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LES DÉBATS ENTRE ÉTAT, ÉGLISE CATHOLIQUE ET ÉGLISES RÉFORMÉES

Dans le document ÉTAT, MINORITÉS RELIGIEUSES ET INTÉGRATION (Page 180-190)

AUTOUR DE L’ÉDIT DE TOLÉRANCE DE 1787

Didier boisson

Université d’Angers – CErHIo UMr 6258

Un siècle après l’édit de Fontainebleau de 1685 qui révoque l’édit de nantes, et à la suite de nombreux débats, Louis XvI accorde en novembre 1787 aux non-ca- tholiques du royaume, protestants et juifs, un édit que l’on appelle couramment l’édit de tolérance ou l’édit de breteuil, du nom du secrétaire d’État qui a parti- cipé à sa rédaction. Ce texte ne donne en aucune façon une quelconque liberté de culte aux non-catholiques, mais uniquement un état civil. En effet, désormais, ils peuvent faire enregistrer les naissances, mariages et décès de leurs communautés, réhabiliter les unions illégales contractées avant l’édit et faire légitimer les enfants nés de ces unions auprès d’un juge ou d’un curé, ce dernier n’ayant aucun rôle religieux mais devenant seulement un officier d’état civil1.

Depuis la fin du xviie siècle, les protestants français, car ce sont principale-

ment eux qui sont concernés par cette loi, refusent la plupart du temps de faire célébrer leur union par un curé, se contentant de la signature d’un contrat notarié et de la bénédiction éventuelle d’un pasteur du Désert, comme ils renoncent également à faire baptiser les enfants nés de ces unions et à demander une sépul- ture au curé dans le cimetière catholique ; ces comportements, variables selon les provinces, se trouvent confortées par le synode national du Désert de 1744 qui exhorte les réformés à n’accepter aucune compromission avec la confession adverse2. Ainsi, tout au long du siècle des Lumières, une partie de la population

française vit sans état civil. Ce ne sont pas les mesures répressives prises contre les réformés, que ce soit les nombreuses lois, les enfermements, les enlèvements d’enfants, les procès contre les cadavres ou les campagnes de rebaptisations des

1 Sur la question de l’édit de tolérance, Encrevé A. et Lauriol (dir.), Actes des Journées d’études sur l’Édit de 1787, Bulletin de la Bibliothèque de l’Histoire du Protestantisme Français (BSHPF), t. 134, no 2,

1988. boisson D. et Daussy H., Les protestants dans la France moderne, Paris, belin, 2006. bost H., « vers la tolérance ou vers l’édit (1750‒1787) », Ces Messieurs de la R.P.R. Histoires et écritures de hugue- nots, xviie–xviiie siècles, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 365‒376.

2 Anquez L., De l’état civil des réformés de France, Paris, 1868 ; Léonard E.-g., « Le problème du mariage civil et les protestants français au xviiie siècle », Revue de théologie et d’action évangéliques, 1942,

enfants réformés, sur le modèle des dragonnades des années 1680, qui changent la situation3.

À partir du milieu du xviiie siècle un débat tripartite s’instaure entre l’État, les

Églises réformées et l’Église catholique, chacun avec ses propositions, avant même l’affaire Calas4 qui éclate en 1761, et les négociations aboutissent à un accord en

1787 entre l’État et les Églises réformées, contre l’avis de l’Église catholique. L’objectif de cette communication est d’une part d’essayer de comprendre l’évo- lution de la position de l’État à l’égard des protestants, alors que les persécutions sont nombreuses jusqu’au début des années 1760, mais aussi d’étudier les argu- ments des trois partenaires pour obtenir une solution en s’intéressant à des écrits publiés durant cette période5, principalement des pamphlets et des mémoires. Je

m’appuierai pour comprendre les trois points de vue sur un texte publié anony- mement en 1788 et intitulé Conférence entre le frère Pancrace, Capucin, le docteur Hoth-Man, ministre protestant, & M. Robino, avocat au Parlement de Paris6.

