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II. Construction d’un récit au service d’une (re)construction de soi

3) La création d’un éthos exemplaire

a) Une « présentation de soi ».

D’après le propos de Ruth Amossy, toute prise de parole, qu’elle soit exclusivement orale, comme l’était celle des orateurs de l’Antiquité, ou bien écrite, à l’image de celle de Simone de Beauvoir dans ses mémoires, rend compte d’une image du locuteur lui-même :

Toute prise de parole implique la construction d’une image de soi. À cet effet, il n’est pas nécessaire que le locuteur trace son portrait, détaille ses qualités ni même qu’il parle explicitement de lui. Son style, ses compétences langagières et encyclopédiques, ses croyances implicites suffisent à donner une représentation de sa personne. Délibérément ou non, le locuteur effectue ainsi dans son discours une présentation de soi237.

Ainsi, après avoir analysé la construction temporelle et narrative des Mémoires d’une

jeune fille rangée, ainsi que le style de l’auteur, il est intéressant de s’interroger sur la portée de

ces choix narratifs. En effet, dans le genre des récits de soi l’auteur dresse un portrait de lui- même, ce qui signifie que, plus que dans n’importe quel autre genre littéraire, l’écrivain cherche

234 BEAUVOIR, Simone de, Mémoires d’une jeune fille rangée, op. cit., p. 157. 235 Id., p. 158.

236 LECARME-TABONE, Éliane, op. cit., p. 158. 237 AMOSSY, Ruth, op. cit., p. 9.

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à se représenter devant ses lecteurs. Ainsi, chaque choix narratif joue un rôle dans la construction de cette image de soi. Avant d’analyser plus en détail l’image que Simone de Beauvoir donne d’elle-même dans son œuvre, il convient de revenir aux origines du terme d’ethos :

Les Anciens désignaient par le terme d’ethos la construction d’une image de soi destinée à garantir le succès de l’entreprise oratoire. Rappelant les composantes de l’ancienne rhétorique, Roland Barthes définit l’ethos comme « les traits de caractère que l’orateur doit montrer à l’auditoire (peu importe sa sincérité) pour faire bonne impression : ce sont ses airs […]. L’orateur énonce une information et en même temps il dit : je suis ceci, je ne suis pas cela ». Il reprend ce faisant Aristote qui affirmait dans sa Rhétorique : « C’est […] au caractère moral que le discours emprunte je dirai sa plus grande force de persuasion » 238.

Ruth Amossy compare ici le point de vue contemporain de Roland Barthes, à celui d’Aristote qui, dans sa Rhétorique, analyse pour la première fois la notion d’ethos, associée à celle du logos et du pathos. Selon Aristote, l’ethos fait donc partie d’un ensemble de trois arguments du discours apportant à l’orateur qui en fait usage une grande force de persuasion. Ainsi, l’ethos se caractérisait à l’origine comme un élément d’argumentation dans le discours. En effet, comme l’explique Anne Herschberg-Pierrot dans Stylistique de la prose239, le travail

de l’orateur comprenait à l’origine cinq parties, ou cinq « phrases » : l’invention ou la recherche des idées ; la disposition ou mise en ordre des idées ; l’élocution, c’est-à-dire le choix des mots et l’ornement du discours ; l’action qui correspond à la prononciation du discours ; et enfin, la mémoire ou l’art de se rappeler, de renvoyer à des topoï, c’est-à-dire à des lieux communs. C’est dans la première étape de ce travail de l’orateur, lors de l’invention, qu’intervient la notion d’ethos. En effet, c’est dans l’invention que l’orateur est à la recherche des arguments qu’il va utiliser pour donner de l’ampleur et de la crédibilité à son discours. On retrouve alors les trois types d’arguments énoncés par Aristote : l’ethos renvoie aux arguments qui résident dans le caractère moral de l’orateur et qui conditionnent sa crédibilité ; le pathos ce sont les arguments relatifs à la disposition des auditeurs, à ce que le discours va éveiller chez eux comme passions ; enfin, le logos c’est le raisonnement en lui-même qui doit, par sa construction, encourager la persuasion. Tant pour Ruth Amossy que pour Anne Herschberg-Pierrot, les lieux communs jouent également un rôle important dans l’exercice de persuasion. Ils sont des « catégories formelles d’arguments, qui servent de preuves intrinsèques au discours240 ». Regardons plus en

détail ce qu’en dit Anne Herschberg-Pierrot :

