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Dans cette seconde partie, inspirée des propositions de Clarke et de ses collègues (Clarke et al. 2010; Clarke et al., 2000; Clarke et al., 2003) sur la biomédicalisation du champ social, je propose une analyse de la culture alimentaire québécoise, que je qualifie de biomédicalisée. La culture alimentaire biomédicalisée québécoise participe non seulement à définir les manières par lesquelles la saine alimentation est aujourd’hui comprise et pratiquée, mais également à créer et à orienter des relations particulières entre l’alimentation et les corps. Je présenterai ce qui participe du déploiement d’une telle culture alimentaire et ce qu’elle concourt à engendrer (en lien avec la « saine » alimentation tout autant qu’avec les corps qui s’y retrouvent produits et associés). J’y propose notamment que, dans le contexte actuel traversé par des discours healthists (Crawford, 1980) et où la « […] biomedicine has become a potent lens through which we culturally interpret, understand, and seek to transform bodies and lives » (Clarke et al., 2003, p. 163), l’alimentation saine est de plus en plus appréhendée comme outil permettant de transformer les corps depuis l’intérieur.

À partir de certains des éléments mobilisés dans la première partie de la thèse et des théories de Clarke et al. (2010), je discuterai ici de comment la biomédicalisation et ses processus constitutifs, que j’entends être entre autres ceux de la médiatisation, de la molécularisation et de la commercialisation, constituent les nouvelles lunettes par lesquelles sont appréhendés et pratiqués les corps humains contemporains en lien avec la « saine » alimentation. Je terminerai ce chapitre en tirant profit des écrits émergeant notamment du champ des études critiques sur l’alimentation pour mettre en évidence comment la culture alimentaire biomédicalisée participe à la (re)production de rapports d’exclusions de même que d’injonctions et de normativités liant l’alimentation et les corps.

De la biomédicalisation de la société à l’émergence d’une culture

alimentaire biomédicalisée

Le paradigme nutritionnel contemporain

Scrinis (2008, 2013) présentait, il y a quelques années déjà, sa critique du nutritionnisme, un paradigme qui domine les sciences nutritionnelles depuis le 19e siècle et qui promeut « […] a pharmaceutical model

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in which direct and precise effects on particular bodily functions are attributed to single, isolated nutrients and food components. » (Scrinis, 2013, p. 197)98 Pour Scrinis (2013), le nutritionnisme fonctionnel en serait la configuration dominante contemporaine99. Il serait caractérisé « not only [by] a more extensive understanding of the relationship between nutrients and biochemical processes but also [by] the attempt by scientists and food technologists to more directly target, control, and manipulate these internal bodily processes, functions, and biomarkers. » (Scrinis, 2013, p. 165) Ce paradigme participerait au développement de nouvelles connaissances biospécifiques (à l’intersection de la biochimie, de la nutrition et de la médecine, entre autres), rendues possibles grâce aux nouvelles avancées technoscientifiques.

Pour Scrinis (2013), l’ère fonctionnelle engendre ainsi une compréhension des corps comme pouvant être « nutritionally enhanced, since functional nutrients and foods are understood to target and optimize the functioning and performance of the body. » (Scrinis, 2013, p. 48) D’une part, ils y sont compris et mis en relation avec l’alimentation depuis les processus biochimiques qui participent des processus de digestion et d’intégration des nutriments aux matières corporelles. D’autre part, ils sont appréhendés par l’identification de biomarqueurs qui deviennent les indicateurs de ce qui constitue leur composition et leurs fonctionnements actuels, devenant par le fait même les indicateurs de l’état de santé, tant au présent qu’au futur. À travers l’ère nutritionnelle fonctionnelle, le diagnostic et la surveillance des facteurs de risque pour la santé (et associés avec l’alimentation) sont étendus à l’échelle microscopique (par exemple, aux niveaux cellulaires, moléculaires et génétiques).

98 Voir la section « La "saine" alimentation et ses multiples formes » de la première partie de la thèse où j’ai

présenté plus largement le paradigme du nutritionnisme, tel que défini par Scrinis (2013).

