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Découverte et propriétés fondamentales du Sr 2 RuO 4

3.4 Conclusion du projet

4.1.1 Découverte et propriétés fondamentales du Sr 2 RuO 4

Suite à la découverte du premier cuprate supraconducteur La2xBaxCuO (LBCO) en 1986[10], de grands efforts ont été faits pour explorer des systèmes similaires en espérant trouver d’autres supraconducteurs non conventionnels. Les plans CuO ayant rapidement été identifiés comme un ingrédient clé pour générer la supraconductivité à haute température, une grande partie des efforts ont consisté à trouver différentes façons d’empiler ceux-ci. La famille des cuprates s’est agrandie en peu de temps, révélant des températures critiques Tcau-delà de 150 K seulement quelques années après la découverte initiale.

Malgré le succès connu par la recherche d’autres cuprates et l’importance perçue du cuivre comme ingrédient central, certains ont plutôt choisi de miser sur le côté bidimensionnel et d’explorer des matériaux sans cuivre possédant aussi des états électroniques 2D. Certains métaux de transition étaient déjà reconnus pour avoir des oxydes qui s’organisent en plans 2D dans une structure de pérovskite, comme les cuprates. Entre autres, les oxydes de ruthénium, ou ruthénates, étaient étudiés à IBM Zürich aussi tôt qu’en 1988 par Bednorz et Maeno. Le matériau qui fait l’objet de ce chapitre, le ruthénate de strontium Sr2RuO4était connu de ces chercheurs dès 1992. La Fig.4.1illustre la structure cristalline tétragonale qu’il partage avec le premier cuprate LBCO.

F i g u r e 4.1Structure cristalline du Sr2RuO4, qui est aussi celle du premier cuprate LBCO. Des plans RuO sont les analogues des fameux plans CuO des cuprates. Figure tirée de la Réf. [12].

Initialement, aucune supraconductivité n’avait été détectée dans les monocristaux disponibles de Sr2RuO4lors de mesures allant aussi bas en température que 4.2 K. Ceci n’avait pas été considéré comme une surprise puisque le ruthénate de strontium est un bon métal et que les cuprates non dopés, eux, sont des isolants. Le matériau ne semblait pas être un si bon analogue des cuprates et il perdit brièvement l’attention des chercheurs.

C’est en 1994 que le début de ce qui semblait être une transition supraconductrice fut observé à très basse température en chaleur spécifique dans des échantillons polycristallins. Ces échantillons n’étaient cependant pas assez bons pour pouvoir observer une résistivité nulle aux plus basses températures atteignables. La résistivité et la susceptibilité des monocristaux initiaux ont par la suite été remesurées à plus basse température et ont révélé que le Sr2RuO4était bel et bien supraconducteur sous environ 1 K[51]. Cette température critique est évidemment beaucoup plus basse que ce qui peut être observé dans les cuprates. De plus, le fait que l’état supraconducteur apparaît dans le ruthénate de strontium non dopé qui est déjà métallique suggérait que cette supraconductivité pouvait potentiellement être d’une autre origine que celle des cousins à base de cuivre.

La résistivité électrique du ruthénate de strontium révèle toutefois une similitude importante avec les cuprates : une grande anisotropie de la conduction. La résistivité dans les plans RuO est beaucoup plus faible que la résistivité hors-plan, comme le montre la Fig.4.2. La résistivité a un comportement métallique typique de décroissance lorsque la température diminue sous 300 K, alors que la résistivité hors-plan se comporte ainsi seulement sous 130 K. Dans les deux cas, la résistivité a une dépendance quadratique en température sous 20 K, tel qu’attendu dans un liquide de Fermi. Dans ce régime, l’anisotropie de la résistivité électrique est indépendante de la température.

Puisque le Sr2RuO4stœchiométrique ne requiert pas de dopage pour devenir supraconducteur, il est relativement facile (comparé aux cuprates supraconducteurs issus du dopage d’isolants de Mott parents) d’obtenir des échantillons très propres et les procédés de croissance ont effectivement été optimisés rapidement. La qualité des échantillons a permis d’étudier en détail la surface de Fermi de l’état normal métallique du ruthénate de strontium, entre autres à l’aide de mesures d’ARPES[53] et d’oscillations quantiques[54].

