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Le contrat de travail face au contrat de prostitution

Chapitre 3 : Les présupposés normatifs sous-jacents au contrat de prostitution dans The

1. Les rapports de subordination dans The Sexual Contract

1.3 Le contrat de travail face au contrat de prostitution

- Les relations de subordination dans le cadre du contrat du travail

La notion de la propriété de la personne est plus particulièrement utilisée pour articuler le rapport de subordination dans le cas du contrat de travail. Pateman rejette l'idée que ce contrat est une entente libre dans lequel l'employé cède une partie de ses capacités au travail. Au contraire, c'est la personne, donc son corps, qui est l'objet du contrat: “[b]ut if the property is to be used as required, the body of the owner has to be available too” (2007, 210). Ainsi, le contrat de travail implique une relation d'appropriation puisque l'employeur contracte le droit de disposer du corps au travail pour un temps limité et dans le but d'effectuer des tâches déterminées. Sa conception du contrat de travail repose toujours sur une critique de la notion de contrat en tant qu'une entente consensuelle:

Employment is not a continual series of discrete contracts between employer and worker, but [...] on contract which a worker binds himself to enter an enterprise and follow the directions of the employer for the duration of the contract. [...] The employment contract is open-ended, not a contract of specific performance, and the employer alone gains the ultimate right to decide what the content of the contract will be. (1988, 148)

Le contrat de travail est donc une entente sur le long terme qui peut porter sur un ensemble de conditions. Celles-ci sont en définitive décidées par l’employeur, les termes du contrat ne sont donc

62 pas négociés sur une base égalitaire. Or, selon Pateman, ces termes impliquent nécessairement un assujettissement de la personne qui travaille:

When workers sell labor power, or professionals sell services to clients, neither the labor power nor services can in reality be separated from the person offering them for sale. Unless the “owners” of these abstractions agree to, or are compelled to, use them in certain ways that the owners" act in a specified manner, there is nothing to be sold. The employer appears to buy labor power; what he actually obtains is the right of command over workers, the right to put their capacities, their bodies, to use as he determines. (Pateman 1983, 562)

Selon cette conceptualisation des rapports de subordination dans le cadre du contrat de travail, un parallèle peut être établi avec le contrat de prostitution. En effet, ce contrat est défini comme un droit d'accès au corps: “The contract in which the worker allegedly sells his labour power is a contract in which, since he cannot be separated from his capacities, he sells command over the use of his body and himself” (1988, 151). Ainsi, ces deux formes contractuelles ne sont pas à première vue distinguées sur la base de la notion de propriété de la personne, puisque les deux impliquent un accès au corps de la personne pour la durée du contrat. Or, tout comme le contrat de mariage, Pateman argumente en énumérant plusieurs distinctions entre le travail et la prostitution. Ces différences sont des critères qui distinguent fondamentalement la prostitution sur la base de relations de domination qui lui seraient spécifiques.

- La distinction entre le contrat de travail et de prostitution

Pateman différencie d’abord le contrat de travail du contrat de prostitution par rapport à certaines caractéristiques liées à la durée de l’engagement et aux conditions de travail. Le contrat de travail est une entente sur le long terme, tandis que le contrat de prostitution est un contrat qui porte sur une performance spécifique, et non un contrat sur une durée indéterminée comme le sont les contrats de travail et de mariage (Pateman 1988, 208). De plus, le contrat de travail peut impliquer des protections liées aux conditions de travail et au salaire, tandis que ces protections ne seraient pas présentes dans le contrat de prostitution, en raison notamment des cadres juridiques qui légifèrent cette activité.

Ensuite, un des aspects central à la distinction entre le contrat de prostitution et le contrat de travail est le caractère genré de la prostitution. Dans la mesure où la prostitution est associée à une relation

63 où la prostituée et une femme et l'homme un client, la relation de subordination est étudiée en rapport avec le contrat sexuel en tant que droit d'appropriation du corps des femmes. Une des distinctions effectuées par Pateman entre ces deux contrats est son objet, puisque le contrat de prostitution porte spécifiquement sur le corps des femmes, tandis que le contrat de travail implique des prestations dont l'intérêt pour l'employeur n'est pas spécifiquement un corps genré:

