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C. Les start-up lauréates ou le choix d’un acteur qui ose ?

2. Controverses médiatiques

En préambule, précisons que la commission s’est elle-même autocensurée. Lors du troisième appel à projets en 2013, une entreprise sociale a été sélectionnée par les services administratifs, et a été présentée avec une note d’utilité sociale particulièrement haute. Il s’agissait, comme pour Les Soieries du Mékong, d’une production équitable, de vodka en l’occurrence, par l’entreprise artisane qui avait reçu le titre de Meilleure Vodka du monde de 2009 à 2012. La commission n’a pas suivi ses services, parce que le sujet concernait l’alcool et qu’elle estimait que le sujet était ambigu sur le plan sanitaire et social, mais également par souci de crédibilité.

D’autant qu’une polémique venait de prendre, suite à la subvention de 50 000 euros accordée à la start-up lauréate en 2012, Les Cireurs. L’idée de cette entreprise sociale de type SAS est de relancer le métier de cireur de chaussures itinérant au sein des quartiers d’affaires et de favoriser la démocratisation de l’accès au service de cirage de chaussures. L’innovation réside dans la « microfranchise inversée198 », c’est-à-dire le réseau verse une rémunération fixe au cireur pour ses heures de présence sur les sites négociés par le réseau. Les prestations supplémentaires vont également au cireur.

En écho à l'anthropologue américain David Graeber et son article On the Phenomenon of Bullshit

Jobs199, littéralement « jobs à la con », les deux journalistes Julien Brygo et Olivier Cyran publient leur ouvrage Boulots de merde ! Enquête sur l’utilité et la nuisance sociales des métiers200. Parmi

plusieurs exemples illustratifs, un chapitre est consacré au projet Les Cireurs enrichi d’une interview avec Jean Sarkozy. Les extraits concernant ce chapitre sont également mis en ligne sur leur site internet avec pour titre « Les cireurs de souliers de Jean Sarkozy201 ».

198 Le Parisien.fr. Les cireurs débarquent à La Défense [en ligne]. Le Parisien Hauts-de-Seine, le 24 janvier 2014.

<http://www.leparisien.fr/espace-premium/hauts-de-seine-92/les-cireurs-debarquent-a-la-defense-24-01-2014-3521619.php>. [Consulté le 16 juillet 2017].

199 Paru en août 2013 au Strike! Magazine.

200BRYGO, Julien et CYRAN, Olivier. Boulots de merde ! Enquête sur l’utilité et la nuisance sociales des métiers [en ligne]. Paris,

Éditions La Découverte, 2016. <http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Boulots_de_merde__- 9782707185457.html>. [Consulté Juillet 2017].

201CYRAN, Olivier. Les cireurs de souliers de Jean Sarkozy [En ligne]. Mise en ligne le 18 avril 2014.

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Plusieurs quotidiens, dont Alternatives économiques, La Vie ou bien encore Le Monde font la promotion de l’ouvrage et reprennent l’idée dominante du livre : « certaines activités plus ou

moins utiles, aux statuts souvent extravagants, encouragées par les pouvoirs publics pour occuper les chômeurs, et un peu vite labellisées “économie sociale et solidaire” 202 », dont le cireur de chaussures. Anne Rodier, dans son article justifie les idées et les mots acerbes et radicaux des deux journalistes à l’encontre de ce type de projet et de travail, « non par goût de

la grossièreté, mais pour mettre les mots au diapason de la dégradation sociale qu’ils décrivent203. »

Dans l’extrait illustratif proposé en annexe de ce mémoire, il est intéressant de découvrir également la position d’une figure emblématique de l’ESS, Stéphane Veyer, le cofondateur de Coopaname, entreprise sociale reconnue de portage dédié à l’ESS. Stéphane Veyer fustige également cette « idéologie de la création d’entreprises204 » et conteste vigoureusement le

microcrédit, et en l’occurrence, le partenariat entre Les Cireurs et l’ADIE. Pour rappel, l’ADIE (Association pour le Droit à l’Initiative Économique) est l’organisation française reconnue d’utilité publique dédiée au microcrédit. Elle était à ce titre partie prenante de la commission ESS des Hauts-de-Seine.

Philippe Frémeaux, enseignant chercheur, référence de l’ESS, quant à lui, prendra la commission ESS des Hauts-de-Seine en guise d’illustration et d’introduction à son argumentation sur la proximité des « nouvelles formes d’intervention de l’État néolibéral légitimées par la référence

au New Public Management205 » dans l’économie sociale et solidaire.

Ce qui nous est donné à voir dans ces prises de position est assurément la concrétisation des débats entre les partisans d’une économie sociale et solidaire « non dévoyée » et ceux de l’entrepreneuriat social. Comment ces premiers auraient-ils pu être favorables, non seulement à l’appropriation du sujet de l’économie sociale et solidaire par un département aussi marqué politiquement que les Hauts-de-Seine, mais aussi dans le choix des lauréats connotés de Social

202 ANCIBERRO, Jérôme. Qu'est-ce qu'un « sale boulot » ? Journal La Vie.fr, publié le 05/10/2016.

<http://www.lavie.fr/debats/idees/qu-est-ce-qu-un-sale-boulot-05-10-2016-76678_679.php>. [Consulté Juillet 2017].

203 RODIER, Anne. Léa, Yasmine, Michel, Alain : les « héros anonymes » de l’entreprise. Journal Le Monde.fr, publié le 12 décembre

2016.

<http://www.lemonde.fr/emploi/article/2016/12/12/lea-yasmine-michel-alain-les-heros-anonymes_5047317_1698637.html>. [Consulté Juillet 2017].

204 Cf. Annexe 31. Extraits de l’ouvrage de Julien BRYGO et Olivier CYRAN. Boulots de merde ! Enquête sur l’utilité et la nuisance sociales

des métiers.

205 HELY, Mattieu. Philippe FREMEAUX, La nouvelle alternative ? Enquête sur l'économie sociale et solidaire [En ligne]. Les comptes

66 Business ? Néanmoins, force est de constater que peu de voix dissonantes, de médiations polémiques ont empêché ou marqué le bon déroulement de la commission ESS du département, et ce durant les cinq années de son existence. La représentation hautement qualifiée de la commission, la place donnée au débat constructif, au consensus, a rendu possible l’expression de nouvelles pratiques socio-économiques et politiques. Le cadre, le référentiel crédible et légitime, au cœur du fonctionnement de la commission de l’ESS, a été renforcé par l’agrément ESS, partie prenante immatérielle du processus. La sélection inédite des projets d’innovation sociale et des entreprises sociales et solidaires à soutenir par la commission ESS a été déterminante, voire l’élément majeur, dans le changement d’échelle et d’image de l’ESS sur le territoire.

Ces marqueurs expliquent la réussite du projet ambitieux de cette commission, dans ce département bien particulier, d’œuvrer sincèrement pour l’économie sociale et solidaire. Un ensemble donc de facteurs positifs et favorables à l’adhésion de l’écosystème de l’ESS du département, de la région de l’Île-de-France et au-delà. La commission s’est employée à remplir consciencieusement les cases normatives de l’ESS. Son action a nourri sa réputation, ses messages, son image. Réalité cohérente et perception positive, la commission a gagné sa « license to operate ».

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