99 Scrinis (2013) désigne trois paradigmes nutritionnels qui auraient été prédominants au cours des dernières

décennies. Chacun de ces paradigmes serait le fruit des caractéristiques de son époque : à la suite du nutritionnisme quantifiable (quantifying nutritionnism), et du good-and-bad nutritionism, le paradigme dominant actuel serait celui du nutritionnisme fonctionnel, qui aurait émergé dans les années 1990. Pour Scrinis (2013), ces changements de paradigmes engendrent de nouvelles manières d’appréhender l’alimentation et de la mettre en relation avec les corps et la santé. Du corps « machine » approvisionné par des aliments jugés appropriés produit au sein du « nutritionnisme quantifiable » au corps à risque de développer des maladies chroniques (surtout en lien avec la (sur)consommation des nutriments jugés néfastes) du paradigme good-and-bad nutritionism, des compréhensions différentes des corps émergent et engendrent différentes mobilisations et mises en relation de ceux-ci avec l’alimentation. L’ère fonctionnelle serait caractérisée par une attention plus grande accordée aux liens microbiologiques entre les nutriments aux fonctions corporelles internes, dans l’optique d’en maximiser la consommation et les effets supposés sur les corps et la santé.

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Hannah Landecker (2011) s’est intéressée à ce qui traverse et unit les développements en nutrigénomique, la production d’aliments génétiquement modifiés et le développement et l’usage de nanotechnologies alimentaires, des pratiques qui prennent forme au sein du contexte nutritionnel contemporain. Pour elle, les savoirs que ces pratiques concourent à mettre en forme caractérisent l’alimentation depuis des vertus thérapeutiques, voire médicales, à une échelle moléculaire :

Consumers eat ‘for my wellness, not just my illness’, in the reach for enhancement and imagined protection of the body from toxins or stress, and they try to consume the biological power perceived to reside in some molecules and not others (Nichter and Thompson, 2006). (Landecker, 2011, p. 185)

Elle soutient également que ces savoirs et pratiques s’inscrivent dans le contexte d’une société où la prévention est intimement liée à l’amélioration des fonctions et composantes corporelles, et de l’état de santé, présent ou futur. Ces propositions de même que celles de Scrinis (2013) peuvent être lues à l’aulne de la biomédicalisation du champ social, telle que décrite par Clarke et al. (2010). Je conçois par ailleurs que ces chercheur-e-s proposent des outils théoriques pertinents pour réfléchir au déploiement de ces savoirs et pratiques tels qu’ils concourent à produire des savoirs particuliers sur les corps et l’alimentation, et les manières de les mettre en relation.

Le concept de biomédicalisation

L’une des manifestations caractéristiques de l’ère nutritionnelle contemporaine est l’alimentation fonctionnelle. Pour Hyomin Kim (2013), la production des connaissances alimentaires constitutives de l’alimentation fonctionnelle est informée par le contexte biopolitique actuel, caractérisé par l’individualisation des stratégies de gouvernance orientant le type et les possibilités d’interventions faites sur le vivant, au nom de la vie et de la santé (Rabinow et Rose, 2006). Ce contexte, traversé par les discours healthists décrits par Crawford (1980) et présentés auparavant, participe d’un changement dans la responsabilisation des individus face à leur santé et la constitution de nouveaux espaces de régulation de la population à travers l’alimentation, notamment par l’expansion des savoirs et des techniques biomédicaux, que la chercheure attribue à la biomédicalisation de la société.

La biomédicalisation de la société est par ailleurs entendue par Clarke et al. (2010) comme référant à la transformation complexe et multi-située des processus de la médicalisation, liée entre autres aux avancées technoscientifiques qui informent les manières contemporaines par lesquelles sont appréhendés les corps et la santé. Alors que les processus inhérents à la médicalisation du champ social

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ont favorisé le développement de pratiques et de savoirs visant à contrôler les phénomènes médicaux (comme les maladies ou les blessures), la biomédicalisation « emphasize[s] transformations of such medical phenomena and of bodies, largely through sooner-than-later technoscientific interventions not only for treatment but also increasingly for enhancement. » (Clarke et al., 2010, p. 2) L’ajout du préfixe « bio » au terme « médicalisation » réfère d’ailleurs à ces possibilités nouvelles de transformer le vivant (humain comme plus-qu’humain) par l’entremise d’interventions technoscientifiques « such as molecular biology, biotechnologies, genomization, transplant medicine, and new medical technologies. » (Clarke et al., 2003, p. 162)

