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2.1. L'institutionnalisation de la privatisation de la sécurité

2.1.2. Un contrat, pour les gouverner tous

Alors qu'il entrait en poste au sein de l'administration George H. Bush, la première tâche qui fut conférée à Dick Cheney fut d'améliorer le processus d'acquisition de la défense et de la gestion du Pentagone, notamment en développant un plan permettant de «réaliser la pleine application des recommandations de la Commission Packard24 et de réaliser des améliorations substantielles dans l'ensemble de la gestion de la défense nationale» (Cheney, 1989, p. 1). Ce plan se concrétisa par l'adoption de plusieurs réformes organisationnelles du département de la Défense dont l'objectif était d'assurer des économies sur le long terme au travers de la rationalisation des pratiques de gestion et des mesures d'efficacité du département, plutôt que de se fonder sur des réductions budgétaires à court terme (Brook et Candreva, 2007, p. 60).

24 The President's Blue Ribbon Commission on Defense Management (surnommée Packard Commission en l'honneur de son président: David Packard) est une commission d'enquête mise sur pied par Ronald Reagan en 1985 avec pour mandat d'étudier les pratiques d'acquisition et de gestion du Pentagone (Brook et Candevra, 2007, p. 60). Par souci de concision, les principales recommandations de la commission sont les suivantes : que les acquisitions de la Défense soient adoptées par le Congrès au travers de budgets biennaux, plutôt que par des projets de loi d'acquisition annuels (Packard et al., 1986, p. 25) ; que le poste de sous-secrétaire à la Défense pour l'acquisition soit créé en plus de définir clairement la hiérarchie entre les différents directeurs et gestionnaires d'acquisition au sein des différents services militaires (Ibid, p. 57) ; que les commandants des commandements unifiés se rapportent directement au secrétaire à la Défense par l'intermédiaire du chef d'État-Major des armées (Ibid, p. 37); que les pouvoirs du chef d'État-Major des armées soient renforcés (Ibid.).

L'une de ces réformes organisationnelles visait principalement le processus par lequel le département de la Défense planifiait et octroyait les contrats aux entrepreneurs civils25 présents sur les champs de bataille américains, notamment en effectuant une refonte du Logistic Civil Augmentation Program (LOGCAP). Sous ce programme, des entrepreneurs civils fournissent des services de logistique et d'ingénierie aux forces américaines déployées dans un théâtre d'opérations (Thurmond et al., 1997, p. 1). Plus précisément, le LOGCAP est un contrat-cadre dont l'objectif est de maintenir la flexibilité des forces armées américaines, en sous-traitant les fonctions de support logistique et opérationnel afin que les troupes puissent se concentrer exclusivement sur les opérations de combat (Russel, 1997, p.1 ; Woods, 1998, p. 2).

Avant la création du LOGCAP, le processus de planification et d'octroi de contrats était hautement décentralisé. En effet, chaque commandant opérationnel local de l'armée américaine avait la responsabilité de planifier lui-même l'octroie de contrats en fonction de ses propres besoins logistiques, et d'octroyer individuellement des contrats à des entrepreneurs civils (Woods, 1998, p. 7). Les commandants opérationnels se basaient principalement sur le programme Wartime Host Nation Support (WHNS) afin de tirer partie des ressources civiles de la nation hôte où se déroule une opération militaire, dans le but d'assurer le soutien logistique des opérations (Russel, 1997, p. 3). Octroyer des contrats à des civils de la nation hôte pour s'occuper des fonctions de soutien logistique était alors considéré comme la meilleure option étant donné qu'il s'agissait d'une manière perçue comme étant plus efficace, en termes de temps et d'argent, pour assurer le soutien logistique des opérations militaires sans avoir à puiser au sein de la garde nationale ou de la réserve de l'armée américaine (Ibid).

25 À ne pas confondre avec le concept d'entrepreneur normatif. Le terme fait référence aux civils engagés par le département de la Défense pour assister sur le plan opérationnel et logistique les forces armées américaines.

Créé en 1985 par le secrétaire à la Défense de Reagan, Caspar Weinberger, le LOGCAP avait été pensé comme un moyen de baliser et de standardiser le processus d'octroi de contrats à des entrepreneurs civils par l'armée américaine, et représentait une première étape vers la centralisation de ce processus (Ibid, p. 4). En effet, au lieu d’octroyer la planification des contrats à chaque commandant opérationnel local, le programme conférait aux commandants de chaque Army Service Component Commands l'autorité et les ressources pour sous-traiter eux-mêmes en fonction de leurs besoins (Ibid). Sous sa forme initiale, le LOGCAP était conceptualisé comme un outil de dernier recours, permettant de faciliter l’appel à des ressources civiles par les commandants en temps de guerre ou autres contingences (Ibid, p. 2). Notamment, le LOGCAP était un moyen qui permettait de contourner les plafonds de troupes pour les forces actives et de réserve, d'augmenter les ressources logistiques et d'ingénierie disponibles au sein de la structure de l'armée américaine, et de limiter la dépendance de cette dernière aux ressources civiles de la nation hôte (Thurmond et al., 1997, p. 8).

En 1992, dans l'optique d'appliquer les recommandations de la Commission Packard et d'améliorer les pratiques d'acquisition et de gestion du Pentagone, Dick Cheney entreprit une réforme du programme LOGCAP. Cette réforme visait à procurer un programme de planification des contrats unique, centralisé et disponible à tous les services militaires (Woods, 1998, p. 7). Dans cette refonte du programme, l'Armée américaine avait pour responsabilité d'identifier les entrepreneurs pouvant répondre à leurs besoins logistiques et de soumettre des recommandations à la Defense Logistics Agency (DLA) (Nigara, 2004, p. 69).

En 1990, la DLA avait établi le Defense Contract Management Command (DCMC) dans le but de consolider la planification et l'administration de l'entièreté des contrats octroyés par le département de la Défense au sein d'une seule et unique organisation (Cheney, 1992, p. 31 ; Cheney 1993a, p. 34). Sous cette nouvelle mouture du LOGCAP, le DCMC a la responsabilité de planifier à l'avance les contrats en fonction

des recommandations émises par chaque branche des forces armées américaines. Ce système de planification donna lieu au phénomène des méga-contrats LOGCAP, où chaque besoin d'un service militaire était réuni au sein d'un seul et même contrat, dont la durée s'étalait sur cinq ans (Briody, 2004, p. 200).