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CPE et idéal d’activité

ANALYSE ET DISCUSSION

2. LE TEMPS « EMPLOYÉ » : ANALYSE DE L’ACTIVITÉ

2.1. CPE et idéal d’activité

Quand on leur demande à quoi ils souhaiteraient idéalement occuper le temps dont ils disposent, les CPE décrivent exclusivement des moments consacrés aux élèves : « Je suis là

pour les élèves. », « Alors, la priorité…la priorité déjà, c’est les élèves. ». Tous les moments

vécus en leur compagnie, même douloureux, sont « acceptés ». Le temps des CPE est avant toute chose destiné à être utilisé pour et par élèves. Pour les désigner, les CPE utilisent des termes qui ne restreignent pas les élèves à ce statut. Il est davantage question dans les propos de « gosses », de « gamins » ou encore d’« ados », termes qui suggèrent une appréhension plus globale et affective. Les CPE sont préoccupés par le « bien-être » des élèves qu’ils posent en préambule à toute possibilité d’apprentissage : « Ma vision idéale, ça serait de faire

en sorte que les élèves, ils se sentent bien au lycée. ». Cette volonté d’une contribution à la

construction d’un environnement de travail apaisé est récurrente, quel que soit le type d’établissement d’exercice : « Voilà, cocooner les élèves et qu’ils soient bien ! ». De ce fait, le discours est en concordance parfaite avec la formulation « historique », d’abord inscrite dans la circulaire de 82 puis reprise mot pour mot dans celle de 2015. Les CPE se considèrent bien là afin de « placer les adolescents dans les meilleures conditions de vie individuelle et collective, de réussite scolaire et d'épanouissement personnel ».

L’état d’esprit qui anime les CPE rejoint le prescrit. Nous pouvons presque affirmer que les CPE sont marqués au fer blanc par cette formulation. Mais, chose surprenante, peu de CPE connaissent avec précision le contenu global de la circulaire de 2015. Le discours oscille entre un désintérêt total, « À vrai dire, j’ai pas vraiment mis le nez dedans », « je la connais pas, je

suis incapable de t’en parler », et une connaissance très parcellaire : « pas dans le détail non. Je me souviens qu’on l’avait bossée un peu mais je dois te dire que j’ai pas révisé ». Le texte

n’influence « absolument pas » une activité qui se construit principalement dans l’action, « le

job, c’est celui qu’on en fait. ». Les CPE se sentent libres d’orienter leur activité à leur guise, « c’est toi qui crée ton truc…on a une super autonomie quand même ».

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Ils mettent également en avant l’influence du contexte d’exercice : « Il y a une déclinaison

très différente d’un établissement à l’autre mais oui oui elle est bien. Moi j’aime bien le côté concepteur de son métier, conseiller technique du chef d’établissement, j’’aime bien cette idée-là. ». L’application de la circulaire est également envisagée avec un décalage dans le

temps en lien avec les réticences quant à la possibilité de son application : « Quand on lit la

circulaire, elle met en avant des choses qui n’existent pas ou qui existent chez une minorité de personnes et elle ne correspond pas à ma pratique aujourd’hui complètement. Mais elle correspond à une idée de ce que j’aimerais pouvoir faire dans les années à venir et être dans les années à venir ? ». La méconnaissance globale du texte peut surprendre et les

commentaires qui en sont faits témoignent de son côté précurseur. L’activité a un temps de retard sur le texte qui représente un objectif à atteindre.

Mais revenons, plus en détails, sur les temps que les CPE aiment vivre dans leurs pratiques. L’évocation de ces moments a toujours suscité chez nos interlocuteurs des manifestations de bien-être et de satisfaction. Les qualificatifs, « positifs », « sympathiques », utilisés pour préciser ces temps, vont de pair avec l’expression d’un grand plaisir à les vivre. Les CPE racontent des séquences qui les mettent en situation de « transmettre » ou « d’apporter

quelque chose » aux élèves. Les demandes d’explicitation amèneront à plusieurs reprises des

expressions en lien avec des apports d’ordre éducatif. Il sera question de « transmission

d’éducation » qui, dans des temps d’écoute individuelle ou d’échanges collectifs avec les

élèves, correspondent à la volonté affirmée des CPE d’incarner une image d’éducateur : « on

est des éducateurs avant tout ! » .

Les effets de ces « temps d’éducation » sont rarement perceptibles à court terme. La satisfaction du travail bien fait est, dans la plupart des cas, décalée dans le temps : « c’est

super ! Je la [une élève] connais depuis l’année dernière et ça s’est débloqué avant les vacances de la Toussaint. Il a fallu du temps ! ». Dans des horizons encore plus lointains, le

passage d’anciens élèves qui viennent donner de leurs « bonnes » nouvelles en louant l’impact de l’action des CPE sur leur parcours participe à la reconnaissance de l’utilité de ces temps d’éducation: « Il y a même un môme qui m’a dit : « Mme X, vous serez ma tutrice pour la vie.

Tu vois ce que je veux dire, c’est des trucs…Voilà…[au bord des larmes]. C’est ça qui donne sens à ta présence ».

Quelles que soient leurs formes, ces temps se caractérisent par la nécessité de « se poser » pour réfléchir à leur conception, les préparer ou les vivre sereinement dans les meilleures

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conditions possibles. En cela, ils intègrent bien à l’idée du CPE « concepteur de son activité », notion prescrite par la circulaire de 2015. Les CPE peuvent alors être étiquetés « gens de projets », dans une vision à long terme de leurs actions. Ces temporalités éducatives, pendant lesquelles les CPE adoptent des postures et des gestes professionnels en phase avec les valeurs qui les animent et le sens qu’ils souhaitent donner à leur activité, sont vécues avec un grand plaisir.

Mais, dans le discours, l’emploi du conditionnel apparait quand il s’agit de trouver ou de s’accorder ces « temps de pose » que les CPE appellent de leurs vœux. Ils nous décrivent un temps « rempli » qui se caractérise par tout autre chose. C’est dans cette direction que nous allons maintenant nous orienter.