Les processus interreliés constitutifs de la biomédicalisation rendent comptent de changements dans la distribution du savoir biomédical, de sa circulation à son appropriation par les individus. Les rapports aux corps, à la santé et à la vie en elle-même s’y trouvent reconfigurés alors qu’émergent de nouvelles potentialités biotechniques et biomédicales d’interventions, dans une optique d’amélioration, voire d’optimisation des corps et/ou de leur santé future. Ces transformations dans les manières d’appréhender, d’analyser et de surveiller les corps sont caractéristiques de changements épistémiques, détournant le « clinical gaze initiated in the eighteenth century (Foucault 1973) to the emergent molecular gaze of today (Rose 2007). » (Clarke et al., 2010, p. 4) Ces nouvelles manières, technoscientifiques et biospécifiques, d’évaluer et de caractériser les corps entraînent la catégorisation de nouveaux corps « à risque », avant même l’apparition d’un signe ou symptôme lié à une quelconque maladie100. Ces nouvelles manières de constituer des populations « à risque » ont d’ailleurs été critiquées par Scrinis : « This expansion of at-risk biomarkers, and of people’s susceptibilities to diseases, may transform yet more healthy people into patients requiring monitoring, testing, and proactive treatment. » (Scrinis, 2013, p. 164)

100 À titre d’exemple, Sara Shostak (2010) propose une analyse intéressante de la constitution de populations « à

risque » grâce et à travers l’utilisation des avancements technoscientifiques. Ceux-ci permettent la constitution de nouveaux groupes d’individus « à risque » avant même que ne se manifestent de quelconques symptômes, et l’obligation pour ces individus d’entreprendre des actions préventives en vue de maintenir leur santé : « The molecularization of disease phenotypes has profound implications for our understanding of health and illness, as such molecular disease phenotypes may exist in individuals who believe themselves to be healthy. Thus, in a process characteristic of biomedicalization, individuals with no experiential symptoms of illness are seen as “marked” at the molecular level as “becoming ill” or “at high risk” for adverse health outcomes. » (Shostak, 2010, p. 254)

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Les individus ne sont pas posés comme passifs face à leur santé, mais sont plutôt enjoints à agir sur celle-ci « avant qu’il ne soit trop tard », par l’adoption de mesures et de pratiques jugées appropriées (Clarke et al., 2000). Ainsi, la biomédicalisation, en accord avec le contexte néolibéral actuel et les discours healthists qui le traverse (Crawford, 1980; Lupton, 1997), participe à faire de la santé une responsabilité individuelle à assumer par l’action préventive et par l’acquisition des connaissances nécessaires pour la prise en charge de sa santé :

That is, health itself and the proper management of chronic illnesses are becoming individual moral responsabilities to be fulfilled through improved access to knowledge, self-surveillance, prevention, risk assessment, the treatment of risk, and the consumption of appropriate self-help/biomedical goods and services. (Clarke et al., 2010, p. 48; Clarke et al., 2003, p. 162)

Autrement dit, la biomédicalisation contribue à faire de la santé quelque chose qui peut être atteint par l’adoption d’actions appropriées, préventives, et par l’acquisition des savoirs, biens et services conçus comme nécessaires à l’atteinte de cet objectif101. Au cœur de ces savoirs et pratiques, l’alimentation devient l’un des « outils » permettant de transformer les corps depuis l’intérieur, à partir des éléments qui sont ingérés et qui entrent de ce fait en interaction avec leurs matières et processus biochimiques corporels. C’est outillée de ces éléments théoriques que je propose ici une analyse du développement et du déploiement de la culture alimentaire biomédicalisée québécoise contemporaine.

