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Controverse entre Sartre et Guérin, la question de la subjectivité

Bref historique de la relation entre Jean-Paul Sartre et Daniel Guérin

39 Dans la préface à l'édition de 1945 de son livre, Daniel Guérin montre clairement sa préférence pour un socialisme sociétaire, fonctionnant du bas vers le haut. Cette tendance libertaire s'accentue au fur et à mesure de sa vie. « Tout le pouvoir aux soviets », disait Lénine. Mussolini a caricaturé ce mot d'ordre pour en faire le slogan de l’État totalitaire : « Tout le pouvoir au fascisme ». L’État totalitaire est un monstre qui chancelle. Nous en serons à jamais délivrés si nous faisons triompher son antithèse : la république des conseils de travailleurs. » DANIEL GUÉRIN, Idem, p. 55.

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Avant de nous pencher sur la thématique de la subjectivité chez Jean-Paul Sartre et son illustration, en dialogue avec les conceptions de Daniel Guérin, par l'enjeu des luttes Noires-américaines, il me semble nécessaire de passer par un bref historique de la relation entre les deux hommes afin notamment de préciser comment cette thématique Noire-américaine prit de l'importance dans le groupe d'auteurs réunis autour de la revue LesTemps Modernes.

La première mention de Jean-Paul Sartre chez Daniel Guérin se situe en 1944. Guérin est alors rentré depuis peu en France après à un exil politique en Norvège41 et de longs mois d'incarcération en tant qu'interné civil en Allemagne. Cette première mention est plus précisément celle de la pièce Les Mouches qui est jouée durant la période d'occupation de la France.42 Cependant, il faut attendre la période de la Libération pour que les deux hommes se rencontrent, Daniel Guérin étant alors secrétaire général de l'Office professionnel du Livre et participant à ce titre aux réunions du comité d'épuration de gens de lettre dans lequel est également présent le philosophe français: « Un petit homme, borgne et timide, y siège au nom du Comité national des écrivains: il a nom Jean-Paul Sartre. Il n'est pas encore illustre.»43 Dans la seconde moitié des années 1940, selon Ian Birchall44, par l'entremise de Colette Audry45, les deux hommes se lient et débute alors pour Daniel Guérin une collaboration avec la revue LesTemps Modernes dont il devient un contributeur régulier.

Sartre a vécu quatre mois aux États-Unis en 1945 durant lesquels il a pu rencontrer la gauche antistalinienne, et plus particulièrement Dwight MacDonald.46 Daniel Guérin, quant à lui, a vécu aux États-Unis de 1946 à 1949. Lorsqu'il revient en France en 1950 sont publiés les deux premiers tomes de Où va le peuple américain ?, une étude de la société étasunienne et plus particulièrement de l'oppression raciale et du mouvement ouvrier. Plusieurs extraits sont publiés au sein de la revue Les

41 Daniel Guérin est alors membre du Parti Socialiste Ouvrier et Paysan (PSOP). Ce parti est né suite à l'exclusion de la tendance « Gauche Révolutionnaire » de la Section Française de l'Internationale Ouvrière (SFIO) dans laquelle il militait auprès de Marceau Pivert. Le PSOP fit partie d'une coalition internationale de partis socialistes et communistes de gauche critiques du réformisme socialiste et du communisme stalinien qui, à la veille de la seconde guerre mondiale, se constitue en Front Ouvrier International contre la guerre (FOI), organe politique clandestin. Daniel Guérin fut l'un des membres de cet organe politique et il partit rejoindre le bureau international présent à Oslo en Norvège. Son autobiographie « Le feu du sang » raconte cette période de sa vie.

42 « Tout en appartenant, en sourdine, au camp de la Résistance, François Mauriac et Jean-Paul Sartre n'en font pas moins jouer Asmodée et Les Mouches sur les scènes parisiennes. Puis-je m'en plaindre puisque l'on m'a emmené applaudir la pièce du jeune philosophe encore inconnu ? », DANIEL GUÉRIN, Le feu du sang, p.107.

43 Idem, p.131

44 IAN BIRCHALL, Sartre's Encounter with Daniel Guérin, in « Sartre studies International » Vol. 2, No. 1 (1996), pp.41-56.