L’argumentation des protestants est bien connue. Pour eux, la question de l’état civil est liée à celles de la tolérance et de la liberté de conscience. Cependant, après la génération qui a connu la révocation de l’édit de nantes, c’est-à-dire celle de Pierre bayle ou d’Henri basnage de beauval, il faut véritablement attendre le milieu du siècle des Lumières pour que ces thèmes soient abordés. En 1748, le protestant cévenol La beaumelle7 transpose ces idées de tolérance et de liberté de

conscience sous la forme d’un conte exotique, L’Asiatique tolérant. Un Emorain 3 Sur cette question, voir des études régionales : krumenacker Y., Les protestants du Poitou au xviiie siècle, Paris, H. Champion, 1998 ; boisson D., Les protestants de l’ancien colloque du Berry de

la Révocation de l’édit de Nantes à la Révolution (1679‒1789), ou l’inégale résistance de minorités reli- gieuses, Paris, H. Champion, 2000. Sur des formes de persécutions : Joblin A., Dieu, le juge et l’enfant. L’enlèvement des enfants protestants en France (xviie-xviiie siècles), Arras, Artois Presses Université, 2010 ; boisson D., « La justice royale et les procès contre les cadavres aux xviie et xviiie siècles », Justice et pro-

testantisme, D. boisson et Y. krumenacker (dir.), Lyon, Chrétiens et Sociétés, 2011, p. 113‒127 ; gaussent J.-C., « La campagne de rebaptisations de 1752 dans les diocèses de nîmes et de Montpellier », BSHPF, 1999, p. 729‒749.

4 bien D. D., L’Affaire Calas. Hérésie, persécution, tolérance au xviiie siècle, Toulouse, 1987 ; garrisson J., L’Affaire Calas. Miroir des passions françaises, Paris, Fayard, 2004.

5 Poujol J., « Aux sources de l’Édit de 1787 : une étude bibliographique », BSHPF, t. 133, 1987, p. 343‒384 ; t. 142, 1996, p. 293‒309. bergeal C., Protestantisme et Tolérance au xviiie siècle : de la

Révocation à la Révolution. 1685‒1789, La Cause, 1988.

6 Conférence entre le frère Pancrace, Capucin, le Docteur Hoth-Man, ministre protestant, & M. Robino, avocat au Parlement de Paris, sur la question est-il avantageux à la France de donner l’état civil aux protes- tants considéré par rapport à la religion, à la tranquillité de l’État et à l’intérêt politique, Fribourg, 1788. 7 Laurent Angliviel de La beaumelle est né en 1726 dans les Cévennes d’une mère catholique et d’un père protestant, il est baptisé catholique mais se convertit au calvinisme et fait des études de théologie à genève. De retour en France en 1753, il prend la défense de Calas. Il meurt en 1777. La beaumelle L., Deux traités sur la tolérance. L’Asiatique tolérant (1748). Requête des protestants français au roi (1763), H. bost (éd.), Paris, H. Champion, 2012. voir Lauriol C., La Beaumelle. Un protestant cévenol entre

Montesquieu et Voltaire, genève, Droz, 1978. Sa correspondance est en cours de publication par Hubert bost à la voltaire foundation d’oxford.

181 L’ÉvoLUTIon DU PArADIgME MInorITAIrE DES MUSULMAnS (catholique romain) est témoin des souffrances endurées par les Kanviliens (cal-

vinistes) : il en appelle à la pitié et au sens de l’État de Zéokinizul, roi des Kofirans

(Louis Xv, roi des Français). La beaumelle cherche à montrer que l’intolérance est contraire aux idéaux du christianisme parce que « la figure du Christ est le fondement de la tolérance, puisque lui aussi a souffert de l’intolérance ». En 1751, Antoine Court écrit Le Patriote français et impartial ou réponse à la lettre de M. l’évêque d’Agen8. Toutefois, même s’ils ont été lus, ces ouvrages ont eu peu

d’influence jusqu’aux affaires des années 1760.

Dans le texte de la Conférence, le représentant des réformés, le docteur Hoth-

Man, insiste tout d’abord sur la liberté de conscience en soulignant que « nul homme n’a ni droit ni raison valable d’empêcher l’exercice libre de la conscience, & tout commerce entre Dieu et l’homme doit être entièrement volontaire » et que « la Société ecclésiastique ne doit point forcer les consciences »9. Ensuite, il

se prononce en faveur d’une non-intervention de l’État dans les questions rele- vant du contenu des croyances et surtout que l’État ne favorise pas une confession par rapport à une autre. Enfin, l’État se trouvera renforcé en reconnaissant l’exis- tence de ceux qui grâce à la loi pourront se considérer comme de véritables ci- toyens et en accueillant des familles descendant des réfugiés. Dans ces différentes considérations, l’influence de Pierre bayle est évidente. Ce dernier, réfugié aux Provinces-Unies à partir de 1681 après la fermeture de l’académie protestante de

