• Aucun résultat trouvé

Pour l’heure, j’ai travaillé dans la perspective de coupler réseaux écologiques (réseaux trophiques) et réseaux sociaux. A partir des études de cas de plusieurs socio-écosystèmes, l’objectif est de mettre en évidence la nature et le poids des relations (de pouvoir) entre les acteurs, humains et non humains, dans le processus de décision en matière de gestion environnementale. Cela doit nous permettre d’identifier et de mesurer le poids respectif des référentiels et arguments scientifiques, écologiques et sociaux (symboliques et socio-économiques). Plutôt que de considérer les acteurs comme les seuls protagonistes de la gouvernance, nous reconnaissons que les composantes écologiques y participent également, en tant qu’acteurs non humains (Callon, 1986 ; Latour, 1996) capables d’influencer ou d’orienter le processus décisionnel (espèces, dont les animaux et les plantes marines ainsi que les habitats). Quel est notamment le poids des compartiments écologiques dans la prise de décision ? Que cela nous dit-il de la prise en compte du paradigme de soutenabilité et des positionnements des acteurs en fonction de leurs positions sociales, de leurs intérêts, de leurs valeurs ? En couplant les données entre acteurs humains et non humains, notre objectif est de mettre en évidence qui (acteur humain) valorise quoi (non-humain) et comment les composants écologiques influencent le processus de prise de décision, tout en essayant de quantifier les relations de pouvoir autour de cette décision – processus de fabrication. Cela implique d’agréger des données hétérogènes (issues de composantes sociales et écologiques), sans hiérarchie ni ordre de priorité, a priori, entre nature et culture (Callon, 1985 & 1986). L’outil réseau peut nous y aider (Janssen et al., 2006), en tant que cristallisateur

d’interdisciplinarité, tant il fonctionne à la fois comme cadre analytique et méthodologique qui permet de dépasser les frontières entre les domaines écologiques et sociologiques.

De là, j’ai travaillé les années passées et je poursuivrai mes travaux dans les années à venir, sur la modélisation des systèmes complexes ou socio-écosystèmes, comme possible outil d’aide à la décision, dans une dimension transformative. J’ai notamment travaillé sur l’analyse des réseaux trophiques (ENA, Ecological Network

Analyses) avec N. Niquil (Niquil et al., 2020 ; Raoux et al., 2018). Avec des

biologistes marins, nous avons mobilisé l’analyse de réseaux bayésiens (Bayesian

Belief Networks), une approche qui permet de prendre en compte les effets de

cascade sur le réseau trophique (Anthony & al. 2013). Dans mon parcours de recherche, la collaboration avec les mathématiciens et les sociologues des réseaux a eu pour objectif de retrouver les bases communes des indices utilisés dans ces deux domaines, de proposer une utilisation croisée des indices qui ne sont pas communs afin d’offrir de nouveaux angles pour la caractérisation du fonctionnement du socio-écosystème, et d’explorer toute voie possible pour évaluer la trajectoire du système en regard du paradigme de soutenabilité. Étant donné que la structure et le fonctionnement d’un réseau trophique changent en réponse aux stress naturels et anthropiques, l’ENA fournit des résultats pour évaluer le développement et la résilience du système. Principalement appliquée à l’étude des réseaux trophiques, l’ENA utilise des métriques pour l’évaluation et la gestion du réseau trophique (Niquil et al., 2012 ; Safi et al., 2019). Plutôt que des solutions et des approches historiques fragmentées pour comprendre les fonctions et les changements des écosystèmes, l’ENA applique des critères holistiques basés sur les fonctions et un large éventail d’indicateurs qui structurent, dans le temps et l’espace, les propriétés de base des interactions avec les écosystèmes et réseaux.

