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cette croisée sociologie et psychanalyse, ce qu'ils appellent sociologie

clinique. C'est un des rares trucs qui existent. Mais elle insiste beaucoup sur des spécificités sociales, notamment sur les problèmes liés aux enseignants issus des classes populaires, avec le paradigme Jack London, Annie Arnaud etc, ce type de choses, les habitus clivés… J'ai l'impression que… alors évidemment, il y a des formes spécifiques qui sont liées aux origines sociales, mais moi, mon expérience, c'est que ça embrasse des gens qui sont issus de groupes sociaux extrêmement divers, ces pathologies, ces formes de… Donc il manque quelque chose sur ce domaine, et je n'ai pas lu de choses essentielles »

On s’attardera donc maintenant sur l’univers fictionnel de Judith Bernard, dans lequel, effectivement, le besoin de reconnaissance mais surtout l’envie, semblent frapper tout le monde sans distinction d’origines sociales.

B- Judith Bernard ou David Lodge et Laurence Viry réconciliés

Après avoir présenté les travaux de Laurence Viry, et dit en quoi ils permettaient de réintégrer dans l’analyse un certain mal-être des universitaires, on s’attachera maintenant à montrer qu’on peut tirer du roman de Judith Bernard, Qui trop embrasse 90, un cadre situé à mi-chemin entre celui de David Lodge et celui de Laurence Viry. On présentera donc ici la vision qu’a Judith Bernard de l’université, et l’on dira ensuite en quoi cette vision complète utilement celle que David Lodge déploie dans ses livres.

90Editions Stock, 2008

Il faut encore préciser que, le livre étant assez récent, et son auteure étant française, il m’a été possible de la rencontrer pour un entretien. L’analyse qui sera ici faite du livre de Judith Bernard est donc tirée à la fois du texte même et de l’entretien avec l’auteure, complément utile à la bonne compréhension de ses intentions et de son ressenti.

Il faut d’abord dire, en préambule à cette partie, que le livre de Judith Bernard est totalement autobiographique. Le parcours personnel que l’auteur présente dans le livre présente l’intérêt supplémentaire de se situer à Lyon, milieu universitaire dont est issue la grande majorité des enquêtés de ce travail. L’échantillon n’est donc pas faussé par l’apport d’un élément extérieur… On ne saurait mieux résumer le parcours de l’auteure, et l’intrigue du livre par la même occasion, qu’en lui laissant la parole directement :

« Donc, au sortir du bac, je fais hypokhâgne, khâgne au lycée Fénelon à Paris, j'intègre normale Sup, à l'époque on dit Fontenay-aux-Roses, maintenant c'est devenu normal Sup Lyon. Donc j'intègre normale Sup tout de suite après ma khâgne. Dans le cadre de normale Sup, je passe évidemment ma licence, ma maîtrise, je passe l'agrégation de lettres modernes, puis je fais un DEA…

Un DEA de quoi ?

Théâtrologie on dit. Etudes théâtrales, sur les répétitions de théâtre. Et ensuite, au sortir de normale Sup, j'obtiens un poste d'allocataire monitrice, à Lyon, à l'université de Lyon II, où je pars pour faire ma thèse en théâtrologie et en linguistique.

Ça, c'était en quelle année ?

Alors, je pars à Lyon en 96, je crois, je prends mon poste en septembre 96, et je soutiendrai ma thèse en décembre 2000, après quatre ans donc comme allocataire monitrice puis comme attachée temporaire d'enseignement et de recherche. Voilà pour ce qui est du parcours. Donc, tout ça se termine en 2000, où je soutiens ma thèse en décembre, et puis 2001, je termine mon poste d’ATER et puis après, je n'ai plus jamais eu de responsabilités à l'université. »

Le livre raconte donc la période lyonnaise, ou l’auteure prépare sa thèse, dans une relation ambigüe avec sa directrice de thèse sur laquelle nous reviendrons. Laquelle thèse se soldera par un échec cuisant, l’auteure n’ayant pas obtenu les félicitations du jury, mais au contraire la très antiphrastique mention Très Honorable, agrémentée, ultime affront, d’un rapport de thèse désastreux.

En synthétisant le propos de l’auteur, on peut dire que l’espace universitaire se caractérise dans sa vision par trois traits fondamentaux que l’on développera successivement. C’est d’abord un espace à distinguer clairement du monde de l’enseignement secondaire. C’est ensuite un espace dans lequel l’entregent et les connexions sont si importants que cela confine presque à la corruption. C’est enfin et surtout un espace d’une extrême violence.