Sedan où il était professeur de philosophie, aborde ces thèmes de la tolérance et de la liberté de conscience en particulier dans son Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ « Contrains-les d’entrer » (1686‒1687) et son Dictionnaire historique et critique (1696). Marqué par la révocation de l’édit de nantes et la

mort de son frère Jacob dans les prisons royales (novembre 1685), il veut dénon- cer l’intolérance : « C’est donc une chose manifestement opposée au bon sens et à la lumière naturelle, aux principes généraux de la raison, en un mot à la règle primitive et originale du discernement du vrai et du faux, du bon et du mauvais, que d’employer la violence à inspirer une religion à ceux qui ne la professent pas » (Commentaire philosophique). Il distingue conscience éclairée (les calvinistes) et

conscience erronée, mais il estime qu’il faut laisser la liberté de conscience et la liberté de culte à ceux qui ont cette conscience erronée, c’est-à-dire aux autres confessions chrétiennes, au judaïsme, à l’Islam, mais aussi aux athées. C’est à l’État d’instaurer cette tolérance civile10.

8 Court A., La Patriote français et impartial, ou réponse à la lettre de M. l’évêque d’Agen à M. le contrô- leur général contre la tolérance des huguenots, otto H. Selles (éd.), Paris, H. Champion, 2002.

9 Il demande même que l’on puisse changer de religion « sans que personne ait droit de se formaliser » (p. 6).

10 La bibliographie sur Pierre bayle est immense. Deux principaux ouvrages sont à retenir : Élisabeth Labrousse, Pierre Bayle, Paris, Albin Michel, 1996 ; Hubert bost, Pierre Bayle, Paris, Fayard, 2006. De nombreux textes de Pierre bayle ont été publiés : Ce que c’est que la France toute catholique, E. Labrousse

Être des citoyens à part entière, c’est le combat des protestants qui prennent la plume à ce sujet à partir des années 1760, à la différence naturellement de voltaire

qui n’entend pas être l’avocat de la cause protestante, mais qui a publié en 1763 son

Traité sur la tolérance uniquement pour faire réhabiliter Calas, un innocent injus-

tement accusé et condamné11. Les auteurs protestants, La beaumelle, le pasteur

Paul rabaut, le pasteur Court de gébelin, qui publie en 1763 des Toulousaines ou Lettres historiques et apologétiques en faveur de la Religion réformée et de divers pro- testants condamnés ces derniers temps, font eux l’apologie de la tolérance religieuse

et de la liberté de conscience. Si Calas a été condamné, si le pasteur rochette et le feudiste Sirven l’ont été également, c’est parce qu’ils étaient protestants. Ils veulent avant tout rétablir la vérité sur l’attitude de l’État et de l’Église catholique à leur égard, souhaitant réfuter le rapport qui est généralement fait par les catho- liques entre calvinisme et fanatisme ou entre calvinisme et sédition, en souvenir de la guerre des camisards. Ils souhaitent que l’identité protestante assimilée souvent à une conscience martyre soit remplacée par celle de citoyens.

Être considéré comme des citoyens, cela signifie une soumission au roi et aux institutions, loyalisme constamment réaffirmé lors des synodes du Désert, qu’ils soient nationaux ou provinciaux. En 1757, dans sa Lettre adressée aux protestants du Languedoc à l’occasion de l’attentat commis sur la personne sacrée du roi, le

pasteur Paul rabaut écrit :

« En vous acquittant envers Dieu, qui est le roi des rois, des devoirs que vous impose l’Évangile, vous rendez à notre Auguste Monarque la vénération & l’obéissance qui lui sont dues : sa personne sacrée vous est chère & respectable ; sa conservation, son

bonheur, la prospérité de son règne sont l’objet de vos plus ardentes prières. »12

Cependant, la difficulté est de résoudre la contradiction entre loyalisme et réor- ganisation clandestine des Églises réformées, que Paul rabaut dans le même texte exprime quand il évoque des « considérations supérieures » qui « mettent » les réformés « dans la fameuse nécessité de désobéir à ses ordres »13. Antoine Court,

principal responsable de mouvement de reconstruction des Églises réformées écrit en 1753 dans Le Patriote français et impartial :

(éd.), Paris, vrin, 1973 ; De la tolérance. Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ « Contrains-les d’entrer », Paris, Presses Pocket, 1992. Sa correspondance est en cours de publication par la voltaire foundation d’oxford.