Les lieux, cases vides au départ, ont eu tendance à se remplir, et à se transformer en arguments types, et en morceaux types, détachables, qui se sont figés chez les auteurs latins […]. Les lieux communs ont fini par constituer, non plus un schéma d’argumentation pour l’orateur, mais une topique rebattue, un ensemble de banalités communes à une société241.

238 AMOSSY, Ruth, op. cit., p. 10.

239 HERSCHBERG-PIERROT, Anne, Stylistique de la prose, Paris, Belin, 1993, p. 200-201. 240 Id., p. 200.

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Ruth Amossy, quant à lui, parle de « stéréotypage » du discours, c’est-à-dire une opération qui consiste à « penser le réel à travers une représentation culturelle préexistante, un schéma collectif figé242 ». Il explique cette idée dans son ouvrage :

L’idée préalable que l’on se fait du locuteur et l’image de soi qu’il construit dans son discours ne peuvent être totalement singulières. Pour être reconnues par l’auditoire, pour paraître légitimes, il faut qu’elles soient en prise sur une doxa, c’est-à-dire qu’elles s’indexent sur des représentations partagées. Il faut qu’elles puissent être rapportées à des modèles culturels prégnants, même s’il s’agit de modèles contestés243.

Ainsi, selon lui, l’orateur adapte sa présentation de lui-même à des schèmes collectifs qu’il croit entérinés par ses auditeurs. Il le fait par ce qu’il dit de sa propre personne mais surtout par les modalités de son énonciation. Selon Ruth Amossy, il appartient alors au récepteur de se former une impression du locuteur en le rattachant à une catégorie connue. Partant de cette idée, regardons le cas de Simone de Beauvoir. Il faut savoir que, au moment où elle publie le premier tome de ses mémoires en 1958, Simone de Beauvoir est déjà un personnage public très connu : elle a notamment reçu le prix Goncourt pour Les Mandarins en 1945 et le Deuxième Sexe est paru en 1949, suscitant de vives polémiques. Ses lecteurs ont alors déjà une certaine image de l’auteur lorsqu’elle décide de publier ses mémoires, ce qui doit alors l’inciter à répondre, dans une certaine mesure, à leur horizon d’attente. Ainsi, dans Mémoires d’une jeune fille rangée, Beauvoir utilise clairement des lieux communs, principalement sur le thème du récit d’enfance. Les lieux communs tels que les lectures d’enfance, les premières expériences scolaires, la vie de famille ou encore les amitiés, sont une façon de toucher le lecteur. En effet, même si Simone de Beauvoir évite le plus possible toute forme de pathos et d’attendrissement, elle renvoie tout de même à des souvenirs d’enfances pouvant évoquer ceux de tout un chacun et provoquant par cela une identification. Elle livre également des représentations, formes de « schémas collectifs figé » pour reprendre les propos de Ruth Amossy, en cela qu’elle donne, par exemple, une image de la classe bourgeoise dans la société du début du XXᵉ siècle :

Je profitais passionnément du privilège de l’enfance pour qui la beauté, le luxe, le bonheur sont des choses qui se mangent […]. Les soirs où mes parents recevaient, les glaces du salon multipliaient les feux d’un lustre de cristal. Maman s’asseyait devant le piano à queue, une dame vêtue de tulle jouait du violon et un cousin du violoncelle. Je faisais craquer entre mes dents la carapace d’un fruit déguisé, une bulle de lumière éclatait contre mon palais avec un goût de cassis ou d’ananas : je possédais toutes les couleurs et toutes les flammes, les écharpes de gaze, les diamants, les dentelles ; je possédais toute la fête244.

