la tripartition sujet-objet, bon et mauvais objet aboutit en fait à une relation duelle, car l'objet tiers n'est jamais que le double de l'objet (Donnet & Green, 1973 : 266) ». C’est le clivage bon- mauvais objet qui domine et le sujet est plus souvent confronté au mauvais objet et, par voie de conséquence, le bon moi est constamment happé par le mauvais moi. Le bon objet va toujours s’avérer décevant ce qui entraînera sa dévalorisation puis son désinvestissement. Le sentiment de persécution domine. Cette configuration entraîne des troubles de l’identification.

McDougall (2004) souligne, soutenue par de nombreux auteurs, le peu de place que tient le père dans la constellation œdipienne chez les patients souffrant de problématique addictive. « Il faut également noter que, dans bien des recherches cliniques qui ont été menées sur l’addiction, le père, s’il n’est pas mort, est fréquemment absent ou, s’il est là, est souvent présenté comme inconsistant, coupable ou incestueux, et même, dans certains cas, lui-même addicté (souvent alcoolique). Au cours de ma propre expérience clinique, le père m’a été décrit maintes fois comme très surchargé professionnellement et donc relativement absent ». (McDougall, 2004 : 519).

Soulignac et Croquette-Krokar (2003) mettent en évidence, chez ces sujets, une conflictualité concernant l’imago paternelle. Le père est idéalisé mais en même temps inaccessible du point de vue affectif : « c’est un père « héroïquement absent », « admirablement mauvais » » (Soulignac & Croquette-Krokar, 2003 : 95). L’imago paternelle génère une ambivalence massive et constituerait une substance psychique empoisonnée, ressentie et agissant comme un poison dans le psychisme du sujet. L’on retrouve ainsi une image paternelle idéalisée et/ou mauvaise (et internalisée), tout comme l’image maternelle.

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L’absence du père ou sa disqualification par la mère pendant les premiers temps de vie de l’enfant, entraîne la transmission d’informations inquiétantes, négatives ou complétement absentes rendant le père étranger. Le père « reste un signifiant vide, forclos ou négatif » (Soulignac & Croquette-Krokar, 2003 : 95). Il ne pourra pas non plus occuper sa place de tiers séparateur ni de soutien face au psychisme de la mère.

L’addiction viendrait ainsi compenser illusoirement les défaillances maternelles et l’objet interne précaire ressenti comme absent ou incapable de consoler l’enfant perturbé qui se cache à l’intérieur, mais aussi les défaillances des fonctions paternelles, le père étant du même coup déchu (McDougall, 1982, 2004). L’addiction se pose comme un évitement de la perte et de la souffrance psychique, inélaborables. Nous en avons tout particulièrement souligné le poids des perturbations des relations précoces ayant mis en défaut les processus transitionnel et d’introjection avec notamment pour conséquence une impossibilité à élaborer dans le registre psychique vécus, sensations ou affects. Le recours à l’acte domine alors. Cette solution économique particulière d’« extériorisation » de la douleur mentale et des conflits psychiques nous a amenée à questionner le lien existant entre addiction et psychosomatique sur lequel nous reviendrons.

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