The “John”, the “punter”, the man who contracts to use the services of the prostitute, like the employer, gains command over the use of her person and body for the duration of the prostitution contact - but at this point, the comparison between the wage slave and the prostitute, the employment contract and the prostitution contract, breaks down. In contrast to employers, the men who enter into the prostitution contract have only one interest, the prostitute and her body. A market exists for substitutes for women's bodies in the form of inflatable dolls, but unlike the machines that replace the worker, the dolls are advertised as "lifelike. (Pateman 1999, 59)

Le contrat de prostitution s'apparente ainsi à une réduction marchande du corps des femmes, puisque ce contrat vise un usage instrumental par une appropriation de leur sexualité. Ainsi, même si le contrat de travail et celui de prostitution impliquent tous les deux un accès au corps de la personne en position de subordination, Pateman distingue leur objet à partir de l'intérêt de la personne dominante à entrer dans ce contrat. À l'aide de l'analogie du corps des prostituées avec les poupées gonflables, l'argument de Pateman semble réduire le corps des prostituées à un rapport de passivité par rapport à leur client. Cette illustration de la relation structurelle de subordination est un des arguments sur la prostitution en tant qu'un contrat qui contient nécessairement un usage instrumental du corps d'une femme. De plus, contrairement à des tâches effectuées dans le cadre d'un contrat de travail, la présence d'un employé peut être contingente puisqu'elle pourrait être substituée en l'existence de technologie et de machines. À l’inverse, la prostitution est une institution qui implique nécessairement la présence de femme en tant qu’identité sociale subordonnée dans le contrat sexuel. Ainsi, cette institution est caractérisée comme étant nécessairement un rapport de domination, elle se distingue du travail non sexuel puisqu’elle implique une forme spécifique de subordination:

In prostitution, the body of the woman, and sexual access to that body, is the subject of the contract. To have bodies for sale in the market, as bodies, looks very much like slavery. To symbolize wage slavery by the figure of the prostitute rather than that of the masculine worker is thus not entirely inappropriate. But prostitution differs from wage slavery. No form of labor power can be separated from the body, but only though the prostitution contract does the buyer obtain unilateral right of direct sexual use of a

64 woman's body. There is an integral relationship between the body and the self. (Pateman 1999, 60)

Il importe de rappeler comment le contrat de prostitution est décrit par Pateman: il implique nécessairement un usage direct et unilatéral du corps d'une femme. À travers les arguments qui mènent à conclure que la prostitution est l’exercice du contrat sexuel, Pateman fait référence à une conception précise de la personne qui est indissociable du corps. En d'autres termes, que ce soit dans le contrat de travail ou de prostitution, le corps est toujours impliqué au sens où la présence du travailleur ou de la prostituée est requise pour exécuter les termes du contrat. Or, la distinction opérée par Pateman entre le contrat de travail et le contrat de prostitution porte sur le caractère instrumental du corps en raison de l'aspect sexuel de ce dernier. La sexualité est conçue comme étant une partie intégrante du corps, donc de la personne :

Services and labor power are inseparably connected to the body and the body is, in turn, inseparably connected to the sense of self. [...] Sexual services, that is to say, sex and sexuality, are constitutive of the body in a way in which the counseling skills of the social worker are not. [...] Sexuality and the body are, further, integrally connected to conceptions of femininity and masculinity, and all these are constitutive of our individuality, our sense of self-identity. When sex becomes a commodity in the capitalist market so, necessarily, do bodies and selves. The prostitute cannot sell sexual services alone; what she sells is her body. (Pateman 1983, 562)

Puisque le genre est conçu comme étant une caractéristique essentielle de la personne et de son identité, et que le contrat de prostitution implique spécifiquement le corps d'une femme, Pateman conclut sur la spécificité du contrat de prostitution par rapport à d’autres contrats de subordination. De plus, le contrat de prostitution porte sur des services sexuels et la sexualité est conçue comme étant une composante intrinsèque de la personne. C'est donc à partir de ce raisonnement auquel est sous-jacente une conception spécifique de la sexualité et de la personne que Pateman conclut que la prostitution consiste à vendre son corps. Dès lors, le contrat de prostitution est défini comme un usage instrumental et sexuel du corps du point de vue du client, et comme une marchandisation de sa personne du point de vue de la prostituée.

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2. Les présupposés normatifs sous-jacents à la réduction de la prostitution à un