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Déduction des Idées de la raison pure

1. Présentation des déductions de la Critique de la raison pure Les sources d’une interprétation juridique de la déduction

1.5. Déduction des Idées de la raison pure

Enfin, la déduction des Idées de la raison pure possède quant à elle un statut particulier, dont la difficulté est résumée par Kant dans l’Appendice à la dialectique transcendantale :

« Les Idées de la raison pure n’autorisent, il est vrai, nulle déduction du type de celle des catégories ; si elles doivent toutefois avoir au moins quelque validité objective, même de caractère indéterminé, et ne pas représenter simplement de vains êtres de raison (entia rationis

ratiocinantis), une déduction doit absolument en être possible, dût-elle même s’écarter

franchement de celle que l’on peut pratiquer avec les catégories. » (A669-670/B697-698)

Cette particularité est explicable par le fait que les Idées ne se rapportent pas directement à un objet, mais plutôt à l’usage de l’entendement lui-même. Il n’y a en effet pas d’objet qui leur corresponde dans la sensibilité, ce qui ne signifie pas qu’on ne puisse leur accorder de validité objective, entendue en un sens sensiblement différent. Leur déduction, opérée dans la section intitulée « Du but ultime de la dialectique naturelle de la raison humaine » (A669/B697 sq.), consiste ainsi à en légitimer l’usage à titre de principes non pas constitutifs, mais bien régulateurs (A671/B699)106. Car les Idées ne sont

pas dialectiques en elles-mêmes : c’est plutôt leur usage abusif qui provoque la « trompeuse

                                                                                                               

105 En guise d’exposition transcendantale du concept du temps, Kant renverra précisément à la troisième caractéristique

de son exposition métaphysique, soit l’existence de principes temporels à la certitude apodictique (A31/B47). L’équivalent de cette troisième caractéristique en ce qui concerne le concept de l’espace (A24) a justement, quant à lui, été incorporé à l’exposition transcendantale dans la seconde édition (B40-41). Les deux sections répondant au nom d’« exposition transcendantale », rajoutées à l’occasion de la deuxième édition, consistent en fait en la présentation d’exemples de propositions a priori dont la certitude ne pourrait être obtenue autrement qu’en admettant l’espace et le temps comme formes pures de l’intuition, soit les propositions de la géométrie et celles relatives au mouvement ou au changement.

106 Et ce, contre notamment la tentative de « déduction mystique » des Idées que Kant reproche à Platon. (A314/B371,

apparence » (A669/B697) pouvant conduire à l’erreur107. Les conflits dont fait état la Dialectique

transcendantale sous le nom d’Antinomies de la raison pure découlent précisément d’un tel malentendu ; ils portent en effet sur des Idées de la raison pure, lesquelles vont au-delà des conditions de l’expérience possible, et pourtant, les protagonistes de ces conflits mettent à contribution les lois de l’entendement, qui ne sont destinées qu’à l’usage empirique (A750-751/B778- 779). Les parties en présence commettent toutes deux cette erreur considérable, situation que Kant qualifie à deux reprises de non liquet (A742/B770 ; A787/B815), un cas en droit où aucune loi n’est applicable. Il est en outre significatif de voir en quels termes Kant réitèrera la nécessité d’une critique de la raison pure au regard de l’usage des Idées dans « Quels sont les progrès de la métaphysique en Allemagne depuis le temps de Leibniz et de Wolff? » :

« […] afin aussi que la possession que [la raison pure] est capable de s’assurer de cette connaissance du supra-sensible considéré comme la fin de la métaphysique, soit garantie a

priori, non par ces preuves justement qui se sont si souvent révélées trompeuses, mais par une

déduction du droit de la raison à ces déterminations. »108

Une déduction en bonne et due forme doit ainsi prendre la place des preuves produites par les métaphysiciens dogmatiques dans le cadre des conflits portant sur les Idées de la raison pure, et ce, dans le but de légitimer la prétention de la raison à tendre vers le supra-sensible.

L’usage des Idées de la raison pure fait donc indubitablement l’objet d’une déduction transcendantale – en ce qu’il doit être régulateur et non constitutif. Elles possèdent en ce sens une validité objective pour ainsi dire indirecte : bien qu’on ne les retrouve pas concrètement dans l’expérience, elles la surplombent. Or, quoique l’articulation en soit moins évidente que dans le cas                                                                                                                

107 L’illusion générée par les Idées se révèle même « indispensablement nécessaire si, outre les objets placés devant nos

yeux, nous voulons inciter l’entendement à dépasser toute expérience donnée (constituant une partie de l’ensemble de l’expérience possible), et donc lui apprendre aussi à atteindre l’extension la plus grande et la plus extrême qui soit possible. » (A644-645/B672-673)

des deux autres déductions, on peut également isoler un moment correspondant à la déduction métaphysique des Idées, soit à la légitimation de leur possession en tant que concepts purs. Dès la deuxième section de la Dialectique transcendantale, Kant effectue en effet un parallèle des plus intéressants à cet égard entre les concepts purs de l’entendement et ceux de la raison :

« L’Analytique transcendantale nous a fourni un exemple de la manière dont la simple forme logique de notre connaissance peut contenir l’origine des concepts purs a priori […] La forme des jugements produisit des catégories qui dirigent tout usage de l’entendement dans l’expérience. Sur le même modèle, nous pouvons espérer que la forme des raisonnements, si on l’applique à l’unité synthétique des intuitions selon la norme fournie par les catégories, contienne la source de concepts particuliers a priori que nous pouvons nommer concepts purs de la raison ou Idées transcendantales, et qui détermineront, d’après des principes, l’usage de l’entendement dans la totalité de l’expérience considérée dans son entier. » (A321/B378 ; nous soulignons)

C’est donc la table des catégories et plus précisément les catégories de la relation qui viennent à présent jouer le rôle de fil conducteur dans ce qui doit tenir lieu de déduction métaphysique des Idées de la raison pure, en tant qu’on peut prétendre légitimement à leur possession109.