La culture alimentaire biomédicalisée

Pour présenter mon analyse de la culture alimentaire biomédicalisée contemporaine telle qu’elle est actuellement en plein déploiement au Québec, je m’inspire des manières par lesquelles Clarke et al. (2010) présentent la biomédicalisation à l’aulne de ses processus constitutifs plutôt que d’en poser une liste exhaustive de caractéristiques fixes et stables. Autrement dit, je présente ici la culture alimentaire biomédicalisée à travers trois des processus qui émergent de manière particulièrement saillante de mon analyse. Il s’agit des processus de la médiatisation, de la molécularisation et de la commercialisation. Par l’exploration de ces processus à l’œuvre, je mets en évidence et questionne ce qui informe le déploiement de cette culture et donc, ce qui participe à la création de savoirs et pratiques

101 D’ailleurs, la commodification de la santé est partie prenante des processus de biomédicalisation, selon Clarke

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particuliers liant l’alimentation et les corps. Le fait de procéder ainsi est également cohérent avec la perspective cultural studies au sein de laquelle j’ancre ce travail de recherche, alors que je conçois que la culture est constamment appelée à se (re)faire et qu’une multiplicité de forces et de processus à l’œuvre participent de sa constitution et de la production de certains savoirs et de relations spécifiques et singulières, notamment à l’intersection des corps et de l’alimentation.

Ainsi, tel que je l’ai abordé dans le dernier nœud constitutif de la partie 1, « L’alimentation saine, technologisée », les connaissances constitutives de l’alimentation saine de même que celles, biospécifiques (entre autres constitutives de l’alimentation fonctionnelle), produites à l’intersection des sciences nutritionnelles, biochimiques et médicales pour ne nommer que celles-ci, ne sont plus limitées à ces champs de production et d’application des savoirs, mais font désormais partie prenante de la culture populaire québécoise contemporaine. Des nutritionnistes aux scientifiques en passant par les chefs cuisiniers et les cheffes cuisinières célèbres au Québec, les figures rendues visibles et autorisées à discourir sur les « vérités » de l’alimentation se multiplient. Je conçois que la constitution de ce paysage alimentaire médié tel que le proposent Goodman et al. (2017) ou de ce que Deborah Lupton et Zeena Feldman (À venir) qualifient de cultures alimentaires numériques est rendu possible grâce aux processus de médiatisation, l’un des processus clés du développement de la culture alimentaire biomédicalisée.

Alors que j’ai discuté des relations technologisées qui participent à constituer l’alimentation saine contemporaine au Québec dans le chapitre « L’alimentation saine, technologisée », je souhaite ici proposer que les processus de médiatisation, en tant qu’ils sont produits et soutenus dans leurs développements mêmes par toute une série de technologies hétérogènes (par ailleurs explorées dans le chapitre précédent), informent non seulement la production et la circulation de connaissances constitutives de la saine alimentation et le développement et l’utilisation de dispositifs technologiques permettant la production de données organisantes (Durham Peters, 2015) sur l’alimentation et les corps, mais également l’alimentation et les corps dans leurs matières constitutives mêmes. Dans la foulée des théories contemporaines de Andreas Hepp (2012), Hepp, Stig Hjarvard et Knut Lundby (2015), Hepp et Keith Tribe (2013) et Lundby (2014), j’entends par médiatisation la pénétration intensive des technologies et des médias dans la société transforment les rapports culturels et sociaux (Hjarvard, 2008) tout autant que les pratiques locales, contingentes (Hjarvard, 2008; Reestorff, 2014;

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Sawchuk, 2013). Les théoricien-ne-s qui participant au développement de ce champ d’études questionnent l’interrelation « between the change of media and communication, on the one hand, and the change of (fields of) culture and society, on the other hand » (Hepp et al., 2015, p. 7). Pour Hepp (2012), les cultures médiatisées, fruits de ces processus de médiatisation, sont caractérisées par le fait que leurs ressources premières « are mediated by technological means of communications » (p. 22), qui participent tout autant des transformations culturelles plus larges que des micro-pratiques (voir par exemple Sawchuk (2013) et Reestorff (2014)) situées et contingentes.

