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Contributions théoriques

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1.1. Le caractère multifactoriel de la navigation dirigée pour étudier le

handicap cognitif

Plusieurs auteurs désignent par la navigation dirigée l’ensemble des composantes de la réalisation d’un trajet reliant un point de départ à une destination (Golledge, 1991, 1995; Montello, 2017; Vandenberg, 2016). Cette activité comprend des composantes « représentationnelles » et « dynamiques » (Waller & Nadel, 2013). La qualité de navigation dirigée est également dépendante de paramètres de l’environnement comme sa disposition spatiale (Gärling, Böök, et al., 1986). La navigation dirigée est donc multifactorielle : elle dépend des caractéristiques de l’individu et de l’espace dans lequel il se déplace.

Le handicap cognitif est également modélisé comme une interaction de facteurs individuels et environnementaux (Fougeyrollas, 2010; World Health Organization, 2012). Cette approche multifactorielle souligne le fait que le handicap n’est pas un attribut d’un individu, mais une inadéquation entre ses objectifs, ses caractéristiques personnelles et son environnement. Dans notre première étude, nous avons exploré les difficultés dans la chaîne du déplacement d’individus ayant un handicap cognitif. Afin de constituer notre échantillon,

nous avons choisi le critère de la reconnaissance légale du handicap cognitif. Cette reconnaissance légale repose uniquement sur l’évaluation médicale de l’individu, et ne rend pas compte des interactions entre les différents facteurs produisant le handicap.

Le modèle multifactoriel de la navigation dirigée s’est avéré être adapté à l’investigation auprès de cette population. Nous avons pu explorer les aspects « représentationnels » de la navigation dirigée par l’intermédiaire du questionnaire sur les compétences spatiales (Pazzaglia et al., 2000). L’entretien semi-dirigé selon la technique des incidents critiques a permis de révéler des difficultés concernant les aspects « dynamiques » de la navigation et les aspects environnementaux. Ces difficultés rendent compte d’interactions entre les différents facteurs produisant le handicap. Nos analyses ont permis de mettre en évidence des situations résultant de l’interaction entre les incapacités cognitives, les objectifs des individus lors des déplacements et les caractéristiques de l’environnement.

Les résultats de nos études suggèrent que des incapacités dans la cognition spatiale ne prédisent pas à elles seules de difficultés dans la navigation dirigée. Dans notre première étude, les participants ayant un handicap cognitif rapportent principalement des situations d’égarement, ce qui semble correspondre à une difficulté dans la résolution de problème spatial. Pourtant, nos résultats ne montrent pas de différence dans les compétences spatiales entre les participants ayant un handicap cognitif et les participants contrôles. Ce résultat pourrait confirmer ceux de Claessen et al. (2017) indiquant que les personnes ayant un handicap cognitif peuvent présenter des difficultés dans la navigation dirigée, sans qu’il y ait atteinte de leurs représentations spatiales. Dans notre seconde étude, nous avons cherché à provoquer une incapacité cognitive chez des participants par la mise en œuvre d’un protocole de double tâche. La tâche interférente avait pour objectif de limiter le maintien de l’information spatiale en mémoire de travail (De Beni et al., 2005; Gyselinck et al., 2009). Les résultats montrent que les participants effectuant une tâche interférente parviennent moins à retourner au point de départ lors de la tâche de « raccourci », comparativement aux participants en condition de tâche simple. Cela suggère que ces participants ont effectivement acquis des représentations spatiales incomplètes du fait de la réalisation de la double tâche. En revanche, ils présentent des performances de navigation dirigée (nombres d’erreurs, d’explorations visuelles, d’arrêts) équivalentes à celles des participants en condition de tâche simple lorsqu’ils bénéficient d’un guidage. Ces résultats indiquent que l’assistance à la navigation a permis d’accomplir le déplacement malgré des limitations dans la construction des représentations spatiales.

Ces éléments renforcent l’idée que des difficultés de navigation dirigée peuvent résulter d’une interaction entre des facteurs personnels, environnementaux et contextuels. La littérature sur la navigation dirigée des personnes ayant un handicap cognitif n’apporte pas de

réponse complète sur les facteurs principalement impliqués dans ces difficultés de navigation, et se focalise principalement sur les aspects cognitifs spatiaux. En revanche, nos études nous permettent de tracer certaines pistes de réflexion.

En particulier, dans notre première étude, les causes des situations complexes sont apparemment similaires entre les participants. Pourtant, les deux groupes mentionnent des types différents de situations complexes résultant de ces mêmes causes. Il est possible qu’un individu sans handicap soit plus à même de détecter un changement potentiel et d'adapter son itinéraire en conséquence, déclarant ainsi non pas le précurseur initial mais le nouvel itinéraire comme problématique. En revanche, les participants atteints d'un handicap cognitif peuvent éprouver des difficultés à adapter leur comportement en conséquence à un nouvel élément qui n'est pas encore jugé problématique. Un autre résultat intéressant réside dans l’attrait des participants sans handicap vers les « autres » types de stratégies de résolution de problèmes, en comparaison des participants ayant un handicap. Dans notre étude, les modalités « autres » regroupent des évènements ou des actions uniques qui ne peuvent être combinés avec aucune autre modalité. Les participants ayant un handicap cognitif choisissent donc des solutions uniques et inclassables moins fréquemment que les personnes sans handicap.