45 Intellectuelle, autrice et militante française contemporaine de Sartre et Guérin. Proche amie de Simone de Beauvoir, elle milite aux côtés de Daniel Guérin au sein de la tendance « Gauche Révolutionnaire ». Elle est l'une des figures, tout comme Marceau Pivert et Daniel Guérin, de la gauche révolutionnaire française antistalinienne.

46 Journaliste étasunien, ancien trotskyste et membre du Worker's Party. Il dirige la revue Politics qui publie des articles de Sartre, Beauvoir et Merleau-Ponty. C'est également le postfacier de l'édition de 1945 de Fascisme et grand Capital de Daniel Guérin.

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Au lendemain de la seconde guerre mondiale et au début de la guerre froide, la situation bipolaire du monde tend à s'affirmer et nombreux sont ceux qui à l'époque « [perçoivent] la lutte des classes comme ayant mutée en lutte inter-États ».47 C'est dans ce climat qu'est publiée l'étude sur les États-Unis de Daniel Guérin, au moment même du début de la guerre de Corée. Parmi le public français « pro-américain », et même pour différents contributeurs de la revue48, il devient la cible de flèches qui l'accusent de donner des armes au Kremlin : « Si mes censeurs s’échauffent si fort la bile, c'est parce qu'ils sont, pour la plupart, emportés par la haine et la peur de la sinistre bureaucratie rouge. Cette psychose obscurcit leur jugement, atrophie leur faculté de raisonner, leur fait simplifier grossièrement le réel. Parce que l'Amérique est entrée en état de guerre virtuelle avec la Russie stalinienne, ils se persuadent que la moindre critique à son adresse est une arme fournie à Moscou.»49 Mais Daniel Guérin n'est pas le seul touché, les écrits ne correspondant pas aux stéréotypes anticommunistes et antiaméricains alors fort présents dans le paysage politique français, ou encore les positionnements et déplacements politiques de certaines personnalités de la revue, comme ceux de Jean-Paul Sartre50 ou de Richard Wright51, attirent eux aussi leur lot de critiques. Dans un article paru en 1949 dans Les Temps Modernes, Richard Wright précise les raisons pour lesquelles il a quitté le Communist Party of América.52 Cette liberté de ton et la défense pour certains des contributeurs de la formule « Ni Washington, ni Moscou » étaient une marque de la revue. Je crois que Jean-Paul Sartre et Richard Wright partageaient la conclusion de Daniel Guérin lorsque ce dernier publie sa série d'articles sur les États-Unis pour la revue : « Je garde une confiance inébranlable dans l'avenir du Peuple américain. Il ne faut le confondre avec les quelques monopoles qui le déshonorent aux yeux du monde. »53 Cette position n'est pas la seule originalité de la revue et de ses contributeurs. Prenons comme dernier exemple, le projet d'écriture de Boris Vian, ami de Sartre et lui aussi

47 Entretien avec DAVID BERRY ET IAN BIRCHALL, « La politique (et les milles vies) de Daniel Guérin », in Contretemps, 2017. Consulté sur : http://www.contretemps.eu/guerin-trotsky-sartre-marxisme-antiracisme/

48 A cet égard, mentionnons l'article d’ALEXANDRE FERRON, « Sartre contre Lefort. De quoi l'expérience prolétarienne est-elle le nom ? » qui retrace le conflit présent dans la revue « Les Temps modernes » suite à la guerre de Corée dans laquelle est engagée la France. Consulté le 22 août 2020 https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2019-2-page- 65.htm

49 DANIEL GUÉRIN, Le feu du sang, pp.226-227.

50 Dans la préface à la traduction américaine de La putain respectueuse, Jean-Paul Sartre écrit contre les accusations qui lui sont portées d'antiaméricanisme et d'anticommunisme : « Il serait étrange que l'on m'accuse à New York d'antiaméricanisme au moment où la Pravda à Moscou m'accuse énergiquement d'être un agent de la propagande américaine. Mais si cela devait arriver, cela ne prouverait qu'une chose : soit que je suis bien maladroite, soit que je suis dans la bonne voie », JEAN-PAUL SARTRE, Un théâtre de situation, Paris, Gallimard, 1973, p.244.

