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Dans notre étude, nous retrouvons que le déremboursement des médicaments spécifiques de la MA ne s’est pas traduit par des modifications importantes du point de vue du parcours de soins. Pour les aidants interrogés, la conséquence directe, relativement lourde, a été principalement financière, avec une augmentation du reste à charge pour les familles, aggravée par l’accroissement du prix devenu libre, en partie expliqué par la majoration de la TVA sur ces médicaments. Mais ce coût, c’est à dire cet effort financier à fournir par les familles, avait peu de traduction sur le suivi médical du malade, dépendant du trinôme patient-aidant-médecin. Le montant du traitement n’a pas, concrètement, motivé chez les aidants interrogés son interruption, et au travers de leurs retours, le suivi des patients

médecins dans notre échantillon, infirmant la crainte des associations de malades.

Depuis le début de notre étude, une étude quantitative a été menée par l’association France Alzheimer et maladies apparentée, ayant également pour objectif de mesurer l’impact de ce déremboursement total, sept mois après sa mise en œuvre, via un sondage réalisé en 2018 auprès de 2 547 personnes, dont 2 463 proches aidants et 84 personnes malades (53). L’association, au travers de son étude tire trois conséquences directes de ces déremboursements, que nos résultats viennent en partie compléter mais aussi contraster.

Les résultats insistent également sur le reste à charge, mais d’une autre manière puisqu’il semblait représenter un motif fréquent d’arrêt de traitement. Ils retrouvaient que 2 répondants sur 3 prenaient au moins l’un des médicaments au moment de l’annonce du déremboursement. Cependant, si 70 % d’entre eux n’envisageaient pas d’arrêter le traitement (62,5 % en raison de son efficacité et 20 % parce que leur médecin le leur a déconseillé), 20 % ne le prenaient plus et 10 % pensaient l’arrêter prochainement à cause principalement du coût trop important. L’étude ne précisait pas, par ailleurs les raisons des arrêts de traitement effectifs. Dans notre étude, les patients interrompaient le traitement en cas d’inefficacité ou d’effets indésirables que ce soit avant ou après le déremboursement. Nos résultats qualitatifs allaient plutôt dans le sens d’une volonté des aidants de faire « le maximum » pour leur proche, même en cas de revenus modestes, au moyen de sacrifices personnels si nécessaire, le traitement représentant un espoir d’amélioration pour beaucoup. Pour preuve : un traitement avait été introduit après la mesure. Cependant, ils éprouvaient des difficultés à juger de l’efficacité des traitements et s’en remettaient souvent à l’avis de leurs praticiens spécialistes des TNC ou spécialistes en Médecine Générale qui était controversé.

Un autre constat concernait les troubles liés à la maladie : pour 52 % des personnes interrogées par l’association, l’arrêt brutal des traitements entraine une aggravation précipitée de ces troubles. Bien que cette crainte ait été exprimée, nous n’avons pas retrouvé cette notion dans notre analyse thématique, qui ne nous permet pas de confirmer cette tendance ni de conclure sur ce sujet.

La dernière conséquence pour les patients était la rupture du lien thérapeutique avec le médecin : seules 55 % des personnes ayant décidé de ne plus prendre de traitements continueront à consulter un médecin spécialiste, alors que 38 % ont déjà arrêté de lui rendre visite et que 7 % l’envisagent. Dans notre échantillon nous ne faisons pas ce constat et le lien thérapeutique ne dépendait en aucun cas du traitement. En revanche, la polémique entourant l’annonce du déremboursement avait semé la confusion dans l’esprit des familles, alors en proie au doute. Elle semblait avoir quelque peu ébranlé la confiance des aidants dans les soignants et le système de soins en général y compris dans les associations, ce qui avait pu, du moins momentanément, fragiliser, ou risquer de fragiliser, la relation

Les différences observées dans les deux études pourraient être éclairées par des différences méthodologiques, toutefois, nous n’avons pas pu retrouver celle utilisée par l’association pour réaliser son étude, nous permettant difficilement d’évaluer la portée de ces résultats. Notre étude, par sa méthodologie, ne donne pas lieu de conclure sur le retentissement de l’arrêt du traitement sur la symptomatologie présentée par les patients. Une étude complémentaire pourrait être menée.

Les résultats de notre enquête étudiant, par une méthode qualitative, l’impact d’un déremboursement, une décision de Santé Publique, prouvent à quel point la problématique des anti Alzheimer est particulière et singulière.

Les autres exemples de déremboursement montrent qu’habituellement après leur mise en œuvre, la prescription des médicaments a tendance à chuter ainsi que l’achat. En effet, une étude s’inscrivant dans le cadre de travaux sur la régulation des médicaments, livre un panorama des études françaises, dans le but de mesurer l'impact des déremboursements sur la prescription, ainsi que leurs conséquences en termes de santé publique et en termes financiers. Elle faisait le constat en France que le taux de remboursement du médicament n’est pas toujours en adéquation avec son SMR, et que tous les déremboursements de médicaments à SMR insuffisant annoncés n’avaient pas eu lieu. Elle révélait par ailleurs, que le premier impact de ces vagues de déremboursement entre 2002 et 2011 est une baisse immédiate de la prescription des médicaments concernés et une réduction importante du nombre de boîtes de médicaments vendu. L’augmentation de l’automédication sur ces médicaments ne compensait pas la forte baisse des quantités vendues. Pour les patients continuant à consommer ces médicaments, le prix a augmenté en moyenne de 43% juste après le déremboursement. L’organisme, alertait par ailleurs sur la nécessité de prendre en considération les fréquents reports de prescriptions vers d’autres classes thérapeutiques toujours remboursées qui peuvent avoir des conséquences, en terme de santé publique (si la substitution médicale n’est pas pertinente), et en termes d’économies pour l’Assurance maladie. Elle concluait que « si le déremboursement des médicaments produit des économies immédiates, son efficacité sur le long terme pose question et mériterait de s’appuyer sur des outils de pilotage permettant d’anticiper et de suivre l’impact des futures sorties du panier remboursable » (54).

