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La correspondance en langue dialectale des Agréables Conférences de deux paysans de Saint-Ouen et de Montmorency sur les affaires du temps comporte des expressions proches

des MOD mais qui n‟en sont pas pour autant. Cette œuvre qui aurait pu nous éclairer sur

l‟origine orale ou non des modalisateurs nous laisse à nos interrogations. « Le changement

linguistique est le résultat indirect des interactions langagières des hommes », explique

Marchello-Nizia après avoir rappellé la théorie de Saussure, selon laquelle tout changement

linguistique se fait d‟abord dans la sphère de la parole (Marchello-Nizia,.29-30). Certes, mais

les MOD auxquels nous prêtons attention se rapprochent de certaines formules latines comme

« non negabo », utilisée par Virgile et traduite par « je dirai franchement que… » dans le

dictionnaire Quicherat et Chatelain (1915). Il ne s‟agit pas encore d‟une construction détachée

mais elle a en commun avec les MOD la portée énonciative. Les mêmes auteurs recensent

chez Cicéron « revera », « vere » pour « à proprement parler » et « ut verum loquar» pour « à

parler franchement ». Les MOD n‟apparaissent pas littéralement en latin. Ce sont des

créations françaises, présentes avant tout dans les textes non littéraires, où elles créent un lien

de proximité entre l‟auteur et le lecteur. Nous ne pouvons pas déterminer clairement si leur

origine est plus écrite qu‟orale. Nous nous contentons de remarquer que, dans notre corpus,

les MOD se trouvent plus fréquemment dans la prose rhétorique de Calvin – plus largement

dans des documents théoriques au niveau de langue élevé.

Bilan du 3.

Ainsi, Le MOD a un contexte donné, mais flexible. A ses côtés, on retrouve les mêmes

éléments en concurrence. Sa fonction dans la phrase est secondaire mais il peut avoir un rôle

tel qu‟il devient indispensable (comme dans les relations de contraste). C‟est pourquoi sa

valeur est assez difficile à déterminer. A l‟origine, il fonctionne plus comme un complément

circonstanciel que comme une proposition circonstancielle, certes, mais il n‟en est pas moins

très différent du complément circonstanciel : son fonctionnement n‟est pas le même,

notamment en ce qui concerne la mobilité. Il est donc visiblement en marge des catégories

grammaticales habituelles.

Les MOD sont en position de détachement et peuvent être rapprochés des connecteurs ;

toutefois, ils ne portent pas sur la logique de l‟énoncé mais sur l‟énonciation, le « dire ». Nous

venons de voir qu‟ils pouvaient se rattacher à un énoncé antérieur, et plus précisément à son

énonciation (le « dire » de ce qui a été dit). Dans le modalisateur « pour parler plus

proprement », il y a un sous-entendu : l‟énonciation, dans le contexte antérieur, manquait

d‟exactitude. Le locuteur pose un regard double sur la manière dont il/on a parlé et la manière

dont il va parler. Dès lors que l‟énonciateur est le même, nous ne pouvons pas parler de

polyphonie, mais l‟effet rendu est polyphonique : l‟enchâssement de commentaires

énonciatifs laisse l‟impression d‟entendre plusieurs voix. Le MOD joue à la fois sur le

contexte de gauche et sur celui de droite.

Les groupes modalisateurs entrent dans le cadre de la « variabilité paradigmatique »,

au sens où l‟entend Lehmann (1985 et 1995). En effet, ils fonctionnent en rapport étroit avec

toute une série d‟éléments. Cependant, le choix d‟associer tel MOD à tel élément annexe -

annexe, mais influençant l‟orientation, voire le sens du MOD – demeure d‟une grande étendue.

La « variabilité paradigmatique » ne rime ainsi nullement avec un usage strict, fermé, fixe des

éléments grammaticalisés (dans le cas, du moins, des MOD formés sur un infinitif et jouant

sur l‟énonciation). En ce sens, l‟auteur conserve une liberté d‟emploi relativement importante.

Des choix langagiers, tels que l‟exagération ou encore le recours à des armes de

logique et de persuasion, laissent transparaître un parti pris certain. Austin propose cette

démonstration : « dans le cas de l‟affirmation vraie ou fausse (tout comme dans celui du

conseil bon ou mauvais), les visées et buts de l‟énonciation, ainsi que son contexte, sont

importants ; ce qu‟on estime vrai dans un manuel scolaire peut ne pas être jugé tel dans un

ouvrage de recherche historique. Prenez le constatif « Lord Raglan a gagné la bataille de

l‟Alma », en vous rappelant que ce fut une bataille de simples soldats (si jamais il en fut !) et

que les ordres de Lord Raglan ne furent jamais transmis à certains de ses subordonnés. Dans

ces conditions, Lord Raglan a-t-il gagné la bataille de l‟Alma, oui ou non ? Dans certains

contextes assurément - dans un manuel scolaire peut-être -, il est parfaitement légitime de

répondre par l‟affirmative. (Encore qu‟on exagère un peu ; et il ne saurait être question

d‟accorder une médaille à Raglan pour cela.) […] « Lord Raglan a gagné la bataille de

l‟Alma », c‟est une exagération qui convient dans certains contextes, mais non dans d‟autres ;

il serait vain d‟insister sur sa vérité ou sa fausseté.» (Austin, 1996, 369).

Cette démonstration d‟Austin ne porte pas directement sur les modalisateurs, mais elle

nous apprend que le rapport à la vérité est délicat (souvent ambivalent, selon le contexte). Or,

nous avons pu constater à quel point les MOD étaient liés à la subjectivité. Vérité ou

mensonge, que véhiculent les MOD ? Peu importe. Le chemin vers la vérité ou le mensonge,

et les moyens employés pour suivre l‟une ou l‟autre voie, semblent plus intéressants à étudier.

On ne veut pas forcément dire la vérité en utilisant des MOD, mais faire croire que c‟est le cas.

Les modalisateurs impliquent un renforcement pragmatique.

4. DIACHRONIE ET GRAMMATICALISATION DES

EXPRESSIONS

4.1. Période charnière

Enfin, après avoir étudié le fonctionnement morpho-syntaxique, sémantique, et

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