51 « Hélas, en ces temps où les esprits sont dérangés, tout un chacun se voit accusé d'appartenir à l'un des deux blocs aux prises, et Richard Wright, aussi injustement que je le serai moi-même en sens inverse, est rangé d'office dans le camp de l'« anticommunisme ». » DANIEL GUÉRIN, Le feu du sang, p.226.

52 Sa position peut être résumée par la conclusion d'un de ses discours où il défend l'idée d'une politique indépendante des États-Unis et de l'URSS : « C'est l’État américain du Mississippi qui m'a donné mon corps ; c'est la Révolution russe d'Octobre qui m'a donné mon cœur. Mais aujourd'hui, c'est deux géantes nation – symboles du fléau nationaliste de notre temps – rivalisent en efforts pour établir des plans pour l'abrutissement de l'esprit humain. » Franc-Tireur, 16 décembre 1948. Consulté sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k41066036.item

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contributeur de la revue. Si ce dernier avait déjà pris le rôle de traducteur des écrits de Richard Wright, ses livres publiés sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, et plus particulièrement J'irais cracher sur vos tombes, expérimentent un projet littéraire d'un roman d'écrivain noir écrit par un blanc.54 La revue Les Temps Modernes est donc un vivier intellectuel et politique sur la question de la culture américaine, et plus particulièrement la culture Noire-américaine (que ce soit le roman ou le jazz), mais aussi sur les questions socialistes et les événements se déroulant en URSS. Ce non-dogmatisme et cette liberté de ton expliquent les raisons pour lesquelles les contributions de Daniel Guérin furent si régulières et précoces.

A partir de cette période, Daniel Guérin et Jean-Paul Sartre vont partager de nombreux combats et des interrogations mais aussi des solidarités. Ainsi, lorsque les positions publiques de Daniel Guérin, du fait de son trotskisme et de son anarchisme supposés, entraînent son refus d'octroi de visa aux États-Unis au début des années 50, plusieurs actions et pétitions sont lancées pour lever cette interdiction. A l'initiative de Clara Malraux, par exemple, est publiée une déclaration publique le 18 avril 1951 exhortant les autorités américaines à lever le blocage de visa. Elle est signée par une quarantaine de personnalités dont Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre.55 Inversement, lorsque Sartre est accusé dans un texte de Jean d'Ormesson publié dans le journal Le Monde de soutenir la presse gauchiste, et plus particulièrement maoïste, Guérin le soutient publiquement et prend sa défense dans un droit de réponse publié le 23 juillet 1971 dans Le Monde.56 Ces deux anecdotes veulent témoigner de liens amicaux entre les deux hommes.

Sur le plan des luttes, ils se sont tous deux penchés, par exemple, sur la question homosexuelle57 et sur la question raciale et sociale. Cependant, c'est surtout dans les luttes anticoloniales et pour l'indépendance de l'Algérie qu'ils ont milité le plus souvent ensemble, bien que partageant parfois des options différentes. Ils participent ainsi tous deux en compagnie, entre autres, d'Aimé Césaire et de Michel Leiris au Comité d'action des intellectuels contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord.58 En 1953, Daniel Guérin publie un article intitulé Pitié pour le Maghreb où il prévient du conflit franco-algérien à venir. L'article donne une description bouleversante de la souffrance et de la situation sociale et politique dont il a été témoin en se rendant au Maroc, en Algérie et en Tunisie. Outre l'aspect économique et politique, Guérin insiste sur le processus de déculturation en Algérie

54 Pour aller plus loin sur ce thème, GRÉGORY CORMANN, « Passer la ligne. La rencontre de Fanon et de Sartre », in La Préface. Formes et enjeux d'un discours d'escorte, pp.173-206.

55 DANIEL GUÉRIN, Le feu du sang, p.230.

56 DANIEL GUÉRIN, « Des moulins à vents ? », in Le Monde, 23 juillet 1971.

https://www.lemonde.fr/archives/article/1971/07/23/des-moulins-a-vent_2453289_1819218.html, consulté le 22 août 2020.

