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Chapitre III: Application de la polarimétrie de Mueller instantanée

1- Les cristaux liquides

1.1- Généralités

La matière se présente essentiellement sous trois états (ou phases) : solide, liquide et gazeuse. Ces états sont liés à des propriétés de symétrie bien particulières. L’état solide est la phase la plus ordonnée: les atomes/ions/molécules sont positionnés aux nœuds d’un réseau périodique tridimensionnel, avec des corrélations de positions à longue portée. Selon la forme du réseau cristallin, l’état solide peut être anisotrope et donc présenter des propriétés optiques telles la biréfringence. Les états liquide et gazeux sont, quant à eux, bien plus désordonnés, avec des longueurs de corrélation de position beaucoup plus courtes. En particulier, l’état liquide est doté d'une propriété mécanique propre qui est la fluidité, c'est-à-dire la possibilité d’écoulement. Des transitions de phase existent entre les différents états et dépendent de la pression et de la température.

Au XIXème siècle, une phase tout à fait particulière, présentant à la fois des propriétés propres aux solides (biréfringence) et aux liquides (fluidité) a été découverte. Elle a été dénommée phase "cristal liquide". Les cristaux liquides possèdent en effet des corrélations de positions et d’orientations à longue portée mais aussi du désordre dans au moins une direction de l’espace. Pour ces matériaux, il n’existe pas une seule transition de phase entre l’état solide et l’état liquide mais une succession de transitions, la phase cristal liquide étant stable sur une gamme de température donnée. Les cristaux liquides ont naturellement été qualifiés de "mésophases" (phases intermédiaires) [III.1, III.2]. Les propriétés mécaniques des solides (anisotropies mécanique, diélectrique, optique), associées à la possibilité de basculement facile des axes d’anisotropie dû au caractère fluide, font des cristaux liquides des matériaux particulièrement attractifs, en particulier pour les systèmes d'affichage et les modulateurs spatiaux de lumière.

Pour la plupart, les cristaux liquides sont dits "thermotropes", car l’existence de cette phase ne dépend que de la température. Ce sont des molécules à faible masse moléculaire. On note simplement qu’existent aussi des cristaux liquides dits "lyotropes", dont les changements d’états sont contrôlés par la concentration du composé dans un solvant. Au sein de la famille des thermotropes, qui focalise notre attention, on distingue plusieurs phases cristal liquide: les nématiques, les smectiques et les colonnaires. La géométrie des molécules conditionne l’existence de telle ou telle phase (Figure III.1). Les molécules de cristal liquide sont composées d’un corps rigide formé de cycles aromatiques et de parties flexibles aux extrémités, constituées de chaines hydrocarbonées et/ou de groupes à moment dipolaire élevé. Les molécules dites "calamitiques" ont une forme allongée en "bâtonnet" et vont avoir tendance à former des phases nématiques et smectiques, alors que les molécules "discotiques" ont une forme de disque et génèrent plutôt des phases nématiques et colonnaires.

Chapitre III - Les cristaux liquides -107- X R R' X : groupe central R,R’: parties flexibles R R R R R R (a) (b) X R R' X : groupe central R,R’: parties flexibles X R R' X : groupe central R,R’: parties flexibles R R R R R R (a) (b)

Figure III.1: Représentation schématique des molécules calamitiques (a) et discotiques (b).

1.2- Différents types de cristaux liquides

Le lecteur pourra se référer à [III.3] pour avoir une vision complète des diverses phases cristal liquide découvertes jusqu’à aujourd’hui. Dans la suite, nous ne nous intéressons qu’aux molécules calamitiques, modélisées par des bâtonnets, et nous détaillons la phase nématique puis surtout la phase smectique, qui est celle qui sera étudiée par la suite.

1.2.1- Les nématiques

La phase nématique se caractérise par une organisation des molécules ayant un ordre d’orientation mais pas d’ordre de position (Figure III.2). En effet, les molécules ont tendance à s’aligner parallèlement entre elles et selon une direction moyenne représentée par un vecteur n, appelé directeur, mais leurs centres de gravité sont repartis aléatoirement dans l’espace, comme dans un liquide.