Dans ce passage, Simone de Beauvoir profite d’une description de sa personnalité d’enfant, pour qui l’action de se nourrir était perçue comme un réel enrichissement, pour faire également une représentation du contexte social dans lequel elle a grandi. Autour de la métaphore alimentaire, elle évoque alors « la beauté » et « le luxe » qui l’entouraient, ainsi que « les écharpes de gaze », « les diamants » et « les dentelles ». Elle décrit également sa maison dans laquelle se trouvent de grandes « glaces », un « lustre de cristal », un « piano à queue » ; tant d’éléments qui donnent une image de la bourgeoisie de l’époque. Simone de Beauvoir commence donc par présenter un ethos construit dans un contexte social bien défini, ce qui lui

242 AMOSSY, Ruth, op. cit., p. 135. 243 AMOSSY, Ruth, op. cit., p. 134-135.

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permet de renvoyer à des représentations collectives et donc d’ancrer un peu plus son propos dans la réalité, de le rendre plus « persuasif ». Mais, au-delà de l’utilisation de lieux communs, comment Simone de Beauvoir se représente-t-elle elle-même ?

Comme nous l’avons vu précédemment avec l’étude de la temporalité, le premier tome des mémoires suit un ordre très logique. Dans une même démarche, Simone de Beauvoir construit également sa propre image de façon très ordonnée. Dès le début des Mémoires d’une

jeune fille rangée, l’auteur se présente comme une petite fille soucieuse de son image et

attentive à plaire aux autres245. Elle semble donc avoir toujours porté de l’importance à l’image donnée d’elle-même. Dans les premières pages de ses mémoires, Simone de Beauvoir commence par mettre en place la représentation du « dressage » de la petite fille qu’elle était : elle montre, tout d’abord, la constitution de son image de « jeune fille rangée » – venant justifier le choix du titre de son ouvrage –, en insistant sur l’éducation et les valeurs qui lui sont inculquées. On comprend alors assez vite que cette éducation très traditionnaliste est basée sur la transmission de mythes et d’informations erronées qui altèrent la vérité du monde et cherchent à maintenir la jeune fille dans l’ignorance :

Prompte à m’esquiver dès que ma sécurité me semblait menacée, je m’appesantissais volontiers sur les problèmes où je ne pressentais pas de danger. Celui de la naissance m’inquiétait peu. On me raconta d’abord que les parents achetaient leurs enfants ; ce monde était si vaste et rempli de tant de merveilles inconnues qu’il pouvait bien s’y trouver un entrepôt de bébés […]. Ce qui m’intriguait c’est le souci qu’avaient mes parents de me dérober certaines de leurs conversations : à mon approche, ils baissaient la voix ou se taisaient. Il y avait donc des choses que j’aurais pu comprendre et que je ne devais pas savoir : lesquelles246 ?

Toutefois, Simone de Beauvoir ne cache pas ses résistances à cette éducation puisqu’elle est très souvent en proie à de violentes crises. Or, ces « crises furieuses247 » seront progressivement éliminées par les éducateurs ou par elle-même qui, notamment en raison du début de la guerre, cherchera à tout prix à avoir l’image de l’ « enfant sage » :

Je m’étais définitivement métamorphosée en enfant sage. Les premiers temps, j’avais composé mon personnage ; il m’avait valu tant de louanges, et dont j’avais tiré de si grandes satisfactions que j’avais fini par m’identifier à lui : il devint ma seule vérité. J’avais le sang moins vif qu’autrefois ; la croissance, une rougeole m’avaient anémiée : je prenais des bains de soufre, des fortifiants ; je ne gênais plus les adultes par ma turbulence ; d’autre part mes goûts s’accordaient avec la vie que je menais, si bien qu’on me contrariait peu […]. Je m’étais convaincue que mes parents ne cherchaient que mon bien. Et puis c’était la volonté de Dieu qui s’exprimait par leur bouche : il m’avait créée, il était mort pour moi, il avait droit à une absolue soumission. Je sentais sur mes épaules le joug rassurant de la nécessité. Ainsi abdiquai-je l’indépendance que ma petite

245 BEAUVOIR, Simone de, Mémoires d’une jeune fille rangée, op. cit., p. 15 : « Le matin, Louise enroulait mes cheveux autour d’un bâton et je regardai avec satisfaction dans la glace mon visage encadré d’anglaises […]. Je me plaisais et je cherchais à plaire. »

246 Id., p. 29. 247 Id., p. 19.

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enfance avait tenté de sauvegarder. Pendant plusieurs années, je me fis le docile reflet de mes parents248.