57 Sur Sartre et la question homosexuelle, mentionnons l'article de DIDIER ERIBON, « Sur Sartre », consultable sur

http://didiereribon.blogspot.com/2007/07/sur-sartre.html

58 DIONYS MASCOLO, « Pour l'abolition du colonialisme » [1956], in Lignes, 1998,1, n° 33, pp. 68-72. Consulté le 22 août 2020 sur https://www.cairn.info/revue-lignes0-1998-1-page-68.html

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exercée par le pouvoir colonial et accuse la France d'« essay[er] de tuer l'âme de ce pays »59que ce soit par des velléités réformatrices de l'Islam, en créant artificiellement des dissensions internes ou, encore, en promouvant, contre la langue arabe, la langue française. Reprenant ses thèses développées sur le fascisme, il vaticine que le capitalisme colonial français préférait mettre le Maghreb à feu et à sang « plutôt que de laisser échapper une parcelle de leur pouvoir »60. Cette publication dans la revue n'est pas étrangère à la campagne qu'elle mène dès le début de 1955 - la plaçant ainsi parmi les premiers acteurs français - contre la guerre en Algérie puis en défendant la position de l'indépendance de l'Algérie. Il n'est donc pas étonnant que l'on retrouve dès lors Sartre et Guérin parmi les signataires du « manifeste des 121 » en 1960.61 Lors des événements de mai-juin 1968, Daniel Guérin cosigne, avec Sartre, Simone de Beauvoir, Michel Leiris et Colette Audry entre autres une déclaration dans Le Monde du 8 mai 1968 faisant appel à « tous les travailleurs et intellectuels à soutenir moralement et matériellement le mouvement de lutte engagé par les étudiants et les professeurs ».62 Pour terminer ce bref historique, bien qu'il y aurait encore beaucoup à écrire mais contentons-nous par exemple de mentionner que tous deux furent parmi les premiers intellectuels blancs à s'engager au sein de la revue panafricaniste Présence Africaine de Alioune Dop dès 1947.

Par cette présentation, j'ai voulu montrer à la fois la longue relation qui noue Daniel Guérin à Jean-Paul Sartre mais également le caractère partagé de certaines thématiques mobilisées chez l'un et chez l'autre tout autant que des périodes communes d'engagements intellectuels et politiques.

Les débats avec le marxisme et le thème de la subjectivité

La question de la subjectivité est liée à un double projet chez Jean-Paul Sartre. Si elle se trouve au cœur de son programme philosophique dès les années 30, elle devient un enjeu politique et intellectuel à partir de la seconde moitié de cette même décennie. Si Sartre partage des relations avec de nombreuses personnes engagées politiquement, j'ai déjà cité Colette Audry63 et Daniel Guérin mais je pense également en particulier à Paul Nizan (qui s'engage dès 1927 au sein du PCF), son engagement politique fut plus tardif que ses proches et pris d'abord le chemin de controverses

59 DANIEL GUÉRIN, « Pitié pour le Maghreb », in Ci-gît le colonialisme, Algérie, Inde, Indochine, Madagascar, Maroc, Palestine, Polynésie, Tunisie. Témoignages militants, Paris, Mouton-La Haye, 1973, p.275.

60Idem, p.290.

61 DANIEL GUÉRIN, « Le Manifeste des 121 », in Idem, p.137.

62 DAVID BERRY ET GUILLAUME DAVRANCHE, Notice Guérin Daniel, in EUGÈNE EDMOND, Dictionnaire des anarchistes, mise en ligne la 10 mars 2014, dernière modification le 8 avril 2018. Consulté le 22 aout 2020 sur

HTTPS://MAITRON.FR/SPIP.PHP?ARTICLE157370

63 Colette Audry et Simone de Beauvoir se rencontrent pour la première fois en octobre 1932 au lycée de Rouen où elles sont toutes deux enseignantes. A cette époque, elle est déjà engagée au sein de la « Gauche révolutionnaire » de la SFIO mais aussi en tant que syndicaliste au sein de la Fédération unitaire de l'enseignement pour lequel elle écrit dans la revue L'école émancipée. IAN H.BIRCHALL, Sartre et l'extrême-gauche française. Cinquante ans de relations tumultueuses, Paris, La Fabrique, 2011, p.41.

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philosophiques avec les marxismes et plus particulièrement avec le PCF.

