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Le débat sur l’efficacité des aires protégées face au changement climatique

PARTIE 3 - LES RESEAUX ECOLOGIQUES COMME REPONSE AU

III. Le rôle des aires protégées

III.1. Le débat sur l’efficacité des aires protégées face au changement climatique

Margules & Pressey (2000) mettent en avant deux rôles essentiels des aires protégées :

- assurer la représentation de la biodiversité via des échantillons de chaque « région » (au sens biogéographique),

- isoler cette biodiversité des menaces qui pèsent sur elle.

Dans le contexte du changement climatique, le caractère fixe des aires protégées a alors soulevé la question au sein de la communauté scientifique de la pertinence de cet outil pour continuer d’assurer ces deux rôles, au regard de la mobilité des répartitions d’espèces à laquelle on se prépare.

Les aires protégées deviendraient caduques car les espèces pour lesquelles elles ont été identifiées les déserteront. Les travaux de modélisation d’Araujo et al. (2011) par exemple montrent que vers 2080, de l’ordre de 60 % des espèces devraient avoir perdu un climat favorable dans les aires protégées qui les abritent actuellement.

La littérature est très abondante sur ce sujet qui a agité fortement la communauté des chercheurs.

Plusieurs publications pointent effectivement une neutralité voire une inefficacité des aires protégées dans le cadre du changement climatique. Kharouba & Kerr (2010) montrent par exemple qu’il n’y a pas de différence dans les changements de composition et de richesse dans les cortèges de papillons du Canada entre les espaces protégés et ceux qui ne le sont pas. Vieilledent et al. (2013) constatent que l’efficacité des aires protégées est très limitée à Madagascar pour trois espèces de Baobab dont la répartition future ne sera que très peu couverte par le réseau actuel, qui est probablement peu représentatif des conditions environnementales de Madagascar.

Néanmoins, en premier abord, il paraît important pour être rigoureux lors ces comparaisons de tenir compte de l’état initial avant de vérifier l’évolution dans/hors aire protégée : si l’aire protégée est plus riche et plus spécialisée au départ, et qu’un même taux de changement climatique s’applique dans et en dehors de l’aire protégée, alors l’aire protégée conserve logiquement un intérêt.

Certains auteurs présentent quant à eux les aires protégées comme la mesure de conservation dont l’efficacité reste la mieux démontrée pour réduire les menaces faites à la biodiversité (Taylor et al., 2011), notamment quand il est fait en amont (donc en prévision et non en réaction) du processus de changement climatique (Hannah, 2008). En Californie, Wiens et al. (2011) constatent quant à eux que la majorité des changements d’enveloppes climatiques (climats voués à disparaître ou au contraire les climats nouveaux devant apparaître), vont intervenir au sein du réseau d’aires protégées. Pour les auteurs, cette disproportion étonnante peut se révéler être une chance car l’outil « aire protégée » sera un levier pour canaliser ces changements extrêmes de disparition/apparition du climat, qui auraient été plus difficiles à endiguer dans les espaces ordinaires.

Dans les recommandations listées par Heller & Zavaleta (2009) pour la lutte contre les effets du changement climatique, les aires protégées ressortent bien comme une méthode efficace pour préserver à la fois des individus, des espèces, des communautés et des écosystèmes. Après la connectivité, c’est la recommandation la plus citée dans toutes les publications consultées par les auteurs.

Sur la globalité, et si ces aires protégées sont de qualité et bien sélectionnées, elles restent un outil important pour :

- conserver la biodiversité en place (zones de réservoirs),

- participer à l’ajustement spatial en complément des corridors (zones relais pour les espèces en transition),

- assurer un potentiel global de résilience et d’adaptation.

D’une manière générale, les aires protégées semblent permettre de garantir effectivement la persistance des espèces et les protéger de la menace de changement climatique. Et surtout cette persistance est effectivement liée à ce statut de protection. Dans le même temps, des biais dans la représentativité des réseaux existent et doivent être comblés.

III.1.1. Conserver la biodiversité

A lecture des publications rassemblées sur le sujet, il se dégage que trois paramètres sont à intégrer pour évaluer objectivement l’efficacité des aires protégées face au changement climatique :

1) Effectuer les analyses à l’échelle de l’ensemble du réseau considérée,

2) Différencier les résultats par milieux ou espèces car les sensibilités sont différentes,

3) Faire la part des choses entre une inefficacité de l’outil « aire protégée » lui-même et la représentativité du réseau qui peut effectivement nécessiter d’être améliorée pour prendre en compte le critère nouveau du changement climatique.

1) Effectuer les analyses à l’échelle de l’ensemble du réseau considérée

Souvent, les projections corrélatives donnent en effet des résultats variables entre aires protégées d’un même réseau. Leach et al. (2013) par exemple, en Égypte, trouvent que pour certaines aires protégées la richesse spécifique va augmenter, alors que pour d’autres elle va décroitre significativement.

