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La contribution des études sur développement du concept de so

Plusieurs études se sont penchées sur le concept de soi. Ces assises théoriques et empiriques permettent aujourd’hui de mieux comprendre le FR, et tout particulièrement les capacités auto-réflectives des enfants.

Définition du concept de soi

Selon L’Écuyer (1994), le concept de soi, dans sa forme la plus simple, réfère à la façon dont la personne se perçoit. Il implique à la fois un aspect expérientiel et affectif c’est-à-dire qu’il se développe à partir de perceptions hautement individualisées, ressenties et vécues par la personne. Au-delà de l’aspect affectif et expérientiel, des habiletés cognitives seraient nécessaires pour l’élaborer et le conceptualiser. Le concept de soi serait également modulé à partir des expériences sociales de l’individu.

Tout au long de son développement, l’enfant apprendrait alors à se considérer lui- même comme un être unique et à se construire une identité propre. Petit à petit, l’individu deviendrait idéalement en mesure de se décrire d’une façon nuancée et à intégrer les parties négatives et positives de lui-même. Selon L’Écuyer (1994), le concept de soi constitue un système relativement stable, mais toutefois assez flexible pour permettre à la personne d’évaluer en fonction des réalités et des besoins nouveaux. Ainsi, il serait composé d’un amalgame varié de perceptions que la personne a d’elle-même, dont les contenus émergent à la fois de l’expérience personnelle et de l’influence des autres sur ses propres perceptions.

Vers la fin du 19e siècle, les travaux de William James ont apporté un éclairage intéressant au concept de soi. James a notamment contribué à distinguer deux aspects du soi, c’est-à-dire le «Je» (le soi comme processus, sujet et acteur) et le «Moi» (le soi comme contenu, objet de connaissance; le soi intellectualisé) (James, 1890 ; 1892). Le «Moi» (ou soi comme contenu) référerait entre autres à la capacité d’évaluer et de résumer les perceptions et connaissances que nous avons de nous-mêmes et de nos caractéristiques personnelles, d’un point de vue cognitif et conceptuel. Le «Moi» pourrait ainsi impliquer un aspect matériel (possessif ou physique), social (rôles sociaux) et/ou spirituel (valeurs,

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idéaux et attitudes) (James, 1890). Le «Moi» se distinguerait ainsi de l’estime de soi, cette dernière étant plutôt l’évaluation affective et subjective de nous-mêmes impliquant une valence positive ou négative. En contraste, le «Je» (ou soi comme processus) référerait plutôt à l’entité active qui perçoit, décide et agit, ainsi qu’à la capacité de prendre activement conscience de soi. Ainsi, en réfléchissant à elle-même, la personne peut porter attention au soi tel qu’il apparaît aux yeux des autres (p.ex. : habillement, comportements, etc.) ou encore être en mesure de prendre contact avec ses propres ÉM qui sont non- accessibles aux autres (p.ex. : émotions, motivations, besoins, valeurs, etc.) (Duval & Wicklund, 1972).

Perspective développementale du concept de soi

Des études se sont penchées sur l’émergence du concept de soi à l’enfance et à l’adolescence. Selon Harter (2012b), le développement cognitif de l’enfant contribuerait au concept de soi en l’aidant à réfléchir, structurer et organiser la représentation qu’il a de lui- même. Elle ajoute qu’à l’intérieur d’un même groupe d’âge, les variations au plan de la représentation de soi pourraient en partie être influencées par les expériences de vie de la personne (p.ex. : socialisation, interactions sociales, contexte familial, éducation familiale, etc.).

Plusieurs dimensions du soi évolueraient au cours de l’enfance et de l’adolescence. D’abord, les changements cognitifs propres à l’enfance et à l’adolescence pourraient influencer le soi comme «processus» («Je»), en raffinant le filtre avec lequel l’enfant perçoit et analyse ses caractéristiques personnelles (Harter, 2012b). De plus, au fil du temps, l’enfant deviendrait un peu plus réaliste dans sa capacité à se décrire, c’est-à-dire qu’il distinguerait davantage le soi idéal du soi réel, serait plus nuancé et intégrerait davantage des attributs à la fois positifs et négatifs. Dans le même ordre d’idées, l’enfant intégrerait de plus en plus, au fil du temps, l’idée qu’il a un rôle actif dans sa vie. Par exemple, à la question «Comment es-tu devenu ce que tu es aujourd’hui? », un enfant d’âge préscolaire est plus susceptible de répondre par des facteurs non contrôlables (p.ex. «J’ai grandi ; mon corps est plus grand»). Un enfant d’environ dix ans serait, quant à lui, plus susceptible de considérer ses propres actions (p.ex. «Je suis devenu intelligent parce que

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j’ai eu des bons résultats scolaires en étudiant beaucoup»), alors qu’un jeune de 13 ans devrait être davantage en mesure de considérer l’influence des autres et de soi-même sur son identité (p.ex. «J’ai appris de mes parents, et aussi de mes amis, en les écoutant et en parlant avec eux») (Bukatko & Daehler, 2004).

