• Aucun résultat trouvé

commencer mon journal intime oral. Je ne peux pas écrire, je suis un végétal, mais j’ai une excellente mémoire.

Des jambes, des mains, nous scrutent. Ils attendent. Je sens, je sais que je ne suis pas là pour rien, mon destin est tout tracé. Même si je le souhaite, je ne pourrai pas empêcher le coton d’éclore à son tour.

stresse, on va me déloger d’ici.

J’entame la courbe descendante.

J’aimerais que le processus soit plus lent.

Jouissance de la terre!

Quatrième jour

Je suis en train de me faner, tu me succèderas, je ne peux rien y faire. Bientôt,

Cinquième jour

Ça palpe, ça palpe. En fait, je ne m’appartiens pas, je suis leur propriété, nous sommes leur propriété. Je sens à leur toucher, que le moment approche. Que faire ? Que faire pour échapper à ça ?

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37

Sixième jour

J’ai vu, au-dessus de ma corolle, une étendue noire que je n’ai jamais vue auparavant.

ce noir profond qui nous enveloppe, qui nous dissimule les uns aux autres. Je les sens, je les sens autour de moi, je sais que je ne suis pas seule. Mais ne pas les voir, je me sens unique. Je suis !

Septième jour

me cajole par ses rayons.

Je suis complètement fanée.

Je m’extirpe, coton, je prends le relais de ce journal.

La terre tremble. La terre rumine. Non ! La terre tremble, mais ce n’est pas elle qui rumine. Non ! Ce n’est pas elle qui tremble, ce n’est pas elle qui gronde. Non.

Pourtant, il y a quelque chose.

Non ! Non ! Non !... Il nous avale ! Il nous avale ! Ce n’est pas possible ! Tout ça pour ça ! Ce n’est pas possible ! Pourquoi ? Pourquoi ?

Douzième jour

J’ai été bringuebalé dans tous les sens, pas du tout le temps de travailler sur ce journal intime qui m’a été transmis. Je vais continuer à raconter mon histoire, notre

ma couleur d’origine. C’est étrange, je suis aligné avec d’autres, et avec une autre rien demandé, je vais devoir continuer avec lui, il est plus foncé que moi (même si la différence n’est pas énorme, elle est là !), moins soyeux. Je deviens tissu.

Mais pourquoi cette cohabitation? Pourquoi ce mélange? Nous n’avons rien à faire ensemble ! Qu’est-ce que ça m’apporte à moi, coton ? A quoi ça me sert d’avoir échappé à la coloration ?

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37

Treizième jour

contre le lin, mais il vient d’ailleurs. Moi, je lui apporte le soyeux, mais lui, qu’est-ce qu’il m’apporte ? Un peu de couleur, la belle affaire, je préférais la mienne, je n’ai pas demandé à être mélangé. Ce n’est pas un choix libre et délibéré, je ne me suis d’ailleurs, il n’aime pas être avec moi. Mais comme il le dit : sa couleur prédomine, on ne peut l’ignorer. Combien de temps vit un tissu ? Et un tissu comme le mien, vit-il plus longtemps ? Suis-je plus fort, plus solide, plus résistant? Je me demande

Quatorzième jour

Je suis enseveli sous d’autres tissus, je ne vois plus la lumière. Le lin me renforce, il est plus résistant que moi. La douceur et la résistance, voilà ce que nous sommes, présente également. Nous ne sommes pas si différents que ça. Mais ça m’embête, je ne sommes pas mélangés, nous vivons côte à côte. De l’extérieur, on a l’air d’être un essayer de me défaire. Est-ce possible ?

Quinzième jour

J’ai essayé de dialoguer avec un de mes semblables, mais des deux côtés, il y a Je ne suis pas un tissu pur. Je suis plus exotique. Tu parles ! Je suis un original, un décalé, un différent. Je ne suis pas comme les autres. Finalement, je suis content

tous ! Vous entendez ! Lui aussi, il souffre, le lin ! Comme moi ! Seizième jour

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37

de plus cruel en nous, mais également notre sens de l’affabilité, nous ne sommes plus

Dix-septième jour

Dix-huitième jour

Aujourd’hui, la coexistence s’est bien passée, je me suis senti bien. Donc c’est possible, mais est-ce viable ? Aujourd’hui, oui ! Demain ? Je ne suis pas en colère aujourd’hui, non. Je n’en veux pas à ceux qui m’ont fait ça.

Mais, me vient une idée. On pourrait peut-être essayer de se rassembler, de sauter chacun d’entre nous. C’est idiot, ce tissu n’aurait plus lieu d’être !

Dix-neuvième jour

Il fait froid, je pense que j’ai atteint ma destination. Mais j’ai l’impression que je

Vingtième jour

Je ne suis pas bien aujourd’hui, la boule jaune me manque, la plaine me manque. Le lin me pèse. Aujourd’hui, je ne l’aime pas. Je le déteste ! Je ne m’aime pas avec lui!

