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Les critères relatifs à la personne du collectionneur

La détermination des critères juridiques de la collection d’exception

SECTION 1 Les critères relatifs à la personne du collectionneur

◊ Il convient de préciser que la collection d’exception émane d’un créateur (second paragraphe), et donc a priori d’une personne physique (premier paragraphe).

§1 – Une personne physique

◊ Le collectionneur s’inscrit dans une démarche personnaliste transcendantale (A), ainsi il est bien souvent une personne physique ce qui induit en principe de rejeter la personne morale. Néanmoins il conviendra de s’interroger sur une éventuelle admission de la personne

morale (B).

A – Une démarche personnaliste transcendantale

« Se rappeler qu’un tableau avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane

recouverte de couleurs en un certain sens assemblées ».

Maurice Denis566

259. <> Le collectionneur « personne physique » est à l’origine de tous les types de collections, en ce sens le critère « personne physique » n’est pas spécifique à la collection d’exception. En effet, le collectionneur en tant que personne physique inscrira toujours plus ou moins une démarche personnaliste dans sa collection, lorsqu’elle est entendue comme l’influence de la volonté du collectionneur : cette démarche renvoie naturellement à la personne humaine567.

Toutefois au sein d’une collection d’exception, nous pensons que la démarche personnaliste est transcendantale, dans le sens où elle dépasse la volonté du sujet : cette démarche ne s’exerce plus seulement par la volonté, elle transcende la collection d’exception par la mise en

avant de la personnalité du collectionneur. En outre, la personnalité du collectionneur est

comme transférée dans la création de l’ensemble, de sorte que le sujet et l’objet sont

intrinsèquement liés par une certaine intimité pouvant exister entre eux.

Mais au même titre que l’appréciation délicate de l’empreinte de la personnalité de l’auteur requise par le droit de la propriété littéraire et artistique, nous concédons que la démarche

566 M. DENIS, Revue Art et Critique, (Dir. J. Jullien), Paris, 18 janvier 1890.

567En droit d’auteur, cette logique personnaliste résulte notamment de différents textes issus de la loi du 11 mars 1957, V. égal. le CPI et les articles svts : 113-2 al.1er, L.113-7 al.1er, et 113-8 al.1er.

personnaliste, entendue comme la personnalité du sujet d’une collection d’exception, semble difficile à repérer car elle relève d’une vision subjective568.

260. <> La collection d’exception, se distingue des autres collections traditionnelles parce qu’elle est le résultat non seulement de la volonté mais surtout de l’esprit créatif du collectionneur. La volonté individuelle de réunir des biens suffit à constituer des collections classiques, tandis que les collections d’exception sont nécessairement le fruit de l’esprit d’une personne se traduisant notamment par ses sentiments, ses convictions. Aussi, nous pensons que le collectionneur d’une collection d’exception n’exerce pas uniquement un droit de propriété par appropriation, mais qu’il exerce un droit de propriété « par essence »569, autrement dit une émanation de son esprit, un lien intime entre le titulaire et l’objet de droit.

261. <> La collection d’exception s’inscrit dans une démarche personnaliste

transcendantale dans le sens où elle est attachée à la personne du collectionneur qui exhale sa

personnalité, cette dernière étant définie comme « Ce que la personne physique en elle-même

(et pour tout être humain) a de propre et d’essentiel. »570. Partant, cela reviendrait à exclure l’idée selon laquelle les personnes morales pourraient être considérées comme des créateurs de collections d’exception.

Néanmoins, la question est de savoir si celui qui crée est nécessairement une personne physique ?

568 En revanche, nous verrons que l’action de repérer certains indices qui permettent d’identifier la démarche créatrice de l’auteur semble plus révélatrice de la démarche personnaliste du collectionneur ; une vision plus objective, cf. p.198 et s.

569 Cf. Le discours prononcé à la Chambre des pairs par le comte PORTALIS qui affirmait en 1839 : « Ce que

l’homme tire de sa propre substance, ce que son intelligence produit, les révélations de sa pensée, sont-ce des choses extérieures qu’il ait besoin de s’approprier ? Non, c’est encore lui, hors de lui : là, il n’y a pas seulement propriété par appropriation comme disent les philosophes, mais propriété par nature, par essence, par indivision, par indivisibilité de l’objet et du sujet ». Cité par POUILLET, Traité théorique et pratique de la propriété littéraire et artistique et du droit de représentation, Marchal et Billard, 3e éd., 1908, par Maillard et Claro, Paris, p.28 et 29, note 1.