Le 29 octobre 1945, Jean-Paul Sartre prononce sa célèbre conférence L'existentialisme est un humanisme. Lors de sa publication en 1946, la conférence est accompagnée, avec la permission de Sartre, d'un commentaire de 28 pages de Pierre Naville qui en fait une critique marxiste.64 Pour ce dernier, l'existentialisme est une philosophie inactive, bourgeoise et individualiste : « Naville était assez dur avec Sartre, accusant sa philosophie d'être « la résurrection du radical-socialisme », adaptée au temps nouveaux, la crise sociale mondiale exigeant un libéralisme d'un nouveau type, un « libéralisme torturé, angoissé », commente Ian Birchall.65 Néanmoins, cette place laissée au commentaire dans le texte marque bien la volonté de dialogue de Jean-Paul Sartre. Si Pierre Naville est un intellectuel et militant marxiste reconnu et respecté, il n'est pas membre du PCF tandis que du côté des intellectuels du PCF, avant le tournant « communiste » de Sartre, les réactions sont beaucoup plus houleuses et outrancières.66

Dans la continuité des discussions (et des controverses) avec la gauche française, et surtout avec le PCF, Sartre expose à nouveau ses idées dans un long essai publié en 1946, Matérialisme et révolution.67Ce texte construit en deux parties exprime le projet d'une transformation du marxisme : dans la première partie, il s'attaque à ce qu'il considère être certains des problèmes du marxisme et du parti communiste français et, dans le seconde, il construit un parallèle entre les perspectives révolutionnaires et les perspectives de son existentialisme. Parmi les différents points qui sont attaqués, deux problèmes sont centraux : la question de la révolution et le problème de la liberté, de l'action libre.

Sur le premier point, c'est le concept d'objectivité utilisé par le marxisme et le PCF qui est la cible de son attaque. De manière sommaire, Sartre reproche le côté mécanique du matérialisme marxiste tel qu'il a été théorisé par Staline dans Matérialisme dialectique et matérialisme historique. Cette approche est mobilisée par le PCF ce qui lui permet d'être particulièrement catégorique dans ses jugements.68 Cette manière d'envisager le matérialisme historique avait le défaut, philosophique,

64 « Peu convaincant : dans l’auditoire, Pierre Naville le premier ne s’en laisse pas conter. Ainsi présenté, l’existentialisme paraît être à ses yeux une « résurrection du radical-socialisme » et du « libéralisme », sacrifiant, « comme beaucoup d’autres », à « l’éminente dignité de la personne », si bien que, « malgré [sa] distinction des deux sens de l’humanisme », Sartre s’en tient, « au fond, à l’ancien [sens] » » PERRIN CHRISTOPHE, « Sartre ou la fausse question de l'humanisme », in Archives de Philosophie, 2010/2 (Tome 73), pp.297-319, https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2010-2-page-297.htm

65 IAN H.BIRCHALL, Sartre et l'extrême-gauche française, pp.104-105.

66Ibidem.

67 JEAN-PAUL SARTRE, « Matérialisme et révolution », in Situations III, 2013.

68 « Dans son analyse de l'utilisation du concept d'« objectivité » chez les auteurs staliniens, il montrait les conséquences politiques graves de ce type de méthode. Partant du postulat que tous ceux qui s'opposaient à eux étaient « objectivement » au service des intérêts de la bourgeoisie, leur logique les conduisait implacablement à l'assertion selon laquelle « le trotskyste est un indicateur », Ian H. Birchall, Sartre et l'extrême-gauche française. Cinquante ans de relations tumultueuses, Paris, La Fabrique, 2011, p.117.

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d'empêcher de découvrir la dialectique dans les choses ou dans les idées et le défaut, politique, que les décisions politiques du PCF ne s'assumaient pas en tant que telles au nom de l'idée de la nécessité objective de l'histoire.69 En effet, malgré ses déterminations matérielles, pour Sartre, la Révolution signifie un acte libre puisqu'elle seule est le chemin capable d'amener à la libération effective de l'humain.70 Sur l'acte libre, il reproche au matérialisme mécanique un réductionnisme qui dissout l'individu – et l'acte libre - et l'idéologie – la dimension politique – du fait de cet objectivisme. C'est pourquoi, en montrant le décalage entre la praxis révolutionnaire et la conception mécanique du PC, Jean-Paul Sartre met en garde le Parti Communiste français que sa conception matérialiste de l'histoire « objective » risque même d'empêcher le projet révolutionnaire. Afin d'y remédier, en se basant sur une morale existentialiste, Sartre veut mettre au cœur du matérialisme cet acte libre. A cet

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