11 bost H., « vers la tolérance ou vers l’édit (1750‒1787) », Ces Messieurs de la R.P.R. Histoires et écri- tures de huguenots, xviie-xviiie siècles, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 365‒376.

12 rabaut P., Lettre adressée aux protestants du Languedoc à l’occasion de l’attentat commis sur la per- sonne sacrée du roi, 1757, p. 5.

183 L’ÉvoLUTIon DU PArADIgME MInorITAIrE DES MUSULMAnS « Mais cette révocation apporte-t-elle quelque atteinte à leur fidélité ? Aucune. Ils voient leurs temples abattus, leurs ministres chassés ; ils se voient eux-mêmes livrés à toute la fureur de cette armée de dragons [...] qu’une grande reine appelle “d’étranges

apôtres” et qu’elle croit bien plus propres “à tuer, violer, et voler qu’à persuader”. »14

Et dès 1753, dans ce même ouvrage, Antoine Court demande « une nouvelle loi qui [...] procure le repos, la tranquillité de deux millions de sujets qui ne désirent rien tant que de vivre en paix, et de servir Dieu et leur roi »15. Cette loi a failli voir

le jour dès 1774, sous l’impulsion de Turgot et de Malesherbes, alors que l’affaire Calas permet à l’opinion publique française d’avoir une autre image du protestant français : il n’est plus un séditieux mais une victime. Si un édit peut être publié en 1787, c’est avant tout parce que le principal négociateur protestant, Jean-Paul rabaut Saint-Étienne, pasteur de nîmes et fils du pasteur Paul rabaut, accepte dès le départ des discussions de faire une concession capitale. Comme le montre

Hubert bost, « considérant que la reconnaissance officielle d’un culte qui existe de fait n’est pas absolument nécessaire, il accepte que l’édit ne fasse pas mention du culte public »16.

Dans le texte de la Conférence, l’avocat présente des arguments qui sont tou-

jours contestés par le religieux. Louis XIv aurait été trompé par Louvois, l’édit de Fontainebleau est considéré comme une « faute »17. Et l’édit de tolérance

profiterait même à l’Église catholique :

« Depuis la révocation de l’édit de nantes, la religion catholique a-t-elle été plus res-

pectée en France ? L’esprit philosophique qui s’est introduit dans toutes les classes des

citoyens, n’a-t-il pas causé mille fois plus de ravages que le protestantisme ? L’orgueil

des sciences n’a-t-il pas remplacé la modestie religieuse ? [...] La France en rappelant

les protestans, dans un moment où l’incrédulité semble triompher, va peut-être lui porter le coup le plus victorieux ; la religion chrétienne va reprendre tous ses droits ; les catholiques vont mettre bas les préjugés du respect humain pour se montrer zélés

observateurs de leurs devoirs religieux. »18

Ainsi, pour le magistrat, liberté de conscience et tolérance doivent permettre une émulation entre les différentes confessions. Cette idée est présente dans les écrits

14 Court A., La Patriote français et impartial, ou réponse à la lettre de M. l’évêque d’Agen à M. le contrô- leur général contre la tolérance des huguenots, otto H. Selles (éd.), Paris, H. Champion, 2002, p. 128. La reine est Christine de Suède.

15 Ibid.

16 bost H., « vers la tolérance ou vers l’édit (1750‒1787) », Ces Messieurs de la R.P.R. Histoires et écritures de huguenots, xviie-xviiie siècles, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 375. voir rabaut Saint- Etienne J.-P., Le vieux Cévenol, Céline borello (éd.), Paris, H. Champion, 2013.

17 Conférence, p. 22. 18 Conférence, p. 4.

de l’avocat rouennais Henri basnage de beauval qui publie dès 1684 à rotterdam

sa Tolérance des religions. Il souligne ainsi : « Quand l’Église n’a point d’enne-

mi à repousser, et qu’elle vogue sur une mer tranquille, personne ne pense à se préparer au combat, ni à marquer les écueils où l’on se pourrait briser pendant l’orage. L’Église tombe nécessairement dès qu’elle s’imagine qu’elle ne peut plus tomber ». Il ajoute cependant : « Mais quand le vaisseau de l’Église est battu des vents et de l’orage et que l’ennemi presse [...] le zèle redouble dans le péril comme la nature redouble l’ardeur du feu pendant la violence de l’hiver ».