B – La question relative à l’éventuelle admission de la personne morale

262. <> A contrario, la question est de savoir si les personnes morales peuvent créer des collections d’exception. Selon nous, les personnes physiques et morales peuvent créer, tout est question de vision.

En effet, si nous adoptons une vision fondée sur le caractère sensible de la création, alors cela ne peut être que le résultat d’une personne physique.

En revanche, si nous nous éloignons de l’approche personnaliste qui supplante traditionnellement la création, alors il est possible de considérer que les personnes morales sont des personnes qui créent « au même titre » que les personnes physiques. D’ailleurs, que penser des artistes de la dépersonnalisation571 ?

◊ Alors comme le soulignent Messieurs M. VIVANT et J.-M. BRUGUIÈRE, que cela « séduise ou révulse, le fait est qu’aujourd’hui les personnes morales s’invitent aux côtés des personnes physiques »572. La distinction entre qualité et titularité (1) permettra d’abord d’éclairer l’évolution jurisprudentielle face à l’industrialisation culturelle à laquelle participent les personnes morales. En effet, les juges semblent accueillir ces « nouveaux auteurs » après avoir admis que les personnes morales peuvent être titulaires de droits d’auteur (2), la question d’une éventuelle attribution de la qualité d’auteur semble demeurer en suspens (3).

1. Qualité d’auteur et titularité des droits d’auteur

263. <> Pour prévenir des éventuelles dérives573 de la personne morale investie par le droit d’auteur, une distinction s’opère entre la titularité des droits et la qualité de créateur. En effet, dans l’état actuel du droit français la qualité d’auteur est nécessairement attribuée à une personne physique en tant que seul instigateur possible574; tandis qu’une personne morale peut seulement se voir attribuer la titularité des droits sur la création575.

571Ces personnes physiques qui souhaitent se différencier ou se distancer de leur création en s’efforçant d’ôter ce qui constitue la personnalité de leur œuvre, comme l’illustre notamment le cas des séries Fright Wig et Self

Portrait with Camouflage d’Andy WARHOL. Sur des exemples de dépersonnalisation, Cf. L’œuvre picturale de B. FRIZE « basée sur la dépersonnalisation » - E. VEDRENNE, « Bernard Frize met la peinture à nu » : connaissance des Arts 2003, juill.-août, p.53. Pour une série d’œuvres photographiques d’autoportraits en situation de distorsion se référer à l’étrange ouvrage de J. LAIRAUDAT, Dépersonnalisation, 2011, 117p.

572 M. VIVANT et J.-M. BRUGUIERE, Droit d’auteur et droits voisins, Dalloz 3e éd., p.309, §300.

573 Sur les risques de « dérives », V. A. LUCAS, « L’œuvre de l’esprit : création d’une personne physique ou morale ? » In L’œuvre de l’esprit en question(s), un exercice de qualification, (dir. par A. Bensamoun, F.

2. L’admission de la titularité des droits d’auteur aux personnes morales

◊ Dans un premier temps, la jurisprudence a admis la titularité des droits d’auteurs au profit des personnes morales, titularité qui ne joue que dans un cadre déterminé (a). Dans un second temps, pour pallier à certaines difficultés d’ordre probatoire auxquelles les personnes morales pouvaient être confrontées, la jurisprudence a créée une présomption large de titularité (b).

a. Une titularité « originaire » encadrée

264. <> La jurisprudence « DUPONT » et la notion d’œuvre collective – Il

convient d’abord de rappeler le principe affirmé le 17 mars 1982 par l’arrêt « DUPONT »576

selon lequel la qualité d’auteur doit être nécessairement attribuée à une personne physique: au visa des articles 8, 9 et 13 de la loi du 11 mars 1957, « il résulte de ces textes qu’une personne morale ne peut être investie à titre originaire des droits de l’auteur que dans le cas où une œuvre collective, créée à son initiative, est divulguée sous son nom. ».

Ainsi dans le cadre de l’œuvre collective, un premier pas est franchi en faveur des personnes morales qui peuvent se voir attribuer les prérogatives du droit d’auteur ab initio. Alors qu’en principe le premier titulaire des droits d’auteurs est le créateur de l’œuvre, autrement dit une personne physique. Comme le rappelle Madame A. BENSAMOUN pour qui « : les principes

d’autorat et de titularité (…) » peuvent être résumés « par l'équation suivante : auteur = créateur = premier titulaire des droits. Cette égalité à trois valeurs participe de la philosophie du droit d'auteur français, lequel offre une vision in favorem auctoris. »577. Seulement, cette équation ne tient pas compte de l’immixtion des personnes morales dans le cadre de la propriété littéraire et artistique.

