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Dans la seconde étude, nous avons contrasté différents types d’expertise pour comparer leurs compétences perceptives, leurs connaissances conceptuelles, leurs ressources lexicales et

le statut de leurs connaissances. Notre hypothèse était qu’entre des professionnels du vin, des

œnophiles, des consommateurs de vin et des panélistes entraînés à la description des vins, les

connaissances et compétences se combineraient différemment. Nous avons montré que les

œnophiles sont similaires aux professionnels du vin dans leur type de discours, les panélistes

entraînés sont plus proches des professionnels concernant leurs lexiques, mais les œnophiles

comme les panélistes entraînés sont similaires aux consommateurs quand des connaissances

perceptives et conceptuelles en référence à une catégorie complexe sont nécessaires. Un

résultat, qui nous semble important, est que les professionnels et les œnophiles ont un savoir

qu’ils expriment au travers d’un discours partagé, normatif et certain. L’approche linguistique

concernant l’analyse des discours, peu utilisée dans les études sur l’expertise

chimio-sensorielle, s’est avérée très pertinente pour déterminer si des connaissances sont partagées et

sûres. Cet aspect de partage des savoirs, des savoir-faire et des représentations, nous paraît

une dimension importante dans l’expertise. Les professionnels s’identifient comme

appartenant à une communauté qui partage les mêmes concepts. Ce résultat avait déjà été

souligné par Normand (2002) et Vion (2009) qui avaient étudié des descriptions orales ou

écrites de différents professionnels du vin. Pour les panélistes entraînés à la description des

vins, il semblerait qu’il y ait un décalage entre leur utilisation d’un vocabulaire appris

consensuel et leurs discours renvoyant plus à leur expérience individuelle. Les panélistes ne

s’identifient pas comme appartenant « au panel vin » lorsqu’on les interroge sur des

connaissances conceptuelles, mais réinjecte dans un discours plus personnel les termes qu’ils

ont appris. Les résultats de cette étude suggèrent qu’il existe un développement différentiel

des compétences, également mis en évidence par Melcher et Schooler (1996) et Parr et al.

(2002).

Les résultats des tâches de catégorisation ont montré que les connaissances, l’expérience,

le contexte et le but jouent probablement un rôle important dans la catégorisation. L’effet de

ces facteurs lors de tâche de catégorisation a déjà été observé dans d’autres études (Augustin

et Leder, 2006 ; Ballester et al., 2008 ; Barsalou, 1983 ; Lelièvre, 2010 ; Lynch, 2000 ;

Solomon, 1997). Dans le domaine du vin, les connaissances des experts, des novices et des

panélistes entraînés semblent être organisées en catégories vin rouge et vin blanc (Ballester et

al., 2009) et également en catégories liées au cépage pour des experts mais pas pour des

novices et des intermédiaires (Ballester et al., 2008 ; Hugshon et Boakes, 2002 ; Solomon,

1997). Nos résultats montrent que les connaissances des professionnels semblent aussi

organisées en catégorie vin de garde, alors que des œnophiles, des consommateurs et des

panélistes entraînés ont plus de difficultés pour catégoriser les vins en garde / non garde. Ces

résultats suggèrent que l’expertise perceptive et conceptuelle des professionnels du vin

augmente leur capacité à différencier des vins et à prendre une décision concernant

l’appartenance d’un vin à une catégorie complexe. Pour les professionnels, la catégorie vin de

garde comprend des vins rouges, des vins blancs, des Bourgogne, des Bordeaux, des vins

ayant un haut niveau d’appellation et est associée à certaines caractéristiques sensorielles

(couleur, astringence, acidité et boisé) qui leur permettent de juger l’appartenance d’un vin à

cette catégorie. De plus, leurs représentations d’un vin de garde sont collectivement partagées

et se réfèrent à des vins de bonne qualité, des vins prestigieux, qui doivent vieillir un certain

nombre d’années en cave, etc. Les œnophiles ont également des représentations partagées des

vins de garde qui sont en partie similaires à celles des professionnels. Cependant elles ne

semblent pas associées à des caractéristiques leur permettant de juger l’appartenance d’un vin

à la catégorie vin de garde, ce qui explique leur moins bonne performance dans la tâche de

catégorisation et leur utilisation moindre de termes techniques et descriptifs. Ils ont pu

développer une représentation sémantique des vins de garde, mais pas perceptive. Les

consommateurs et les panélistes n’ont pas développé de représentation perceptive des vins de

garde et leur représentation sémantique n’est ni partagée, ni certaine. La catégorie vin de

garde semble donc se construire par l’apprentissage incluant probablement des feedbacks, la

pratique et une base appropriée de connaissances très spécifiques au domaine. Comme nous

l’avons évoqué dans la discussion du chapitre I de la deuxième partie, la catégorie vin de

garde pourrait être proche des catégories ad hoc proposées par Barsalou (1983) dans le sens

où elle serait liée à un but précis : « les vins qui peuvent se bonifier en cave » ; à la différence

des catégories liées à la couleur des vins ou aux cépages qui seraient plus proches des

catégories naturelles. Nous pouvons supposer que seuls les professionnels ont pu au cours de

leur pratique être confrontés à ce but et donc être amenés à catégoriser les vins en garde et

non garde. Les professionnels ont ainsi pu mémoriser des configurations de vin de garde

associées à des indices sensoriels qui leur permettraient d’émettre un jugement sur le potentiel

de garde des vins.

Les différentes compétences relatives à l’expertise soulignent la nécessité de bien définir

ce que l’on entend par « expert ». Il semble donc nécessaire de dénommer les experts par un

terme explicite, car selon les études, dans le domaine du vin, le mot « expert » peut faire

référence à des panélistes entraînés formellement, des étudiants en œnologie, des

professionnels du vin ou des sujets avec certaines pratiques et connaissances dans le domaine

du vin (annexe 1) qui n’ont pas tous les mêmes types d’expertise. Cela est en accord avec

l’étude de Frost et Noble (2002) montrant à partir d’un test de connaissance sur le vin et d’un

test sensoriel que la performance sensorielle et la connaissance du vin étaient deux types

d’expertise distincts et que l’un ne pouvait pas être inféré à partir de l’autre. Ils ont indiqué

que les scores combinés à ces deux tests reflèteraient mieux l’expertise du vin, car de vrais

« experts en vin » devraient posséder des connaissances dans les deux domaines. La mise en

place de tests ou de questionnaires apparait donc pertinente pour déterminer les types

d’expertise. Quelques études ont employé un bref test de connaissance sur le vin pour

contrôler si un participant pouvait être classé comme « novice » (Hughson et Boakes, 2001,

2002 ; Lawless, 1984 ; Lehrer, 1989). Dans notre étude, nous avons utilisé un test sur les

connaissances, les formations et les dégustations concernant le vin pour séparer les

consommateurs et les œnophiles. Cependant, tous ces questionnaires ne semblent pas

satisfaisants pour les expertises dans le domaine du vin. Il serait intéressant de développer des

questionnaires permettant d’identifier plus précisément les expertises.

Des questions relatives à la pratique des experts professionnels semblent également