n n

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Cette phase est caractérisée par le groupe de symétrie D¶ h [III.3]. Les cristaux liquides nématiques agissent optiquement comme un milieu uniaxe, avec l’axe optique orienté suivant le directeur. L’application d’un champ électrique sur un cristal liquide nématique va générer une polarisation induite dans le milieu. Ce dernier étant très anisotrope, les molécules vont avoir tendance à s’orienter soit dans la direction du champ électrique (anisotropie positive), soit perpendiculairement à la direction du champ électrique (anisotropie négative). On peut donc contrôler électriquement la direction des molécules et donc la direction de l’axe optique, ce qui permet une maitrise de la biréfringence engendrée par le milieu. Cette modulation de la biréfringence est à la base des dispositifs d’affichage (modulation d’intensité quand la cellule est placée entre polariseurs croisés). Typiquement, pour choisir l’orientation préférentielle des molécules, le cristal liquide est placé dans une cellule où ont été déposées des électrodes, puis une couche d’alignement donne la direction souhaitée d’orientation (Figure III.3). L’orientation finale des molécules résulte de la compétition entre la force élastique qui tend à aligner les molécules parallèlement les unes aux autres, et selon la direction imposée aux surfaces, et la force électrique qui tend à les aligner dans une autre direction [III.4]. Le temps de réponse de ce type de cellule est de l’ordre de la dizaine de ms et elle ne présente pas d’effet mémoire (retour des molécules à leur position initiale quand le champ électrique est coupé).

E=0 E

direction d’alignement

E=0 E

direction d’alignement

Figure III.3: Application d’un champ électrique sur une cellule de cristal liquide nématique.

Dans la pratique, ce sont surtout des dispositifs à base de cristaux liquides nématiques twistés (ancrage différent sur les deux surfaces) qui sont utilisés dans les systèmes d'affichage, car ils possèdent une plus forte acceptance angulaire.

1.2.2- Les smectiques

Dans la phase smectique, l’ordre d'orientation de la phase nématique se superpose à un ordre de position: les centres de gravité des molécules sont situés dans des plans parallèles et équidistants. Les molécules sont donc organisées en couches, motif qui se répète dans une direction de l’espace (Figure III.4). Dans le plan des couches, il n’existe aucun ordre de position ce qui engendre le caractère fluide et permet aux couches de glisser les unes sur les autres. On distingue plusieurs familles de mésophases smectiques dont:

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- les smectiques A (grand axe des molécules parallèle à la normale aux couches)

- les smectiques C (grand axe des molécules incliné par rapport à la normale aux couches)

1.2.2.1- Les smectiques A

Dans la phase smectique A, les molécules sont organisées comme représenté sur la Figure III.4, avec leur grand axe selon la direction de la normale aux couches. La distance entre les couches est de l’ordre de la taille des molécules, notée dA, typiquement de l’ordre de 2 à

4 nm. La symétrie de cette phase est D et le milieu est optiquement uniaxe, avec l’axe optique orienté selon le directeur n. Lorsque les molécules sont chirales, la phase est notée A* et présente un effet électro-optique intéressant, appelé effet électroclinique. L’application d’un champ électrique dans le plan des couches a pour effet d’incliner les molécules d’un angle q par rapport à la normale aux couches. L’effet q = f(E) est linéaire et la relaxation est très rapide (~µs). Malheureusement, les valeurs de l’angle q sont faibles (quelques °), ce qui est moins intéressant en termes de modulation, et l’effet n’est sensible qu’avec des champs relativement forts (plusieurs dizaines de V/µm).

n



n



Figure III.4: Organisation des molécules dans la phase smectique A.

1.2.2.2- Les smectiques C

Dans la phase smectique C, le grand axe des molécules est incliné par rapport à la normale aux couches d’un angle q, appelé angle de tilt, qui ne dépend que de la température (Figure III.5).

Cette inclinaison des couches entraine une compression de ces dernières, la distance entre les couches devenant dC = dAcosq. Dans cette phase, le grand axe des molécules est contraint à se déplacer sur un cône, appelé cône smectique, dont le demi-angle est égal à q. La symétrie de cette phase est C2h et le milieu est optiquement considéré comme uniaxe (axe optique selon n).

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θ

n

x

θ

n

x

Figure III.5: Organisation des molécules dans la phase smectique C.

Lorsque les molécules constituant la phase smectique sont chirales (on parle alors de phase smectique C*), leur orientation moyenne varie d’une couche à l’autre selon un enroulement hélicoïdal. Le directeur précesse sur le cône smectique comme représenté sur la Figure III.6. x n



x n



Figure III.6: Organisation des molécules dans la phase smectique C*.

Dans le cas des smectiques C*, le groupe de symétrie devient C2, ce qui permet au milieu, comme nous allons le voir, de posséder une polarisation spontanée, et donc d’être ferroélectrique.

Chapitre III – Les cristaux liquides smectiques ferroélectriques

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