Certes, la jurisprudence DUPONT se limite aux cas d’œuvres collectives, mais elle permet aux personnes morales d’être « investie à titre originaire », ainsi selon Madame A.

574 Le principe général de l'exclusion des personnes morales de la qualité d'auteur à titre originaire, avait été formulé le 17 mars 1982 par la première chambre civile de la Cour de cassation dans l'arrêt DUPONT, n° 80-14838. V. infra.

575 Comme l’a justement avancé P. SIRINELLI, Le droit moral de l’auteur et le droit commun des contrats, thèse Paris II, 1985, p.569.

576 Cass. 1ère civ., 17 mars 1982, n° 80-14.838 : Juris-Data n° 1982-700790, Bull. civ. 1N.116 ; RTD com. 1982, p. 428, obs. A. Françon : « Une personne morale ne peut être investie à titre originaire des droits de l'auteur ».

577 A. BENSAMOUN, « La personne morale en droit d'auteur : auteur contre-nature ou titulaire naturel ? », D. 2013. 376.

BENSAMOUN : « l’entité est traitée comme un créateur, un auteur, sa titularité sur l’œuvre est facilitée »578.

265. <> C’est ainsi que la Cour de cassation par un arrêt en date du 22 mars 2012 a confirmé la jurisprudence « DUPONT » et a confirmé que la personne morale « à l’initiative d’une œuvre collective est investie des droits de l’auteur sur cette œuvre et, notamment, des prérogatives du droit moral ». Quand bien même l’œuvre ne peut être qu’une création humaine, en revanche par cette décision, les juges conçoivent que le « droit moral n’est pas le propre des personnes physiques »579.

L’œuvre collective est selon l’article L. 113-2 alinéa 3 du CPI : « l’œuvre créée sur l’initiative

d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom, (qui assume la conception, la réalisation et la diffusion de l’œuvre) et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ». Il s’agit par exemple d’une encyclopédie ou d’un

dictionnaire, en revanche la notion classique de la collection créée par un collectionneur « unique » paraît échapper à cette qualification.

Quoiqu’il ne semble pas impossible d’établir un lien avec les collections de certains grands groupes comme LVMH par exemple. Généralement ces groupes s’entourent de collaborateurs chevronnés afin d’élaborer leurs collections qui sont présentées sous le nom de l’instigateur. Soit par exemple, les collections de Monsieur B. ARNAULT constituées notamment grâce à l’intervention de Madame S. PAGÉ, ancienne directrice du musée d’Art moderne de la ville de Paris, mais aussi de Madame P. MARSHALL et de Monsieur H. MIKAELOFF, faisant partis de ses art advisors, autrement dit ces célèbres conseillers spécialisés dans les galeries et les ventes aux enchères pour leurs clients. Finalement, ces collections d’exception ne seraient-elles pas des œuvres collectives ? L’hypothèse ne s’est pas encore présentée, mais à en croire la définition légale de l’œuvre collective précitée, les collections d’entreprises pourraient éventuellement accéder à cette qualification.

Néanmoins, nous ne pouvons pas nier les créations qui évoluent au fil du temps et tendent à élargir le champ des « possibles créateurs » aux personnes morales. D’ailleurs les

578 A. BENSAMOUN, Ibid.

juges ont largement admis la titularité des droits d’auteurs au bénéfice de personnes morales, une titularité qui peut se présumer.

b. Présomption large de la titularité du droit d’auteur aux personnes morales

266. <> La qualité d’auteur peut se présumer, ainsi l’article L.113-1 CPI dispose que « la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée. ». La lettre du texte ne distingue pas selon qu’il s’agit d’une personne

morale ou d’une personne physique, mais la jurisprudence a eu l’occasion d’apporter une réponse selon laquelle l’article L.113-1 CPI ne peut pas être invoqué par les personnes morales pour bénéficier de la qualité d’auteur580. En revanche, les personnes morales peuvent bénéficier d’une présomption de titularité581 désormais élargie.