Ce passage est très révélateur de l’importance de l’image de soi, présente chez l’auteur durant toute son enfance. Le thème même de la « représentation de soi » est très présent : elle dit avoir « composé (s)on personnage » et se décrit comme un parfait « reflet » de ses parents. Simone de Beauvoir, qui jusqu’alors présentait certaines révoltes et un refus des contraintes249,

parle pour la première fois d’une « absolue soumission », justifiée notamment par une profonde foi en Dieu. Elle devient alors une petite fille modèle et très sage, au point de ne plus oser penser par elle-même250. Par cette image de jeune fille obéissante, Simone de Beauvoir vient, en quelque sorte, contredire l’horizon d’attente des lecteurs : elle n’est pas encore cette femme qui, venant de publier le Deuxième Sexe, montre publiquement son refus des conventions et encourage toutes les formes d’indépendance et de liberté. Au contraire, dans son enfance, Simone de Beauvoir reconnaît avoir un grand besoin d’être « prise dans des cadres251 » dont la rigueur venait justifier son existence. Sans cela, elle ne savait plus comment se situer dans le monde. Or, même si, dans son plus jeune âge, Simone de Beauvoir a montré une totale soumission à ses parents et une acceptation de son éducation bourgeoise, elle exprime également peu à peu des interrogations et des doutes, qui sont des formes d’ouvertures vers la vérité : elle commence à être sceptique au sujet de l’existence de Dieu252, ou encore, elle

s’aperçoit que son image de jeune fille rangée très sûre d’elle ne semble finalement n’être qu’un faux-semblant253. Il apparaît alors une dichotomie dans tout le début de l’œuvre entre une image de petite fille à la fois rangée et révoltée, une « alternance de fusion tranquille et de rejet violent254 », qui a pour effet de venir insister sur les hésitations de Simone. En effet, l’image de soumission de la petite fille est à plusieurs reprises contrebalancée par de l’arrogance, notamment par une impression de supériorité, comme c’est le cas dans ce passage :

Pour de vrai, je ne me soumettais à personne : j’étais, et je demeurais toujours mon propre maître. J’avais même tendance à me considérer, du moins au niveau de l’enfance, comme l’Unique. D’humeur sociable, je fréquentais avec plaisir certaines de mes camarades. Nous faisions des parties de nain jaune ou de loto, nous échangions des livres. Mais dans l’ensemble, je n’avais guère d’estime pour aucun de mes petits amis, garçons ou filles […]. Butées dans nos préférences, nos manies, nos principes et nos valeurs, nous nous entendions, ma sœur et moi, pour reprocher aux autres enfants leur bêtise255.

Au sujet de la vanité de la jeune fille, Éliane Lecarme-Tabone s’exprime ainsi :

248 Id., p. 44.

249 BEAUVOIR, Simone de, Mémoires d’une jeune fille rangée, op. cit., p. 20 : « Je refusais de céder à cette force impalpable : les mots ; ce qui me révoltait c’est qu’une phrase négligemment lancée : "Il faut… il ne faut pas", ruinât en un instant mes entreprises et mes joies. »

250 Id., p. 57 : « J’appris de maman à m’effacer, à contrôler mon langage, à censurer mes désirs et à faire exactement ce qui devait être dit et fait. Je ne revendiquai rien et j’osais peu de chose. »

