1.2 Idées contemporaines sur le déclenchement des séismes
1.2.3 Déclenchement dynamique
Le déclenchement de sismicité par transfert dynamique de contrainte est un
phé-nomène qui peut se révéler tout à fait spectaculaire. Dans les minutes suivant le
séisme de Landers, Hill et al. [1993] reportent une augmentation brutale du taux
de sismicité jusqu’à plus de 1000 kilomètres de la zone de rupture. A de telles
distances, la variation statique de la contrainte de Coulomb (qui diminue comme
1/r3) est quasiment nulle, et la causalité entre ce séisme et ces répliques requiert
l’intervention d’un mécanisme de déclenchement différent. La variation
dyna-mique de la contrainte de Coulomb diminue plus graduellement avec la distance
(figure 1.5b), et constitue donc un candidat plausible pour le déclenchement à
longues distances.
La corrélation du début de ce saut d’activité à Long Valley (Sierra Nevada,
Ca-lifornia) et aux Geysers (Coast ranges, Californie) avec le passage des ondes de
Love et de Rayleigh suggère qu’il s’agit d’un effet dynamique lié au passage des
ondes sismiques émises par le séisme de Landers [Hill et al., 1993], voir figure
1.6. Ce phénomène transitoire peut générer des contraintes locales plusieurs fois
supérieures à la contribution statique pendant de très courtes durées.
Depuis, d’autres observations similaires ont été reportées après les séismes de
Northridge (1994,Ms6.6) et de Hector Mine (1999,Mw7.1) [Gomberg et al., 2001],
d’Izmit (1999,Mw7.4) [Brodsky et al., 2000], de Denali (2002,Mw7.9) [Prejean et al.,
2004; Husen et al., 2004], ou de Sumatra (2004,Mw9.0) [West et al., 2005].
FIG. 1.6: (haut)Vitesse de déplacement du sol (composante verticale) enregistrée à Long
Valley Caldera, dans la zone géothermale des Geysers et à Parkfield pendant
le séisme de Landers. Pour chaque station les traces supérieures correspondent
au signal non-filtré et les traces inférieures au signaux filtrés entre 5Hz et 30Hz.
Les arrivées des ondes S du séisme de Landers, et les premiers évènements
dé-clenchés localement sont indiqués par les symboles "S" et "1". Aucun évènement
local n’est détecté à la station de Parkfield. D’après Hill et al. [1993]. (bas) (a)
Même type de signal (3 composantes : (V)erticale, (N)ord et (E)st) enregistré
pendant le Séisme d’Izmit (Turquie) sur une station déployée en Grèce. Les
ar-rivées des ondes de Rayleigh et de Love sont indiquées par les symboles "R" et
"L".(b)Signaux filtrés entre 5Hz et 20 Hz. Ceux-ci montrent deux séismes locaux
(flèches,ML∼1et3.8) déclenchés après l’arrivée des ondes de Rayleigh. Notez
la différence d’échelle entre les panneaux (a) et (b). D’après Brodsky et al. [2000].
Il ressort de ces observations que tous les forts séismes ne génèrent pas de
sis-micité à longues distances. Le mécanisme à l’origine de cette sissis-micité est
en-core assez méconnu, et les idées ne sont pas enen-core arrêtées sur les paramètres
physiques importants pour caractériser ce phénomène. Ainsi, Gomberg [1996] et
Brodsky et al. [2000] affirment tout d’abord que l’amplitude des ondes ne semble
pas être un critère pertinent pour expliquer cette occurrence sporadique de
ré-pliques à longues distances. Etudiant la sismicité à la Caldera de Long Valley
(Californie), Brodsky and Prejean [2005] proposent plutôt l’existence d’un seuil
de déclenchement dépendant de la fréquence du signal enregistré, de sorte que
les signaux longues périodes (> 30 s.) soient plus efficaces que les signaux de
courtes périodes pour déclencher de la sismicité, à amplitude égale. Cette idée
semble confortée par les expériences de Beeler and Lockner [2003] et de Savage
and Marone [2007] qui indiquent que la fréquence de la perturbation joue un rôle
sur le déclenchement, en particulier à basse fréquence. Toutefois, ces conclusions
ne sont pas définitives et sont aptes à encore évoluer et à s’éclaircir à la lumière
de nouvelles données sismologiques et expérimentales.
Par exemple, Johnson and Jia [2005] et Gomberg and Johnson [2005] considèrent
pour leur part que le déclenchement dynamique de séismes découle de la
propa-gation de déformations larges (> 10−6), suite à des séismes de forte directivité,
comme les séismes de Landers, Hector Mine, ou Denali [Gomberg and Johnson,
2005]. Comme un simple critère de seuil expliquerait le déclenchement de
sis-micité à longues distances, ils suggèrent alors que l’influence de la fréquence du
signal ne devrait pas jouer de rôle prépondérant dans ce processus. L’analyse
répétée de tels épisodes de déclenchement dynamique pour d’autres séquences,
et en d’autres regions du monde permettra sans doute à l’avenir de trancher ce
débat.
La prédominance de l’effet dynamique sur l’effet statique est aussi controversée
à proximité de la zone de rupture. Kilb et al. [2000] pensent qu’un mécanisme
d’affaiblissement des failles par cyles successifs de chargement-déchargement est
à l’origine du déclenchement dynamique, et qu’il joue également un rôle
impor-tant à proximité de la zone de rupture. L’assymétrie de l’augmentation du taux de
sismicité par rapport au plan de faille de Landers (déclenchement plus important
au nord), est selon eux un argument en faveur de la prédominance des processus
dynamiques dans les mécanismes d’interactions. Gomberg et al. [2003] appuient
cet argument en montrant que la répartition de l’augmentation du taux de
sismi-cité est corrélée avec la directivité de la rupture pour 15 séismes de magnitude
entre 5.7 et 8.1. Felzer and Brodsky [2006] s’accordent également avec cette vue
en se basant sur la relation entre la densité moyenne de répliques et la distance
au choc principal.
Quoi qu’il en soit, un mécanisme de déclenchement purement dynamique ne peut
tenir car il ne permet pas d’expliquer les observations d’apaisements de
sismi-cité. Enfin, dans la plupart des cas, les observations de déclenchements à longue
distance n’ont pas lieu dans des régions tectoniques classiques, mais plutôt en
des lieux où existe une activité volcanique récente ou géothermale [Hill et al.,
1993; Husen et al., 2004; Brodsky and Prejean, 2005], avec souvent une activité
sismique préexistante. Ceci requiert donc un chargement critique des failles
lo-cales, de sorte que l’accomodation de déformations transitoires puisse générer de
la sismicité [Gomberg et al., 2004; Freed, 2005].
Dans le document
Réponse sismique de la croûte terrestre à un changement de contrainte : application aux doublets de séismes
(Page 49-52)