267. <> Présomption de titularité dégagée de toute qualification. Illustration par

la jurisprudence « AERO » – En principe, les personnes morales peuvent être titulaires des droits d’auteurs soit dans le cadre d’une cession de droits, soit avec la notion d’œuvre collective. Or, pour pallier aux difficultés liées à la preuve d’une telle cession ou à la preuve des conditions de qualification de l’œuvre collective, la jurisprudence a posé le principe de la présomption de titularité afin de protéger les personnes morales du « jeu des

contrefacteurs »582, et ce quelque soit la qualification de l’œuvre litigieuse.

Le principe a été posé par la Cour de cassation en 1993 selon laquelle : « en l’absence de toute revendication de la part de la ou des personnes physiques ayant réalisé le cliché, ces actes de possession étaient de nature à faire présumer à l’égard des tiers contrefacteurs que SMD était titulaire sur ces œuvres, quelque fût leur qualification, du droit de propriété

580 Civ. 1re,7 mars 1982, n° 80-14838, Davidoff c/ Dupont, Bull. civ. I, n°116.

581 Depuis l’arrêt AERO rendu le 24 mars 1993 par la 1re chambre civile de la Cour de cassation (Civ. 1re, 24 mars 1993, n°91-16.543, Aero c/ Syndicat d’initiative de Villeneuve-Loubet, Bull. civ. I, n°126 ; RIDA 1993,

n°158, p.200). Sur les nouvelles conditions prétoriennes de la présomption de titularité des personnes morales V. évolution jurisprudentielle : Civ. 1re, 15 nov.2010, JCP E 2012, étude 1126, n°6, obs. Couillaud ; RIDA 2011, n°228, p.407, obs. Sirinelli. V. l’article J.-M. BRUGUIERE, « Présomption de titularité de droit d’auteur : les conditions se précisent, certains mystères demeurent », RLDA 2011, n°57, p.19. Civ. 1re, 6 oct. 2011, n°10-17018. V. l’article J.-M. BRUGUIÈRE, « La titularité de la marque ne prouve pas l’exploitation de l’œuvre »,

Propr. intell. n°42, 2012. ; A. BORIES, « L’exploitation d’une œuvre sous une marque n’est pas suffisante pour rendre vraisemblable la titularité des droits d’auteur », RLDI janv. 2012, n°2588, p.13. Civ.1re, 10 juill. 2014,

Propr. intell. 2014, n°53, p.401, obs. Bruguière. V. l’article M. VIVANT, « Présomption de titularité de droits d’auteur : une réaffirmation bienvenue de la Cour de cassation ! », RLDI juill. 2015, n°3802, p.52.

582 Expression empruntée à Monsieur A. FRANÇON, In « Personne morale. Titularité du droit d’auteur », RTD

incorporelle de l’auteur »583. Par cette décision les juges posent deux conditions pour bénéficier de la présomption de titularité : d’une part, la personne morale doit exploiter l’œuvre litigieuse commercialement sous son nom et d’autre part, cette œuvre ne doit pas être

revendiquée par la ou les personnes physiques qui l’ont réalisé. Les décisions postérieures ont repris la solution posée par l’arrêt de 1993, en y apportant certaine précisions.

Par exemple, un arrêt du 20 juin 2006584 a pu préciser que l’absence de revendication doit s’apprécier d’un point de vue de la titularité. En l’espèce, une personne physique revendiquait la qualité d’auteur ; mais son argumentation a été écartée par la Cour de cassation car l’éventuelle présomption dont pourrait bénéficier la personne morale, devait porter uniquement sur la titularité. De plus, les juges ajoutent que la présomption de titularité est indépendante « de la réalité de la cession » et de la qualification de l’œuvre qu’elle soit « collective ou non ».

268. <> Les personnes morales peuvent donc bénéficier d’une présomption large de

titularité ou être directement titulaires des droits soit dans les cas prévus par la loi dans le cadre de la notion d’œuvre collective585 ou par le biais des logiciels586, soit par le biais d’une cession des droits587.

L’évolution jurisprudentielle semble montrer un certain élargissement du droit d’auteur au bénéfice des personnes morales. Nous ne pouvons que saluer cette évolution qui selon nous correspond à la réalité et contribue à la nécessaire évolution du droit d’auteur,

583 Civ. 1ère, 24 mars 1993, 2 esp., SA Areo et A. c/ Syndicat d'initiative de l'office du Tourisme de Villeneuve Loubet et A ; GAPI, 1re éd., 2004, n°10, comm. Clément-Fontaine et Robin ; JCP 1993. II. 22085, note F. Greffe ; RIDA 1993, n°158, 200 ; RTD com. 1995. 418, obs. Françon.