En revanche, sur l’ensemble du réseau, l’objectif de conservation peut être maintenu même s’il y a des changements à l’échelle de chaque zone et les analyses doivent donc être faites à ce niveau global.

Par exemple, Hole et al. (2009) ont modélisé les modifications d’aires de répartition, attendues dans les années à venir, pour l’avifaune nicheuse en Afrique Sub-saharienne. Des changements importants sont effectivement à prévoir : d’ici à 2085, plusieurs espèces prioritaires en terme de conservation auront modifié la moitié de leur répartition pour 42 % des aires protégées du réseau étudié. Cependant, la persistance des espèces sur la globalité du réseau reste à un niveau élevé : environ 90 % des espèces conservent au moins une aire protégée où elles sont présentes actuellement et où le climat restera compatible pour elles. Pour 7-8 espèces prioritaires « seulement », le climat qui leur est favorable ne sera plus représenté sur l’ensemble du réseau.

Johnston et al. (2013) ont modélisé l’évolution de population d’oiseaux d’Europe de l’ouest dans les années à venir et ont comparé ces nouvelles aires de répartition avec le réseau britannique d’aires protégées. Un déclin de 25 % est attendu dans les populations étudiées. Cependant, les auteurs montrent que le réseau permettra de conserver en abondance suffisante les espèces étudiées dans leur répartition future.

2) Différencier les résultats par milieux ou espèces car les sensibilités sont différentes

L’efficacité des aires protégées par rapport au changement climatique dépend sans doute beaucoup des types de milieux c’est-à-dire à la fois de la probabilité des milieux à être concentrés surtout dans des aires protégées (zones vierges, habitats rares, ...) et de leur sensibilité intrinsèque aux changements climatiques (habitats humides par exemple).

Virkkala et al. (2013) montrent que le déclin des populations d’oiseaux qu’ils étudient en Finlande est plus important en dehors des aires protégées qu’à l’intérieur de ces zonages, pour les espèces de milieux forestiers, de tourbières et de montagnes.

Klausmeyer & Shaw 2009 ont modélisé l’évolution des habitats de climat méditerranéen à travers le monde (habitats présents sur 5 continents et dont 5 % de la surface mondiale est sous protection). Les auteurs montrent que, selon les scénarios climatiques utilisés, 50 à 60 % seulement de ces surfaces protégées vont rester en climat méditerranéen dans le futur. Par ailleurs, les marges de manœuvre pour créer de nouvelles aires protégées sont faibles pour ces habitats car 30 % de leurs futures surfaces sont des surfaces déjà artificialisées. Les habitats de types méditerranéen, de par leur configuration littorale sont en effet à la fois riches en biodiversité et attractifs pour les sociétés humaines.

Enfin, il faut être vigilant dans le choix des espèces utilisées pour comparer l’efficacité des aires protégées avec les espaces extérieurs : si ce sont des espèces sensibles qui sont utilisées, cela augmente la probabilité de constater une diminution y compris dans les aires protégées, sans que cela ne soit représentatif de la réponse « moyenne » de la biodiversité.

3) Faire la part des choses entre une inefficacité de l’outil « aire protégée » lui-même et la représentativité du réseau qui nécessite d’être améliorée pour prendre en compte le critère nouveau du changement climatique changement climatique contemporain, en tenant compte de leurs capacités de dispersion. Les résultats montrent que le réseau de réserves italien (national et Natura 2000) ne représente que partiellement la diversité des amphibiens et leurs traits géographiques. Les objectifs de conservation sont atteints pour seulement 40 % des espèces dans la perspective d’une évolution d’aires de répartition et plusieurs zones

« irremplaçables » actuelles n’apparaissent pas en espaces protégés. La conclusion des auteurs n’est en revanche pas de remettre en cause l’outil « aire protégée », mais de recommander de créer de nouvelles zones de protection pour combler ces lacunes.

Les études de représentativité concernent souvent seulement quelques groupes taxonomiques et les invertébrés par exemple sont très peu appréhendés. On peut citer toutefois le travail effectué en France par Leroy et al. (2014). Les auteurs montrent pour 10 espèces d’araignées étudiées que, malgré les changements très forts de répartition prédits, au moins une maille reste à chaque fois favorable au sein du réseau d’aires protégées considéré. Cela conforte l’idée que, pour ce groupe biologique aussi, les aires protégées sont pertinentes dans une logique de réseau.

Par ailleurs, la représentativité des aires protégées est généralement abordée dans les études sous l’angle de la diversité spécifique et en ne se préoccupant pas ou peu de la diversité génétique ou écosystémique (la question écosystémique est prise en compte par les habitats Natura 2000). On peut néanmoins là encore citer en exemple le travail effectué au Canada (Québec), où un important effort a été fait pour augmenter la surface d’aires protégées tout en se préoccupant de la représentativité du réseau, de façon à protéger au moins un échantillon de chacun des types d’écosystème qui caractérisent le territoire à une échelle donnée (Brassard et al., 2010).