251 Id., p. 83.

252 Id., p. 55 : « Ce scepticisme ne m’atteignait pas, tant je me sentais investie par la présence de Dieu ; pourtant mon père ne se trompait jamais : comment m’expliquer qu’il s’aveuglât sur la plus évidente des vérités ? » 253 Id., p. 82-83 : « L’image que je retrouve de moi aux environs de l’âge de raison est celle d’une petite fille rangée, heureuse et passablement arrogante. Deux ou trois souvenirs démentent ce portrait et me font supposer qu’il eût suffi de peu de choses pour ébranler mon assurance. »

254 SALLENAVE, Danièle, op. cit., p. 42.

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La « suffisance » dont la fillette fait preuve représente aussi une forme de sagesse fondée sur le refus stérile du ressentiment ou de la frustration, sentiments négatifs peu propices au progrès. Susceptible, certes, de basculer dans la vanité sociale ou dans l’erreur d’analyse, ce « parti pris d’optimisme » n’en demeure pas moins une attitude de vie féconde où se conjuguent les préceptes de la sagesse populaire (« faire de nécessité vertu ») et les injonctions de la morale existentialiste pour qui la liberté se construit à partir d’une situation donnée256.

Ainsi, par cette double image dont Simone de Beauvoir rend compte dans les Mémoires

d’une jeune fille rangée, le lecteur assiste aux premières caractéristiques d’une identité. Selon

Éliane Lecarme-Tabone, cette personnalité construite entre bonheur paisible et rages furieuses ou interrogations, permettra à l’adulte que deviendra Simone de Beauvoir de puiser sa force et sa capacité d’action. On se rend compte en effet qu’au fil des pages, et cela dès la deuxième partie de l’œuvre, Simone de Beauvoir commence à prendre des distances par rapport à son éducation et à son milieu familial. Jeune fille encore quelque peu rangée et obéissante257, Simone de Beauvoir commence tout de même à montrer des révoltes un peu plus fréquentes et une conduite beaucoup moins sage :

Ma sœur, poussée à bout, avait décidé de devenir franchement insupportable. Avec une amie qu’elle s’était choisie elle-même, Anne-Marie Gendron, elle fonda L’Écho du cours Désir ; Zaza lui prêta de la pâte à polycopier et de temps en temps, je collaborai ; nous rédigions de sanglants pamphlets. On ne nous donnait plus de notes de conduite, mais ces demoiselles nous sermonnaient et se plaignaient à ma mère. Elle s’inquiétait un peu ; mais comme mon père riait avec nous, elle passait outre. Jamais l’idée ne m’effleura d’attacher une signification morale à ces incartades : ces demoiselles ne détenaient plus les clés du bien et du mal du moment où j’avais découvert qu’elles étaient bêtes258.

La jeune fille commence ainsi à développer son esprit critique et son refus des conventions, puisqu’elle refuse de se soumettre à la bêtise de son enseignement. Ces changements sont aussi marqués dans cette partie par un moment important de l’œuvre : celui où Simone perd la foi259. De ce changement en découle un autre, puisqu’il est, dans une certaine mesure, la cause de l’éloignement progressif de Simone avec ses parents, notamment avec sa mère :

Je m’avouai pour la première fois combien les cris, les récriminations, les réprimandes qu’à l’ordinaire j’encaissais en silence m’étaient pénibles à supporter ; toutes les larmes que pendant des mois j’avais refoulées me suffoquaient. Je ne sais si ma mère devinait qu’intérieurement je commençais à lui échapper ; mais je l’irritais, et elle s’emportait souvent contre moi260.

Ainsi, c’est l’image d’une Simone plus indépendante qui se profile au fil des pages de l’œuvre et qui trouvera son aboutissement dans les deux dernières parties. En effet, dans la troisième partie, la jeune fille commence à montrer des avancées vers la liberté, même si elles

256 LECARME-TABONE, Éliane, op. cit., p. 62.

257 BEAUVOIR, Simone de, Mémoires d’une jeune fille rangée, op. cit., p. 168 : « À Paris, je retombais sous la coupe des adultes. Je continuais à accepter sans la critiquer leur version du monde […]. Jamais on ne me laissa entendre, fût-ce de loin, fût-ce en sourdine, un autre son de cloche. »

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