Je sens le même sentiment à mon égard, il fait froid à l’extérieur, mais entre nous, ça bouillonne, ça s’électrise, ça fait mal. Choc, identitaire, d’essence, de coloris ! C’est une bataille continuelle. D’autant plus que sa couleur domine, on ne voit que lui, comme si je n’étais que lin. Je le déteste ! Je ne suis pas que lin. Je suis lin ET coton !

chaleur, de la terre, de ma liberté. J’aurais été coton, juste coton. Au lieu de ça, j’ai

Vingt et unième jour

J’ai rêvé, et oui je rêve aussi, que je m’échappais. Je rampais, telle une chenille,

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37

me suis senti nu, je me suis senti dépouillé d’une partie de moi. Je ne comprenais pas, plus je m’extirpais, plus j’expirais. Comme s’il ne m’était plus possible de me séparer du lin. Rêve ou cauchemar ? Donc, je ne devais plus penser en terme de

« moi », mais en terme de « nous », ou plutôt, je suis devenu mon descendant, ma progéniture. Je ne suis plus coton, je suis tissu. Mais, j’aurais pu être tissu de coton, ça existe, je le sais. C’est donc le tissu qui poursuit ce journal intime. Je suis donc, bicolore, biparti, biculturel...

Vingt-deuxième jour

Je n’ai pas un héritage facile à porter. Je sens en moi l’appel du retour aux sources, bien. Je préfère rester sourd à ces appels. Mais ils sont là, latents, ils se rappellent à mon souvenir dès qu’ils le peuvent. Je les nie, je les ignore, mais ils me dévorent. Ils ont été arrachés de leur terre, mais sans ça, je ne serais pas là bon sang ! De tissu, je suis devenu vêtement. Je pense que ma transformation est terminée.

Vingt-troisième jour

J’ai encore beaucoup voyagé. Je me retrouve dans un lieu bruyant avec une lumière étrange, elle n’est pas naturelle, j’en suis persuadé. On me touche, on m’essaye, on me jette, on me plie, on me rejette, on me replie, etc. C’est mon quotidien. Pour l’instant mon sort n’est pas enviable, alors je pense au coton et au lin. Ils se font discrets. Abdication ? Je ne pense pas. C’était quoi leur vie ? C’était quoi être un végétal ? C’était quoi, sauvage ? C’était quoi de vivre avec ses congénères ?

Vêtement ? J’aime bien qu’on m’essaye, c’est chaud, c’est doux, ça sent bon, mais pas toujours. Oh non, pas toujours ! Bon sang, si je pouvais m’extirper, je le ferais, oh oui ! Je couvre le haut de ces... Je crois qu’on les appelle : homme et femme. Je ne sais pas qui est qui. Je suis tout contre eux, il y a deux monticules à l’avant, c’est agréable ! Ah ! Je ne suis pas remis à ma place. On m’emporte ! Ultime voyage ?

Vingt-quatrième jour

Ils se font discrets ! Alors je pense à eux. Oui. Je ne dois pas oublier ce que je suis, je ne devrais pas les nier. Me nier. Je croyais être un simple vêtement, fait à partir de

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37

deux matières, et que l’important, c’était moi, le vêtement. Mais l’important, c’est nous, ce sont nos histoires, ce sont nos parcours. J’existe parce que quelque part il y a eu vie. Quelque part il y a eu pousse. Quelque part il y a eu transformation. Est-ce que la personne qui me porte m’emmènera un jour là-bas, dans ces terres que je ne connais pas ? Cette chaleur qui ne ressemble pas à celle d’ici ? Ces parfums qui sont apparemment différents ? Et le cas échéant, comment saurais-je que je suis chez moi, que je suis aussi chez moi ?

Trentième jour

Régulièrement, je me retrouve dans une machine qui se remplit d’eau et de mousse, et qui tourne, tourne, tourne. A peine séché, je me retrouve sur la personne. Je pense être son vêtement préféré. C’est sympa, mais j’aimerais qu’elle m’apprécie moins.

certain des jours. Ce n’est pas grave, on fait comme si.

Trente et unième jour

Ils se sont rappelés à mon souvenir, le coton et le lin. Que faire ? Je n’en peux plus de cette bataille continuelle, qui me semble loin de moi, mais qui se déroule en moi.

Comme si des étrangers étaient en moi, des squatteurs. Mais des squatteurs qui n’ont pas choisi leur squat, ni leurs camarades. Mais, je ne me sens pas imposteur, je n’ai pas l’impression d’être illégitime. Tout s’est fait naturellement. Alors, quoi ? Qu’est-ce que je suis au fond ? Qu’est-Qu’est-ce que je suis ? Il y a Qu’est-ce que je parais être, Qu’est-ce qu’on voit dans ce tissu. Mais, je ne me reconnais pas dans cette image. Je ne me reconnais pas dans le lin, je ne me reconnais pas dans le coton. Je suis un peu lin, un peu coton.

Devrais-je les remercier pour ce legs ou leur en vouloir ? Je pourrais aussi être en colère, être en colère contre eux. Ce n’est pas le cas, j’aime ce que je suis. Comme le devrais être plus à l’écoute de moi. Être lin, coton et tissu. Voilà mes identités, mon tout ce que je suis. Vous savez comment on nous appelle, le tissu de lin et coton ?

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37

ligne 10 Collectif de la ligne 10

Michel Wolff

Documents relatifs