Cependant, une autre étude menée au Royaume-Uni montre que la prescription de médicaments contre la démence ne répond pas toujours à des facteurs tels que les directives réglementaires, les recommandations ou l'expiration des brevets, et lorsqu'elle le fait, pas nécessairement de manière prévisible, corroborant nos résultats (55). En effet, notre travail suggère que si le déremboursement a engendré une forte augmentation de prix, il ne semble pas avoir induit de manière importante une baisse de prescription. L’automédication n’étant pas permise pour ces molécules, l’une des

souvent leurs espoirs sur la possibilité d’un effet bénéfique à l’échelle individuelle. Face à une demande formulée, au vu du caractère incurable de la pathologie, de l’absence d’alternative et du désarroi de tous, la prescription pouvait ne pas être raisonnée.

La première étude nous apprend qu’il y a souvent un report des prescriptions vers d’autres classes remboursées ce qui pourrait poser un problème dans le cas de MA avec un risque d’augmentation de prescription des psychotropes. Par ailleurs la HAS soulignait également dans son guide, l’importance d’une vigilance concernant l’utilisation de psychotropes dont la prescription « devrait être déterminée par l’échec des traitements non médicamenteux, par l’inconfort de la personne malade, ou en cas de situation menaçante », dans le cas de symptômes psychocomportementaux chroniques. Une étude française faisait déjà en 2003 le constat de symptômes fréquents (56) conduisant les auteurs à conclure que cela devait « engager les soignants et les autorités de tutelle à optimiser leur prise en charge », d’autant qu’ils sont reliés à un niveau de « fardeau » plus élevé chez les aidants à domicile (49). Or la HAS parlait de traitements largement dispensés aux stades évolués à domicile ou en EHPAD (benzodiazépines, antidépresseurs, neuroleptiques/ antipsychotiques), et faisait d’elle-même le constat d’un « accès limité aux thérapies psycho-comportementales de qualité et aux programmes d’information, de formation et de soutien destinés à l’entourage familial », d’un « nombre limité d’experts, et l’absence de formation des professionnels de santé », et d’une « formation et disponibilité des soignants au domicile comme dans les établissements » comme « manifestement insuffisants » plaçant souvent leur usage en première ligne de ces troubles et limitant une « prescription raisonnée et pertinente ».

Il nous paraitrait utile dans ce contexte de proposer une évaluation de santé publique sur tous ces questionnements soulevés qui viendrait confirmer nos résultats et surtout répondre aux craintes formulées de ce report de prescription éventuel et valider la pertinence sur le plan économique de cette mesure montrant que les sommes sont effectivement disponibles pour leur redistribution vers les secteurs du soin et de l’accompagnement.

Si nous estimons l’impact direct faible, le ressenti relatif à cette décision était en revanche très fort, imprégné du sentiment d’abandon, d’injustice et de manque de considération de la MA et des maladies apparentées.

Leur rôle chronophage, conférant de très nombreuses tâches aux aidants, en fonction de leur situation personnelle et familiale, certains se retrouvent comme nous l’avons décrit très isolés.

L’isolement réel aggrave la charge ressentie (50) et on peut supposer que l’impression d’être abandonné par les politiques publiques témoignée dans notre étude aggrave aussi cette charge.

Outre la problématique du coût et d’inégalités sociales, l’impact psychologique de la décision était décrit comme très délétère chez certains aidants qui se disaient « totalement démunis et abandonnés ».

Le manque de considération ressenti a laissé un manque, un vide à combler du point de vue de nos aidants se traduisant naturellement par des attentes, un besoin de reconnaissance et de solutions efficaces en l’absence d’alternative médicamenteuse actuelle.

L’attente d’avancées scientifiques était aussi rapportée mais davantage prégnante dans le sondage évoqué ci-dessus de France Alzheimer qui révélait que « 68 % des proches aidants et 77 % des personnes malades estiment que la recherche doit être une des priorités du gouvernement et qu’une partie des efforts financiers doit y être consacrée afin d’offrir une option médicamenteuse estimée comme une alternative pertinente répondant à leurs besoins devant exister aux côtés des thérapies non médicamenteuses . »

Il apparaissait au travers de nos résultats, qu’une meilleure communication et gestion de l’annonce à tous les niveaux, en tentant d’éviter toute controverse, aurait peut-être minimisé cette impression. La communication est à notre sens, très importante pour favoriser l’adhésion des personnes aux décisions et recommandations et obtenir l’effet escompté en prenant une mesure en santé. Nos résultats suggéraient la nécessité d’une transparence envers les aidants sur le réinvestissement promis des sommes économisées. Cela nous semble être une solution simple permettant d’apaiser le débat et d’amoindrir le vécu négatif corrélé à ce déremboursement au travers d’une meilleure compréhension et d’un sentiment de reconnaissance.

Cette idée s’appuie sur le constat que nous avons fait que le sentiment de reconnaissance de la fonction d’aidant et de la maladie éprouvé avait un impact positif sur leur vécu, favorisant une relation de confiance avec les soignants, et à plus grande échelle, était un bon témoin de leur satisfaction par rapport à l’offre de soins et les stratégies mises en place, y compris au sujet de l’information, besoin fortement exprimé. Les aidants qui se sentaient reconnus avaient, en effet, plus tendance à considérer qu’ils étaient aidés.

C. Place des aidants, besoins et attentes : comparaison avec la littérature et les