Dès le milieu du siècle, la question de l’état civil est soulevée par des hommes proches du pouvoir, en raison principalement des persécutions qui accompagnent la politique de rebaptisations. En 1752, le procureur général au parlement de Paris, Joly de Fleury, publie un mémoire dans lequel il défend la prépondérance du pouvoir civil sur le pouvoir religieux en matière d’état civil. Il est suivi en cela par Turgot dans ses Lettres à un grand vicaire sur la tolérance (1753), par Loménie de

brienne dans Le Conciliateur ou Lettres d’un ecclésiastique à un magistrat sur les affaires présentes (1754), ou par un conseiller au parlement d’Aix-en-Provence, ripert de Monclar, dans son Mémoire théologique et politique au sujet des mariages clandestins des protestants de France (1755). En 1766, à la demande de Louis Xv, le conseiller d’État gilbert de voisins rédige un mémoire dans lequel il propose d’autoriser le culte privé et de légaliser les mariages protestants soit en s’adressant à un magistrat, soit au curé qui agirait non comme prêtre mais au nom du roi comme officier d’état civil ; aucune suite n’est donnée à cette réforme.

C’est sous le règne de Louis XvI que les événements s’accélèrent. Ce sont Condorcet (1778), ou rulhière (Eclaircissements historiques sur les causes de la Révocation de l’Édit de Nantes et sur l’état des protestants en France depuis le com- mencement du règne de Louis XIV jusqu’à nos jours, 1786) qui cherchent à faire

bouger l’opinion et surtout la cour. Ainsi, Condorcet écrit-il :

« La naissance et la mort d’un homme sont des faits purement physiques, qui peuvent être constatés avec des formes prescrites par la Loi Civile [...]. Le Prince pourrait sta- tuer, que la liaison qu’un protestant contracte avec une femme par déclaration, leur donnera à tous deux les mêmes droits, les assujettira aux mêmes devoirs que s’ils avaient contracté un mariage [...]. Cette espèce de contrat aurait tous les effets civils du mariage, sans être un Sacrement ; de même que les mariages de tous les Peuples, ou

Infidèles ou Idolâtres, qui ne sont pas non plus des Sacrements. »19

Plusieurs facteurs permettent la préparation d’un édit en faveur des protestants. Tout d’abord, dès 1781, l’empereur Joseph II, le beau-frère de Louis XvI, pro- mulgue un édit de tolérance pour les non-catholiques. Ensuite, les protestants

185 L’ÉvoLUTIon DU PArADIgME MInorITAIrE DES MUSULMAnS sont soutenus par La Fayette : de retour des États-Unis, il entre en relation avec rabaut Saint-Étienne. Enfin, au printemps 1787, de nouveaux hommes arrivent au pouvoir. Malesherbes est nommé ministre d’État sans département ; il a rédigé un premier Mémoire sur le mariage des Protestants en 1785, puis un second en

1787, sans compter plusieurs mémoires inédits. Quant à l’archevêque de Toulouse, Loménie de brienne, il prend la tête du gouvernement : membre d’un haut clergé qui réclame constamment que l’hérésie soit « extirpée », archevêque d’une ville où a été exécuté Calas, il obtient un édit en faveur des non-catholiques, là où Turgot avait échoué et où necker, en tant que protestant, ne pouvait rien faire. Toutefois, c’est incontestablement le rôle de Malesherbes qu’il faut mettre en évidence.

De ces mémoires, plusieurs arguments conduisent Malesherbes à souhaiter une loi, ce qui sera l’édit de tolérance20. Il constate tout d’abord l’échec de la

politique de Louis XIv et l’échec des moyens, séduction ou violence, employés contre les réformés pour les convertir, cet échec n’est pas dû au roi mais aux mauvais conseils donnés par ses ministres. D’après Pierre grosclaude, cet argu- ment, lui-même Malesherbes n’en est pas convaincu, mais permet de toucher un

Louis XvI « hésitant et timoré »21. D’autre part, il condamne la déclaration du

14 mai 1724, dernière grand texte de loi général contre les réformés qui interdit en particulier les mariages faits hors de l’Église catholique, alors que le texte même de la révocation de l’édit de nantes n’évoquait pas cette question des mariages. Ainsi, cette loi de 1724 n’a jamais été respectée et Malesherbes critique le « sys-

Dans le document ÉTAT, MINORITÉS RELIGIEUSES ET INTÉGRATION (Page 180-190)