584 Com. 20 juin 2006, D. 2006. AJ. 1894, obs. Daleau : JCP E 2006, jurispr., p.1668, note Sing et Debiesse ; Propr. Intell. 2006, n°21, p.458, obs. de Haas ; Propr. Intell. 2007, n°22, p.81, obs. Bruguière ; CCE 2006, comm. 141, note Caron.

585 Cf. L. 113-5 CPI : « L'œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée. Cette personne est investie des droits de l'auteur. ». ; V. P.

FRÉMOND, « Les droits d’auteur d’une personne morale », Cah. dr. auteur 1989, n°13, p.6.

586 Sur des logiciels développés depuis le 1er janvier 1986 par ses salariés dans l’exercice de leur fonction (cf. art. L.113-9 CPI). Depuis la loi n° 94-361 du 10 mai 1994, le législateur a créé une présomption légale de cession, tel est le sens de l'article L. 113-9, al. 1er CPI, qui dispose que : « sauf dispositions statutaires ou stipulations

contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l'exercice de ses fonctions ou d'après les instructions de leur employeur sont dévolus à l'employeur qui est seul habilité à les exercer ». Ainsi, l’employeur devient cessionnaire sur les droits patrimoniaux et le salarié conserve son droit moral « diminué » puisque sous réserve de l'article L. 121-7 CPI, l’auteur du logiciel ne peut : « (…) 1° S'opposer à la modification du logiciel par le cessionnaire (…), lorsqu'elle n'est préjudiciable ni à son

honneur ni à sa réputation ; 2° Exercer son droit de repentir ou de retrait. ».

587 Une personne morale peut toujours disposer des droits patrimoniaux sur une œuvre en tant que cessionnaire, à condition d’établir l’existence et l’étendue des droits créés. En ce sens : Civ. 1re, 17 mars 1982 préc. D. 1982, IR 41, note Colombet ; JCP 1983, II, 20054, note Plaisant.

évolution qui doit notamment prendre en compte les personnes morales. Alors que la jurisprudence reconnaît le bénéfice de la titularité du droit d’auteur aux personnes morales, elle semble s’orienter vers une reconnaissance de la qualité d’auteur.

3. La question de l’attribution de la qualité d’auteur

a- L’émergence d’une reconnaissance de l’esprit créatif des personnes morales

269. <> « L’esprit créatif » des personnes morales – En principe, la naissance du

droit d’auteur prend ses racines à partir de personnes physiques. Néanmoins, la jurisprudence a pu reconnaître que des sociétés peuvent créer des œuvres, sans qu’il s’agisse d’œuvres collectives. Par exemple, la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 9 octobre 1995 a jugé qu’une société éditrice avait donné à une revue « une physionomie spécifique qui porte la

marque de son auteur »588.

De surcroît dans une autre décision, les juges ont même constaté l’empreinte de la personnalité de la société Apple, comme l’illustre l’arrêt rendu le 5 mars 1987 par la Cour d’appel de Paris où les magistrats soulignent « la marque de la personnalité »589 de la société, ou encore son « apport créateur »590. Pourtant, plus récemment, la Cour de cassation a dû rappeler qu’un auteur ne peut pas être une personne morale.

270. <> Tentative de reconnaissance de la qualité d’auteur à une personne morale. La jurisprudence « Orqual / Tridim » – Le refus d’attribuer la qualité d’auteur à une personne morale a été affirmé par la Cour de cassation le 15 janvier 2015, dans l’affaire « Orqual / Tridim »591qui réitère le principe posé par l’arrêt « Dupont »592.

Face aux nouvelles réalités économiques et aux évolutions technologiques, le droit d’auteur est appelé à s’adapter, de sorte qu’en dehors de l’exception légale de l’œuvre collective,

588 CA Paris, 4e ch., 9 oct. 1995 : JCP G 1995, IV, 2705.

589 A propos d’un logiciel, CA Paris, 4e ch., 5 mars 1987 : JCP E 1987, II, 14931, note J. Vincent.

590 T. Com. 15e ch. 10 janv. 2008 : à propos du baladeur MP3 « Ipod modèle nano» de la société Apple.

591 Civ. 1ère, 15 janvier 2015, n°13-23566. Bull. civ. 2015, I, n° 11. V. obs. P. Sirinelli, Chronique de