III.1.2. Participer à l’ajustement spatial en complément avec les corridors

Pour Olson et al. (2009), l’outil « aire protégée » reste le meilleur pour permettre une adaptation spatiale des espèces au changement climatique, y compris celles à faible mobilité. Il est bien plus avantageux que la migration assistée qui serait plus couteuse, moins efficace et pose des questions éthiques.

Lawson et al. (2014) montrent par ailleurs que pour des papillons, la probabilité de colonisation est trois fois supérieure dans les aires protégées par rapport aux espaces non protégés, à milieux équivalents. Ce constat empirique s’explique par les démarches pro-actives de conservation et de gestion qui améliorent la survie des espèces et la qualité des milieux. Ces actions favorisent ainsi l’expansion des aires de répartition, c'est-à-dire l’adaptation au changement climatique, alors qu’elles n’ont pas à la base été spécifiquement mises en œuvre pour cela mais simplement du fait du statut de protection.

Au final, les corridors et les aires protégées apparaissent comme deux mesures complémentaires en formant les réseaux écologiques.

Imbach et al. (2013) montrent, en Amérique centrale, que les corridors constituent effectivement une aide pour les aires protégées en atténuant les impacts dus au changement climatique. Les auteurs ont testé les impacts du changement climatique sur les aires protégées sans corridor puis ont testé les bénéfices des corridors dans l’atténuation de ces impacts.

Les résultats montrent que, sans corridor, ce sont les aires protégées situées en climat chaud, sec ou les plus au Nord qui sont les plus impactées ou encore celles pour lesquelles le climat futur est le plus différent du climat actuel. La taille des aires protégées n’a étonnement pas d’influence.

Avec corridors, les aires protégées qui ont une faible amplitude altitudinale et qui sont situées en zones froides voient leurs impacts les mieux atténués. Néanmoins, le corridor le plus efficace s’avère être celui qui relie les aires protégées les plus grandes et qui présente un gradient altitudinal fort.

Dans leur modélisation, avec et sans corridor, les auteurs ont regroupé les espèces par traits de vie fonctionnels (notamment la vitesse de dispersion) : les espèces à dispersion rapide sont logiquement celles qui résistent le mieux au changement climatique en empruntant les corridors pour diffuser entre aires protégées.

Beaumont & Duursma (2012) montrent par ailleurs que l’efficacité des aires protégées n’est pas liée uniquement à ce qui se passe en leur sein mais dépend aussi de la matrice environnante. Les auteurs ont modélisé l’évolution de l’occupation du sol dans un tampon de 50 km autour des aires protégées d’ici à 2100 selon plusieurs scénarios possibles. L’efficacité des aires protégées en termes de conservation est influencée par la qualité et les caractéristiques de la matrice paysagère autour de ces aires. La fragmentation des paysages adjacents peut interrompre les flux écologiques à travers les aires protégées et faire décroitre la capacité des espèces à ajuster leur aire de répartition face au changement climatique (Beaumont & Duursma, 2012).

III.1.3. Des zones tampons, facteurs de résilience et d’atténuation

Des aires protégées avec des milieux de qualité constituent une ressource indispensable pour l’adaptation des espèces aux changements (Hopkins et al., 2007), adaptation qui ne se limite pas à l’ajustement de leur aire de répartition (Bellard et al., 2012). Les aires protégées terrestres constituent des zones tampons pour faire face aux changements (Araujo, 2009).

Ainsi, la remise en cause de l’outil « aire protégée » au regard du déplacement des aires de répartition est à nuancer fortement car les aires protégées sont des zones importantes pour la biodiversité, notamment en raison de leurs caractéristiques physiques (géomorphologie etc.) souvent rares. Elles devraient donc continuer à être des zones remarquables même sous changement climatique, du fait d’une pression

d’occupation du sol en principe réduite (Hopkins et al., 2007). Johnston et al. (2013) montrent que malgré le changement quasi-complet des répartitions d’espèces, les aires protégées restent situées à des endroits stratégiques sur le plan de la conservation.

Même si certaines espèces pour lesquelles elles ont été désignées les désertent, elles resteront des espaces accueillant une fraction de la biodiversité (Pyke et al. 2005). D’autres espèces peuvent arriver dans ces espaces. Par ailleurs, Hortal & Lobo (2006) indiquent ainsi que les secteurs biogéographiques de forte richesse ou de fort endémisme sont probablement relativement stables dans le temps, même si les espèces elles-mêmes changent.

Enfin, les aires protégées, à l’instar des corridors, ont un rôle dans la rétention et la séquestration du carbone et donc dans la réduction du changement climatique (Hoffmann et al., 2011). Au Brésil par exemple, les aires protégées couvrent 54 % des forêts restantes sur le territoire ce qui représente 56 % du stock de carbone forestier du pays (Soares-Filho et al., 2010). L’ensemble de ces surfaces protégées vont faire éviter 8,0±2,8 Pg (1015 grammes) d’émission de carbone d’ici à 2050.