Ces théories m’aident à réfléchir, depuis une perspective non techno-déterministe, à comment le développement, l’utilisation et la commercialisation de technologies diverses, multiples et variées sont partie prenante de processus plus larges de médiatisation, qui informent les manières particulières de comprendre et de pratiquer la « saine » alimentation contemporaine - tant dans ses significations, symboles, définitions que dans ce qui en compose la matière. Ces processus informent également la mise en place d’un lot de pratiques, liées et liant alimentation et corps. Par exemple, les processus de médiatisation favorisent la production et la circulation de connaissances personnalisées et biospécifiques; participent de sa production et du contrôle de ses matières constituantes, tout autant que de celles des corps humains avec lesquels elle est mise en relation; sont le fait du développement de nouvelles technologies et de nouvelles fonctionnalités permettant d’assurer un suivi constant et personnalisé sur les matières organiques corporelles, lesquelles sont mises en relation avec les aliments ingérés ou à ingérés; etc. Inspirée des théories de la médiatisation, je conçois que ces technologies variées et multiples, de natures diverses, sont cohérentes avec les injonctions normatives culturelles qui font de la santé un impératif moral à atteindre, et l’alimentation l’un des outils pour y parvenir. Les processus de médiatisation participent à redéfinir la santé et les manières entendues de l’atteindre entre autres par l’entremise de processus de quantification biospécifiques des corps et de l’alimentation, qui orientent les manières de les comprendre et de les pratiquer102.

102 D’ailleurs, selon Clarke et al. (2000), l’omniprésence des technologies informatiques et informationnelles

comme des pratiques technoscientifiques est fondamentale au développement des processus de biomédicalisation, en ce qu’elle participe à individualiser et à démocratiser l’accès à des outils permettant de traiter, monitorer et/ou diagnostiquer les corps de façon personnalisée. Je conçois que cette omniprésence est caractéristique des processus de médiatisation, qui doivent être compris comme participant au déploiement de la culture alimentaire biomédicalisée.

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Néanmoins, je conçois que ces processus de médiatisation ne doivent pas être appréhendés comment agissant seuls ou comme étant les seuls à l’œuvre dans le déploiement de la culture alimentaire biomédicalisée. Je soutiens qu’ils doivent être réfléchis avec les processus de molécularisation, qui informent les possibilités nouvelles d’intervenir sur le vivant à un niveau moléculaire (Rose, 2007). J’identifie à l’œuvre actuellement des processus de molécularisation tels que définis par Rose (2007), dans le déploiement de la culture alimentaire biomédicalisée :

[…] contemporary biomedicine envisages life at the molecular level, as a set of intelligible vital mechanisms among molecular entities that can be identified, isolated, manipulated, mobilized, recombined, in new practices of intervention, which are no longer constrained by the apparent normativity of a natural vital order. (p. 5)

Pour Jeanette Edwards et al. (2010) (inspiré-e-s par Rabinow, 1996), les développements en génétique et ceux issus de la science biomédicale participent des manières nouvelles par lesquelles les corps, et la vie en elle-même, sont rendus « appréhendables » et « travaillables ». Le fait d’évaluer et de caractériser les corps à partir de technologies permettant d’en analyser les composantes inobservables à l’œil nu (parce que microscopiques ou internes, par exemple) n’est pas nouveau. Toutefois, pour Edwards et al. (2010), la multiplication des technologies permettant de visualiser les corps provoquent de nouvelles manières de les appréhender en produisant : « new awareness of the body and of the self, new regimes of power and knowledge, new possibilities for the enhancement of human life, and new fears for its degradation and destruction. » (Edwards et al., 2010, p. 2) Alors que ce type de pratiques technoscientifiques se déploie initialement dans les environnements contrôlés que sont les laboratoires (comme ceux liés à des champs de pratiques spécialisés comme les sciences médicales, biochimiques, en nutrigénomique par exemple), les savoirs qu’elles concourent à produire se retrouvent de plus en plus décloisonnés de ces espaces au cœur de la culture alimentaire biomédicalisée.

Ces processus refaçonnent eux aussi les manières par lesquelles les corps et le vivant sont appréhendés. C’est par exemple ce que j’observe dans les avancées scientifiques en nutrigénomique qui visent à établir des rapports de causalité et de corrélation entre les gènes d’un individu et les aliments ingérés ou à ingérer; dans les développements liés à la production d’aliments artificiels où leur conception en laboratoire est réfléchie entre autres en termes de modifications ou de reproductions génétiques et où les débats associés à ces pratiques s’inquiètent de l’intégration de ces aliments aux matières corporelles humaines; et dans la commercialisation et la distribution d’aliments biologiques, où la

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nature de ce qui compose les aliments est mise en relation avec les composantes et fonctions corporelles, à l’échelle des processus microbiologiques. Ce ne sont là que quelques exemples des considérations nouvelles pour les composantes moléculaires des aliments, des corps et des interactions

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