Harter (2012a) propose un portrait du développement de la représentation de soi à l’enfance, en le divisant en différentes périodes. Au sein de la première période développementale, entre 2 à 4 ans, les enfants se décriraient surtout par leur physique, leurs préférences et leurs possessions ; bref, par des caractéristiques observables par les autres. Par exemple, un enfant peut se décrire comme étant un garçon, ayant les yeux bleus, ou étant habile dans un domaine particulier. L’enfant risque également de s’évaluer de façon irréaliste et positive (Trzesniewski, Kinal, & Donnellan, 2010). Harter (2012a) explique ces résultats par le fait que l’enfant pourrait avoir une certaine confusion par rapport à ce qu’il désire et ce qu’il est réellement. À cet âge, lorsque l’enfant ferait référence à des émotions, il impliquerait surtout les émotions de base, telles que la joie, la tristesse, la peur et la colère (Kring, 2008). Le développement de la mémoire autobiographique, de plus en plus sophistiquée vers l’âge de 5 ans (Music, 2011), jouerait également un rôle dans la capacité de l’enfant à se décrire en lui permettant de s’appuyer sur sa propre expérience personnelle et sur des exemples concrets. En se représentant des souvenirs de lui-même et des autres plus cohérents et riches, l’enfant développerait donc un sentiment de continuité, ce qui favoriserait en retour le développement et l’intégration de l’identité (Bleiberg, 2001). Dans le même ordre d’idée, l’enfant de cet âge risque de maîtriser la stabilité du soi, c’est-à-dire que même s’il se vêtit différemment, par exemple, il demeurera qui il est.

Vers l’âge de 5 à 7 ans, l’enfant se décrirait souvent en référence à ses compétences. Cette période caractérise également l’émergence du soi culturel, c’est-à-dire que la description du soi tend à être teintée par le contexte culturel dans lequel l’enfant vit et qui influence les rôles, les stéréotypes, les valeurs, etc. (Harter, 2012b, Nelson, 2003). De plus, l’enfant risque de se comparer aux autres afin de déterminer ses forces, en se décrivant, par exemple, comme pouvant courir plus vite que les autres élèves de sa classe. À cet âge, les enfants commenceraient aussi à se projeter un peu plus dans le futur, mais en gardant

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généralement une vision irréaliste et positive d’eux-mêmes. Il serait alors encore difficile de considérer la différence qui peut exister entre le soi idéal et le soi réel (Harter, 2012b).

Par la suite, contrairement aux enfants plus jeunes se décriraient davantage en terme comportemental et physique, les enfants de 8 à 10 ans seraient plus susceptibles de se décrire par des caractéristiques personnelles telles que «populaire», «serviable», «gentil», etc. Cette description serait alors plus nuancée et basée sur plusieurs exemples ou situations différentes. Elle serait également plus susceptible d’être stable dans le temps et dans différents contextes. À cet âge, l’enfant devrait être en mesure de comprendre qu’il possède des attributs à la fois positifs et négatifs. Les récits racontés seraient d’ailleurs plus cohérents et la mémoire autobiographique serait plus intégrée à la propre expérience de l’enfant. Le jeune pourrait davantage différencier le soi actuel au soi auquel il aspire (Harter, 2012b). Cette meilleure capacité à s’autocritiquer qui se construit avec le temps ne vient toutefois pas sans considérer l’influence possible sur l’estime de lui-même, suggérant ainsi l’importance pour l’enfant de développer de bonnes capacités auto-réflectives.

Enfin, la préadolescence et l’adolescence seraient également d’importantes périodes dans le développement et l’intégration de l’identité. Cette évolution dans le concept de soi est souvent mise de pair avec l’arrivée de nouveaux rôles sociaux, et de multiples changements physiques, neurologiques, sociaux et affectifs caractéristiques de l’adolescence (Sebastian, Burnett & Blakemore, 2008). Les travaux de Blakemore (2008) suggèrent que des changements neurologiques à l’adolescence impliqués dans la cognition sociale pourraient continuer de se développer jusqu’à l’âge adulte. De plus, l’adolescence et l’évolution de la sphère sexuelle et amoureuse chez l’adolescent pourraient amener des occasions, pour le jeune, de découvrir un nouvel aspect de son identité et d’expérimenter l’attachement d’une relation amoureuse. Des enjeux de dépendance, d’autonomie, d’amour, d’agression peuvent survenir et teinter la façon dont l’adolescent se conçoit (Ensink, Biberdzic, Normandin & Clarkin, 2014). Vers l’âge de 11 à 13 ans, il semble que la façon dont l’enfant se perçoit tend également à changer selon le contexte (par exemple le «soi» avec les parents diffère du «soi» avec les amis), sans toutefois qu’il puisse reconnaître et nommer entièrement cette contradiction. L’enfant se soucierait aussi davantage de l’image

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que les autres ont de lui, serait plus susceptible de se comparer aux autres et commencerait graduellement à comparer son image de lui-même à ses idéaux et valeurs (Harter, 2012b; Selman, 2003). Ce n’est toutefois que vers le milieu de l’adolescence que le jeune aurait plus de facilité à nommer les caractéristiques contradictoires (p.ex., «je crois que je suis quelqu’un d’enjoué et je veux l’être, mais je me rends compte qu’avec ma famille, je suis un peu plus déprimée. Ça me dérange, parce que ce n’est pas comme cela que j’aimerais être» ou «J’aimerais être moins inhibé. Le vrai moi est plus volubile, pourtant. J’aimerais être plus naturel en public, mais j’ai de la difficulté»). Idéalement, avec le temps, l’adolescent apprendra à intégrer les caractéristiques de lui-même qui sont contradictoires, diminuant ainsi un certain conflit intrapsychique. Des chercheurs suggèrent toutefois que seuls la maturation biologique et le passage du temps ne permettraient pas à l’adolescent d’évoluer pleinement à ce niveau, puisque de nombreux adultes ne réussiraient pas à atteindre un niveau d’intégration de l’identité aussi développé (Kuhn & Franklin, 2006).