En parallèle, j’ai mobilisé l’analyse sociologique de réseaux telle que nous la pratiquons en sciences sociales, un paradigme méthodologique et conceptuel majeur pour comprendre, quantifier et modéliser le comportement et les relations sociales des acteurs et des organisations sociales. La sociologie des réseaux mesure les relations entre les acteurs sociaux et les positions sociales à différentes échelles d’un grand système, soit au macro-niveau pour décrire la structure globale du système social (Granovetter, 1985) ou au micro-niveau en se concentrant sur la modélisation des relations en face à face, sur leurs caractéristiques, leurs attributs, leurs valeurs et les réseaux centrés sur l’ego. En plus du développement de nouvelles méthodes pour étudier les réseaux sociaux, les résultats théoriques de ce type d’analyses permet d’incorporer des idées de réseaux sociaux dans la théorie de l’action. D’où les notions de capital social, de dépendance au pouvoir, de dépendance aux ressources et d’autonomie structurelle.

Les approches par le réseau sont ainsi notamment utilisées dans les recherches sur la sociologie de l’action organisée qui se concentre sur l’analyse des comportements des structures sociales, les mécanismes de régulation du comportement des acteurs et divers autres mécanismes sociaux qui influencent la définition des règles d’interactions entre les acteurs et avec le système social (Crozier & Friedberg, 1977). La modélisation et la simulation sont utilisées pour donner une autre forme de

matérialité à l’analyse qualitative, car le fonctionnement du modèle est en mesure de confirmer (ou non) les résultats issus de l’utilisation de la recherche sur les méthodes qualitatives. La sociologie de l’action organisée a ainsi construit des modèles sur sa théorie organisationnelle qui montrent comment un système atteint un état régulé et stabilisé et a exploré les potentialités de ce système : comment mieux le réguler en changeant des indicateurs/paramètres spécifiques dans le modèle initial. Elle peut ainsi utilement contribuer à la compréhension et au pilotage des socio-écosystèmes. La sociologie de l’Action organisée considère les structures sociales comme figées, tandis que l’approche sociologique, par les systèmes sociaux, est plus dynamique et mieux adaptée pour saisir la réalité sociale, tant les institutions et organisations sont le produit d’interactions (1) qui ne sont pas définitivement stabilisées et (2) qui se produisent entre de nombreux domaines de réseaux impliquant des acteurs humains et non humains (Callon, 1986 ; Latour, 1987 [2005]). Ces deux hypothèses sont développées par la théorie de l’acteur-réeau (Actor-Network Theory, Latour, 2005 & 1991 ; Callon, 1985) qui invite à réfléchir sur le rôle des objets (les acteurs non humains) dans la transformation du système social, mécanismes par lesquels les acteurs et les groupes sociaux se transforment en exploitant ou en utilisant en même temps des objets écologiques. L’ANT examine également de nouvelles médiations et de nouvelles formes d’interactions entre la société et l’environnement, montrant ainsi un parallèle à faire entre les réponses socio-institutionnelles à un changement environnemental et la réaction environnementale à un changement des contextes socio-institutionnel et socio-politique. Comme ils contribuent à l’organisation structurelle des relations socio-écologiques, les acteurs non humains sont considérés comme porteurs d’un fort contenu socio-politique (Akrich, 1987). Cela explique pourquoi nous considérons les deux gammes d’acteurs humains et non humains au même niveau dans notre analyse des réseaux socio-écologiques, mais à laquelle nous ajoutons la dimension forte du pouvoir.

Les indices caractérisant le fonctionnement des réseaux écologiques (ENA =

Ecological Network Analysis) et sociologiques (SNA = Social Network Analysis) ont

pour point commun de reposer sur des outils numériques similaires (théorie de graphes, économétrie). Cela permet de reproduire des réseaux écologiques et sociaux répondant aux mêmes caractéristiques (p. ex. le recyclage en ENA et la densité des liens entre acteurs en SNA) et de mesurer la centralité d’un acteur dans le réseau (p. ex. la notion d’effet clé de coûte (keystoneness) en ENA et centralité en SNA). À partir de là, je me dois de noter que ces approches connaissent certaines limites pour modéliser et comprendre dans leur ensemble les socio-écosystèmes. Notamment, elles ne prennent pas en compte les possibles boucles de rétroaction qui ont lieu entre les différents composants du système, elles ne sont pas explicites dans le temps et l’espace et certaines fournissent une évaluation qualitative (non quantitative) de l’état du système et de ses composants. Dès lors, je souhaite désormais aller vers une modélisation quantitative et spatiale en système dynamique

Documents relatifs