Le monde universitaire, dans l’esprit de Judith Bernard s’oppose donc premièrement et complètement à un second espace social qui pourrait lui ressembler : le monde de l’enseignement secondaire. Le monde de l’enseignement serait donc pour elle bidimensionnel, scindé définitivement entre d’un côté, le monde de l’enseignement secondaire, dont le maitre mot serait la méritocratie, et de l’autre, l’enseignement supérieur et le monde de l’université, dont on verra en quels termes il est analysé. Il faut noter que c’est pour mieux souligner les lacunes et les bassesses du monde académique que Judith Bernard oppose les deux modèles et décrit le premier en négatif par rapport au second. Le monde de l’enseignement secondaire, vers lequel s’est orienté l’auteur juste

après l’échec de sa thèse, incarnerait pour elle l’antithèse parfaite du monde universitaire.

Il ne laisserait aucune place à l’entregent, aux relations de pouvoir, à la « diplomatie » ou aux intrigues, mais, dans un schéma très « IIIème République », ne ferait que consacrer des compétences et des savoirs purement scolaires. La frontière qui sépare ces deux mondes est pour elle assez claire. Si le monde de l’enseignement secondaire, ou en tout cas sa logique égalitariste et méritocratique (chacun serait à « armes égales ») déborde légèrement sur le supérieur, puisque les classes prépa ne sanctionnent encore que de pures performances intellectuelles, l’agrégation, version secondaire, serait la dernière épreuve (on retrouve ici le sens « d’épreuve instituée » présenté plus tôt par Laurence Viry) fonctionnant réellement « au mérite ». Toutes les épreuves se situant au-delà font partie du dangereux milieu universitaire, et les savoirs qu’il sanctionne sont plus des savoir-être que de pures connaissances ou compétences.

« ce qui se passe c'est que quand on est dans les diplômes et les concours pré-universitaires, enfin, avant la carrière universitaire, on est dans la méritocratie, vraiment, je crois. C'est-à-dire que passer l'agrégation, ça suppose des performances intellectuelles et discursives que chacun peut s'efforcer d'acquérir, de déployer. »

Dans cet espace de l’enseignement bidimensionnel, les professeurs, selon qu’ils appartiennent à l’un ou à l’autre des deux versants du milieu ne sont évidemment pas les mêmes. Si les professeurs du secondaire sont au service de la démocratisation du savoir, et sont « au front », les professeurs du supérieur sont quant à eux des privilégiés, pour ne pas dire des « planqués ». On retrouve ici le thème développé par Laurence Viry sur les supposées conditions de travail favorables des universitaires.

« Si j'avais été enseignant-chercheur en théâtrologie, je n'avais aucune difficulté à poursuivre mes recherches en théâtre tout en étant enseignante, en gagnant ma vie en étant enseignant-chercheur. »

Cette dimension sera atténuée au cours de l’entretien, l’auteure confessant même in fine, en reprenant presque mots pour mots l’analyse que Laurence Viry fait dans sa troisième partie :

« D'abord, parce qu'il n'y a pas tant de liberté qu'on le dit, on prétend que ça fait une vie super chouette, en réalité les universitaires sont un peu assommés de travail parce qu'il y a de plus en plus de charges administratives en plus de leurs charges d'enseignement et de recherche. Donc en fait, il y a beaucoup beaucoup de travail, ça ne s'arrête pas en été, parce qu'en été on prépare les cours de la rentrée souvent. Ils sont assommés de travail, pour des rémunérations pas très très gratifiantes »

Face aux professeurs du secondaire, marqué par un certain sens social, et une volonté de rendre à la société, par l’enseignement, ce que l’école leur a transmis, les professeurs du supérieur manifestent un égoïsme certain, qui s’incarne dans l’obsession carriériste permanente. Contrairement au sens commun qui doterait les universitaires d’un esprit assez large, ouvert ou tolérant, Judith Bernard n’hésite pas à les décrire comme monomaniaques, passionné jusqu’à l’excès par des épiphénomènes (on agite ici la figure de l’expert étroit d’esprit, intéressé uniquement à ses recherches et à ses découvertes). L’extrait suivant en témoigne :

« C'est-à-dire, le projet de vie, c'était de rester vivante et incarnée, et je ne

concevais pas l'université comme un sacerdoce, une passion univoque, je n'étais

pas mono-centrée sur l'université. Et ça, je pense que ça ne pardonne pas à

l'université. Je pense que l'université, française en tout cas, n'a pas de place,

n'a pas d'espace pour accueillir des personnalités qui seraient un petit peu