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La croissance de l’arbre en forêt tropicale humide : atteindre des contraintes communes au

Quel que soit le tempérament vis-à-vis de la lumière, le but d’une plante est d’accéder à la ressource lumineuse pour pouvoir se reproduire. La forêt Guyanaise est une mosaïque d’états successionnels générés par la chute des arbres, moteur de perturbations et déclencheur de retour à un état successionnel jeune (Oldeman, 1974). Néanmoins, la transition d’un état successionnel jeune à un état successionnel avancé est graduelle, résultant dans l’observation d’états transitoires à forte diversité spécifique (Molino & Sabatier, 2001), dans lesquels, les guildes de fin et de début de succession peuvent coexister. Sans parler d’état successionnel transitoire, une trouée forestière localisée entrainera le développement de plantes héliophiles ayant comme voisins des espèces de fin de succession provenant de la parcelle de forêt voisine non perturbée.

La coexistence de ces différents tempéraments au sein d’une même communauté végétale implique inévitablement qu’elles soient capables de résister aux mêmes sollicitations environnementales. On s’attend donc à observer des valeurs de traits relativement proches dans les parties des organes et tissus récemment formés quel que soit le tempérament de la plante. A contrario, les valeurs de traits mesurées dans les organes et tissus anciennement formés devraient être différentes si elles reflètent une adaptation à un environnement de croissance différent. Dans ces termes, le bois de la moelle vers l’écorce et de la base vers le haut de la plante reflète l’histoire de la plante dans une dimension environnementale et temporelle. Dans un premier temps, nous commencerons par énumérer et discuter la valeur adaptative et fonctionnelle des singularités rencontrées chez les plantes à tendances héliophiles et sciaphiles. Il convient cependant que le lecteur garde en tête que la dichotomie héliophile-sciaphile n’est qu’un raccourci sémantique, et que toutes les considérations suivantes font partie intégrante d’un continuum allant de l’intolérance à la tolérance à l’ombre.

Les connaissances générales au sujet des héliophiles nous apprennent que ce sont des plantes à forts taux de croissance en hauteur et en diamètre, à bois de faible densité et à faible durabilité et bouclant leurs cycles de vie plus ou moins rapidement. Les résultats de ce travail de thèse n’infirment pas ces considérations générales mais apportent des éléments nouveaux quant aux aspects mécaniques.

L’héliophilie se caractérise par des valeurs d’infradensité et de module d’élasticité spécifique faibles à cœur, suggérant aussi un fort AMF. Cette faible valeur de module spécifique d’élasticité conférant une grande souplesse à la tige peut être vue comme une adaptation aux vents qui sont plus forts dans les trouées forestières ou en lisière de forêt. De ce fait, la plante héliophile optimise sa croissance en hauteur par un investissement faible dans la densité du bois et est capable de plier face au vent sans casser. L’effet positif du vent sur l’AMF a déjà été mis en avant chez Abies frazeri (Telewski, 1989), Cecropia schreberiana (Cordero, 1999) et Eucalyptus nitans (Wimmer et al., 2002). Par sa croissance en épaisseur rapide, la plante héliophile s’affranchira graduellement des effets néfastes liés au vent.

Les plantes sciaphiles ou tolérantes à l’ombre qui ont des taux de croissance faibles, mettent en place un bois à forte densité et ont un cycle de vie relativement long. Les résultats de ce travail montrent que les essences de fin de succession ont une valeur de module d’élasticité spécifique et

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une densité importantes près du cœur, conférant plus de rigidité à la tige que chez les héliophiles. Un gain de souplesse ne semble pas nécessaire à la survie des plantes sciaphiles en termes de résistance aux vents qui sont certainement plus faibles sous couvert forestier. Des études récentes soulignent l’effet positif du vent sur la mortalité des jeunes arbres en sous-bois dans des forêts très fragmentées (là où les vents sont plus importants), soulignant ainsi le manque d’adaptation à la résistance au vent des essences tolérantes à l’ombre (Laurance & Curran, 2008). Néanmoins, la plus grande rigidité des espèces tolérantes peut aussi être interprétée comme une stratégie permettant l’évitement de la cassure causée par des chutes de branches des arbres voisins (Van Gelder et al., 2006). S’il existe une relation claire entre tempérament et module spécifique d’élasticité, le mode de développement architectural qui ne traduit pas un tempérament particulier vis-à-vis de la lumière, peut aussi interférer de manière non négligeable sur la valeur du module spécifique d’élasticité. Et cela peut très bien être expliqué : le fait qu’un organisme adopte un port plagiotrope le rend plus susceptible de capturer des objets (feuilles, rameaux, branches) venant d’en haut. Pour ne pas rompre, la complaisance de la structure permet d’encaisser le choc et de se libérer de l’objet. Il ressort dans cette étude effectivement qu’un fort AMF confére plus de complaisance à la tige chez les organismes plagiotropes, ceci quel que soit leur tempérament. Ainsi, pour chaque « valeur » de tempérament, certains paramètres comme par exemple le module spécifique d’élasticité, peuvent être influencés par la stratégie mise en œuvre par l’organisme pour réaliser ces besoins. Le mode de développement apparait ainsi comme un « perturbateur local » du gradient du module d’élasticité spécifique le long de l’axe d’héliophilie.

Une fois que le degré de luminosité requis a été atteint, la plante n’est plus contrainte par son mode de croissance en hauteur, et c’est à ce moment précis qu’apparait de nouvelles contraintes communes à tous les arbres, quel que soit leur tempérament vis-à-vis de la lumière : (1) maximiser la synthèse de matière carbonée nécessaire à la ramification, la croissance secondaire, à la reproduction et à l’entretien des tissus précédemment mis en place tout en (2) minimisant le cout de construction des nouveaux organes et en réduisant au maximum la sollicitation mécanique imposée par la masse grandissante de la couronne.

D’un point de vue mécanique, les sollicitations peuvent être induites par des facteurs externes (i.e. vent, surcharge par des petits mammifères ou des plantes épiphytes), mais sont également auto- induites par l’expansion de la couronne elle-même (augmentation de la prise au vent, déviance du poids propre par rapport à l’axe neutre). La diminution de la densité dans la couronne chez les essences sciaphiles permet en ces termes, (1) la diminution des coûts de construction des organes, (2) la diminution des sollicitations auto-induites par le développement de la plante elle-même. L’augmentation de la densité dans la couronne des plantes héliophiles nécessitera (1) une augmentation des coûts de construction (i.e. coûts économisées dans les premiers stades de développement), mais permettra (2) plus de rigidité face au charges extérieures.

La sollicitation mécanique auto-induite par l’augmentation de la densité dans la couronne sera en revanche très importante chez une héliophile. De ce point de vue, une densité plus forte sous- écorce dans le tronc (là où la sollicitation est importante) apportera la rigidité nécessaire à la sollicitation auto-induite par la couronne. De ce point de vue, la variation radiale de la densité et du module d’élasticité sont conformes à « l’hypothèse mécanique » développée par Lachenbruch et al. (2011).

L’héliophilie comme la sciaphilie sont deux stratégies écologiques efficaces permettant l’accession à la lumière et la reproduction, mais divergentes de par la chronologie de l’investissement en

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matière carbonée au cours du développement. L’arbre héliophile investie peu dans un premier temps puis beaucoup plus ensuite, alors que la sciaphile réalise des économies après un fort investissement.