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2 Le récit tragique de Balada triste

2.3 La malédiction

2.3.3 Le crime contre nature

Enfin, citons un dernier point commun entre Balada triste et le genre tragique. La cause de la malédiction divine qui s’abat sur un mortel est souvent un crime « contre nature » qu’il a commis, ou qu’un de ses ancêtres a commis. Les membres de la lignée maudite sont également amenés à commettre ce genre de méfait, des crimes dont la simple évocation paraît intolérable, comme l’inceste, le fait de manger ou tuer ses propres enfants, ou encore de se comparer aux dieux ou de défier les dieux. Il n’y a pas de crime contre nature qui soit explicitement représenté dans Balada triste. En revanche, nous remarquons que l’idée de tuer un enfant est suggérée au moins trois fois : lorsque Sergio raconte l’histoire drôle de l’enfant mort-né, au restaurant ; ensuite, lorsque Sergio, perché sur un éléphant, laisse choir un nouveau-né qu’il tenait dans ses bras ; enfin lorsque Javier menace avec une mitraillette un jeune garçon, dans un bar. Nous pourrions également estimer que le meurtre d’un clown, personnage a priori innocent et bienveillant, au début du film est une forme de crime contre nature. Mais surtout, la notion de crime contre nature plane constamment au-dessus du film, et notamment à travers le désir de transgression qui transparaît à maintes reprises dans l’intention du réalisateur, comme on l’a vu. Dans le film, les images choquantes à l’excès, tant décriées par la critique, transgressent le principe de bienséance33, mais, en contrepartie elles

entretiennent ce climat de crime contre nature, qui, à son tour, contribue à la tragédie développée dans le film.

2.3.4 Conclusion partielle

En somme, nous observons que l’idée de malédiction se déploie dans le film de manière progressive, comme la tragédie qui se dévoile petit à petit ; la malédiction n’apparaît pas au spectateur immédiatement, elle est implicite et presque dissimulée. C’est peut-être pourquoi

33 La bienséance est une autre règle définie par Boileau au sujet de la tragédie, selon laquelle, dans une œuvre dramatique, rien de choquant pour la morale ou la sensibilité du public ne doit figurer.

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certains critiques ont stigmatisé l’aspect outrancier et l’apparente gratuité de toutes ces péripéties. Les réactions des personnages paraissent parfois démesurées par rapport à leurs causes, telle la transformation de Javier. Celui-ci devient en effet un monstre sanguinaire, après avoir été agressé par Sergio. C’est là une réaction excessive pour le spectateur, si l’on admet qu’une majorité des personnes qui sont agressées reprennent le cours de leur vie normalement, après avoir surmonté psychologiquement l’épreuve. Toutefois, à la lumière de la comparaison avec le genre tragique en général, telle que nous venons de l’établir, nous comprenons que les personnages de Balada triste soient pris de fureur et qu’ils se sentent accablés par une malédiction qui répand le chaos autour d’eux, raison pour laquelle ils semblent parfois agir avec tant de véhémence.

2.4 Conclusion

Concluons à présent cette analyse comparative entre le film étudié et le genre tragique.

Balada triste s’identifie de manière assez rigoureuse avec le genre tragique, comme on l’a vu,

depuis sa structure narrative jusqu’à ses détails. Si on l’apprécie comme une tragédie, ce film révèle donc une grande cohérence, malgré la confusion qu’il présente à première vue, mais première vue seulement. Nous avons même constaté que cette confusion participe pleinement à certains procédés propres à la tragédie, ce qui nous permet d’affirmer que le chaos orchestré par le réalisateur renforce le développement de la tragédie. Il convient cependant de nuancer ce bilan. Le réalisateur se livre à un remaniement de certains codes de la tragédie, comme on l’a étudié, par exemple, dans le cas de la règle des trois unités, qui ne sont pas strictement respectées. Il traite donc le genre tragique de la même manière originale et distordue qu’il traite le genre du film d’action, ou du film d’horreur. De plus, la tragédie semble ici se dissimuler derrière un flot d’évènements et de rebondissements, nous la devinons petit à petit et elle n’éclate que dans les derniers instants de l’histoire. C’est donc une tragédie cachée, une tragédie sous-jacente, qu’il nous appartient, à nous spectateurs, de découvrir.

Dans le même ordre d’idées, nous constatons que, comparé à une tragédie antique, le film

Balada triste présente certaines zones d’ombre. Nous ne parvenons pas à savoir, jusqu’ici,

quelle est la nature et quelle est l’origine de la malédiction qui pèse sur les personnages, ou les causes de cette ambiance chaotique qui règne d’un bout à l’autre du film. Il nous faut, pour

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remédier à cette lacune, considérer le rapport qu’entretient la tragédie de ce film avec l’Histoire Espagnole, comme nous pouvons le déduire de l’étude de l’unité de temps et de lieu de Balada triste. L’implication historique du récit est, d’ailleurs, une autre caractéristique du genre tragique34, aspect volontairement écarté jusqu’à présent de notre réflexion, et qui sera

l’objet de la troisième partie de cette étude.

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