La surface de Fermi maintenant bien connue est illustrée à la Fig.4.3. Compte tenu de la nature bidimensionnelle du matériau, c’est sans surprise qu’on y retrouve uniquement des surfaces ouvertes alignées le long de l’axe c. La surface de Fermi est constituée d’un feuillet de trousα situé aux coins de la zone de Brillouin et de deux feuillets d’électrons,β et γ, centrés au point Γ. Il faut noter que la texture des feuillets dessinés à la Fig.4.3est exagérée par un facteur 15 et que la dispersion réelle le long de l’axe c est encore plus faible qu’illustrée. Tel que suggéré par le transport électrique, le Sr2RuO4a une physique fortement 2D.

F i g u r e 4.2Anisotropie de la résistivité électrique du Sr2RuO4. La résistivité dans les plans RuO,ρab, est beaucoup plus faible que la résistivité hors-plan,ρc(bien noter la différence entre les échelles gauche et droite). En encart, la dépendance quadratique en température de la résistivité sous 20 K est mise en évidence en traçant celle-ci en fonction de T2. Figure tirée de la Réf. [52].

F i g u r e 4.3Surface de Fermi du Sr2RuO4(Gauche) Image 3D montrant la surface de Fermi complète. Aux coins de la zone de Brillouin se trouve la surface de trousα (en orange), alors que les deux surfaces d’électrons,β (en blanc) et γ (en jaune) se trouvent au centre. La texture des feuillets est exagérée par un facteur 15 pour permettre de voir la faible dispersion le long de l’axe vertical. Figure tirée de la Réf. [54]. (Droite) Coupe 2D de la surface de Fermi telle que mesurée par ARPES, montrant à quel point la surfaceγ est presque parfaitement cylindrique. Figure tirée de la Réf. [53].

Si l’état normal du ruthénate de strontium semble être un liquide de Fermi assez typique et facile à déchiffrer, qu’en est-il de son état supraconducteur ? Très tôt, il est devenu évident que le Sr2RuO4est un supraconducteur non conventionnel. La preuve se trouvait dans la dépendance de la température critique sur la quantité d’impuretés non magnétiques dans le matériau. La Fig.4.4(a) montre cette relation, en prenant la résistivité résiduelle à température nulle comme indicateur de la quantité d’impuretés.

F i g u r e 4.4(Gauche) Dépendance de la température critique du Sr2RuO4sur la quantité d’impuretés. Figure tirée de la Réf. [55]. (Droite) Schéma illustrant l’effet de la diffusion de paires de Cooper sur l’amplitude du gap supraconducteur dans le cas d’un gap isotrope s-wave(a) et d’un gap anisotrope d-wave(b). En haut, la dépendance enk de l’amplitude des gaps autour d’une surface de Fermi (en vert) est illustrée et la phase des gaps est indiquée par les signes. Les processus de diffusion déplaçant des paires de Cooper entre des points où le gap a des amplitudes différentes engendre le moyennage de celui-ci. Les schémas du bas illustrent le fait que ce moyennage n’affecte pas le gap isotrope, alors qu’il détruit le gap anisotrope. Figure tirée de la Réf. [12]

Le fait que la température critique chute à zéro (et donc que la supraconductivité disparaisse) dès que la résistivité résiduelle augmente au-delà de 1μΩcm (une valeur assez faible) indique que l’état supraconducteur a une très faible tolérance aux impuretés non magnétiques. Ce phénomène est observable lorsqu’un supraconducteur possède un gap anisotrope. Les impuretés dans le ma- tériau diffusent les paires de Cooper et, lorsque celles-ci se déplacent entre des points où le gap a des amplitudes différentes, cette diffusion a pour effet de moyenner le gap. Lorsqu’il y a assez d’impuretés et de diffusion, un gap anisotrope ayant des changements de signe peut être moyenné à zéro et disparaître. Si le gap est isotrope, une telle diffusion n’a aucun effet. La Fig.4.4(b) montre les exemples simples des gaps s-wave (conventionnel) et d-wave (non conventionnel).

liquide de Fermi caractérisé en détail et disponible en cristaux très propres qui possède aussi un état supraconducteur non conventionnel. Ceci en fait le système parfait pour tester notre compréhension de la supraconductivité non conventionnelle.

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