Ces deux résultats suggèrent une plus faible flexibilité des personnes ayant un handicap cognitif, comparativement à des individus sans handicap. Les individus ayant un handicap cognitif semblent moins s’adapter à un contexte spécifique, et présentent une moins grande diversité dans les solutions mises en œuvre. Dans la littérature, la flexibilité cognitive est définie comme la connaissance qu’a un individu des options permises par une situation, sa volonté et son efficacité à s’adapter à cette situation en fonction des stimuli environnementaux (Martin & Rubin, 1995; Scott, 1962). Plusieurs études, dans d’autres domaines que celui de la cognition spatiale, mettent en évidence des difficultés de flexibilité chez des individus ayant des incapacités cognitives d’étiologies variées (Grattan & Eslinger, 1989; Milders et al., 2008; Rasquin et al., 2002).

1.2. La flexibilité cognitive, facteur potentiellement déterminant

Dans la navigation dirigée, la flexibilité cognitive est considérée comme essentielle, notamment parce qu’elle permet la bascule entre l’utilisation des différents niveaux de modèles mentaux (Bocchi et al., 2017). Certaines études dans le champ de la navigation dirigée ont porté sur la flexibilité des personnes âgées. Par exemple, Harris et al. (2012) ont montré que ces individus étaient moins flexibles sur des tâches spatiales que des personnes jeunes. Dans l’étude de ces auteurs, les participants doivent localiser une récompense dans un labyrinthe

(directions cardinales) ou égocentriques (tourner à droite ou à gauche). Les participants réalisent plusieurs blocs d’essais successifs selon les deux modes d’instructions. Les résultats montrent que les participants âgés parviennent à compléter correctement les deux types de blocs. En revanche, lorsqu’un changement inattendu dans le type de consigne survient au cours d’un bloc, les personnes âgées commettent davantage d’erreurs de chemin que les personnes jeunes. Les auteurs interprètent cette baisse de performance localisée comme une difficulté à s’adapter à cet imprévu et à être flexible.

Ce changement « inattendu » renvoie aux situations complexes décrites par les participants lors de notre première étude. En effet, les difficultés rapportées surviennent presque exclusivement lors de situations où les personnes cherchent à atteindre une destination déterminée, à un moment précis. Nos analyses relèvent qu’un évènement imprévu comme une erreur de l’individu ou un problème dans les transports amène fréquemment une difficulté à atteindre la destination ou un contretemps. La survenue d’un évènement imprévu correspond ainsi à un moment critique du déplacement où la flexibilité permet d’adopter une stratégie de résolution de problème pertinente. L’interaction entre le caractère imprévu d’une situation et la flexibilité cognitive de l’individu pourrait ainsi représenter un facteur déterminant dans la mobilité des personnes ayant un handicap cognitif.

1.3. Des arguments en faveur d’une approche holistique de la

navigation dirigée

Plusieurs facteurs sont à considérer dans les interactions qui déterminent la réalisation de la navigation dirigée. Les résultats de notre première étude montrent que toutes les situations complexes ne consistent pas uniquement à trouver son chemin. Une situation fréquente pour les personnes atteintes de handicap cognitif concerne un évènement désagréable, qui provoque un inconfort, soit physique, soit émotionnel (par exemple, transports encombrés, conditions météorologiques défavorables). Dans ces situations, la stratégie de résolution de problèmes associée est le plus souvent la passivité, car les gens attendent que la situation se termine ou suivent simplement les instructions données par les travailleurs du transport. Ce profil de situation complexe ne semble pas faire allusion à une solution particulière dans une perspective d'aide à la navigation dirigée, car il concerne des conditions désagréables plutôt que la cognition spatiale. Toutefois, si ce profil d'évènements ne se rattache pas à la prise de décision, à l'orientation, à l'intégration du trajet ou à la clôture du déplacement (Vandenberg, 2016), celui-ci peut avoir un impact direct sur le suivi d'un chemin de son origine à sa destination (Golledge, 1992). Cela est particulièrement vrai dans

le cas des conflits interindividuels, un type d'évènement qui se produit particulièrement fréquemment chez les personnes atteintes de handicap cognitif.

Les résultats de nos deux études confirment le caractère multifactoriel de la navigation dirigée. Les difficultés rencontrées par les individus ayant une incapacité cognitive (réelle ou simulée) n’apparaissent pas systématiquement liées à leurs capacités spatiales, mais également à leur flexibilité cognitive ou à une interaction défavorable entre l’environnement et le contexte du déplacement.

Une définition de référence dans la littérature conceptualise la navigation dirigée en tant que résolution de problème spatial (Arthur & Passini, 2002; Golledge et al., 1996; Passini, 1984). Cette définition nous semble partiellement adaptée, car elle est compatible avec la notion de flexibilité dans la résolution de ce problème. En revanche, elle met l’accent sur les aspects uniquement spatiaux du déplacement. Nos résultats nous amènent à davantage considérer une posture holistique quant à l’étude de la navigation dirigée. Nos études relèvent la nature multifactorielle des activités de navigation dirigée dans la vie réelle, qui dépendent non seulement des propriétés réelles de l'environnement mais aussi de propriétés non spatiales, notamment des préférences, des capacités et des croyances d'un individu (Montello, 2017). Ces analyses soulignent l’intérêt de prendre en compte la mobilité dans son ensemble lorsque l'on parle de navigation dirigée pour des populations spécifiques, car un évènement induisant une difficulté réelle et récurrente pour atteindre une destination peut survenir séparément d'un handicap impliquant les principales composantes des modèles de la navigation dirigée (Vandenberg, 2016).

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