Dans cette partie on d´ecrit les r´esultats de [51].
3.5.1. Contrˆolabilit´e lagrangienne approch´ee. On consid`ere donc Ω un
ou-vert connexe born´e et r´egulier de R2 . Cet ouvert est occup´e par un fluide dont la vitesse u, et la pression p, satisfont (3.1a) (3.1b) (3.1c) avec une donn´ee initiale
(3.2).
Rappelons que, pouru : R2 → R2, on d´efinit son rotationnel scalaire par
curl(u) = ∂u2
∂x1 − ∂u1 ∂x2
.
En prenant le rotationnel de l’´equation (3.1a) on voit que ω := curl(u) satisfait
l’´equation de transport
(3.30) ∂ω
∂t + (u.∇)ω = 0 dans (0, T ) × Ω
Ainsi la vorticit´e (= curl(u)) est transport´ee le long des caract´eristiques de u c’est
`a dire le long des trajectoires des particules du fluide.
On se donne donc γ0 et γ1 deux courbes de Jordan C∞ incluses dans Ω, et
entourant deux domaines de mˆeme aire. Notons qu’on ne suppose pas queπ1(Ω)
est nul2 (i.e. Ω n’est pas suppos´e simplement connexe).
Supposons que, pour toutu0, il existe un couple(u, p) r´epondant aux probl`emes
de la contrˆolabilit´e lagrangienne entreγ0 etγ1 en temps T , c’est `a dire que φu(0, T, γ0) = γ1
avec (u, p) solution de (3.1) et (3.2), et supposons de plus que φu(0, t, γ0) ⊂ Ω
pour toutt ∈ [0, T ].
Siu0 est choisi pour quecurl(u0) = 0 au voisinage de γ0 alors (3.31) ∀t ∈ [0, T ], curl(u(t, .)) = 0 au voisinage de φu(0, t, γ0).
Mais, par (3.1b) et (3.31), on en d´eduit que u(t,·) est harmonique, pour tout t∈ [0, T ], au voisinage de φu(0, t, γ0).
Il s’ensuit que siγ0 est une vari´et´e analytique r´eelle de dimension 1, alors il en est de mˆeme pourφu(0, t, γ0), et γ1 doit donc ˆetre une vari´et´e analytique r´eelle.
On voit donc qu’il n’est pas possible d’envisager un th´eor`eme de contrˆolabilit´e lagrangienne exacte pour l’´equation d’Euler d`es lors que l’on impose `a la partie du fluide dont on veut prescrire le mouvement de rester dansΩ.
Se pose alors la question de la contrˆolabilit´e lagrangienne approch´ee entre γ0
etγ1, lorsqu’on impose `a la partie du fluide concern´ee de rester dans Ω. Pour cela
on introduit la
D ´EFINITION3.5.1. On dira qu’il y contrˆolabilit´e lagrangienne approch´ee entre
γ0 etγ1 en temps T et en norme Ck, k ∈ N∗ pour le syst`eme d’Euler, si, pour tout
ε > 0 il existe une solution (u, p) de (3.1) et (3.2) telle que
(3.32) ||φu(0, T, γ0)− γ1||Ck(S1) ≤ ε
`a une reparam´etrisation pr`es (i.e. ´etant donn´e une param´etrisation de γ0 il existe une param´etrisation deγ1 telle que (3.32) soit vraie).
Dans [51] nous d´emontrons le r´esultat suivant :
THEOR´ EME` 3.5.2. Supposons queγ0 etγ1 soient deux courbes de Jordan dans
Ω, de classe C∞, entourant des sous-ensembles de mˆeme aire. SiΓ est une partie
de ∂Ω, et si γ0 etγ1 sont homotopes dans Ω, alors, pour tout T > 0, ε > 0, et tout k ∈ N, il existe une solution (u, p) de (3.1) et (3.2) telle que (3.32) soit vraie (`a
une reparam´etrisation pr`es) et telle que
(3.33) φu(0, [0, T ], γ0) ⊂ Ω
REMARQUE 3.5.3. La preuve repose sur la m´ethode du retour qui consiste, dans cette situation, `a faire circuler le fluide tr`es rapidement dans Ω, `a l’aide
d’une solution potentielle de l’´equation (3.1b) allant de 0 `a 0, et r´ealisant (3.2).
On constate ensuite que le lin´earis´e du probl`eme de contrˆole lagrangien, autour de cette trajectoire, est contrˆolable. Si on exprime de cette fac¸on l’id´ee g´en´erale de la m´ethode du retour, dans la preuve du th´eor`eme 3.5.2, on construit directement la solution adapt´ee.
REMARQUE 3.5.4. Afin de parler de flots, mˆeme en utilisant la th´eorie de R. Diperna & P.L. Lions [34], un minimum d’hypoth`eses sont requises. Dans [51], la solution du probl`eme est de classeC∞, et on n’a pas de difficult´es pour d´efinir flot. En particulier, le flot d´efinit une diff´eotopie (i.e. une isotopie diff´erentiable par rapport `a la variable d’espace—voir la d´efinition 3.2.12 d’une isotopie page 36), et toute la partie du fluide entour´ee par γ0 est envoy´ee dans int(φu(0, T, γ0)),
mais on ne prescrit pas le mouvement de chacune des particules.
REMARQUE 3.5.5. Il est bien ´evident que la mise en œuvre de la contrˆolabilit´e lagrangienne pour un fluide pose des probl`emes technologiques sans doute tr`es d´elicats. On peut n´eanmoins imaginer des applications de la contrˆolabilit´e la-grangienne `a des d´eplacements d’esp`eces animales, biologiques ou de polluants, ´eventuellement en consid´erant d’autres mod`eles fluides.
3.5. CONTR ˆOLABILIT ´E LAGRANGIENNE EN DIMENSION 2. 45
Pour pouvoir d´emontrer le th´eor`eme 3.5.2, nous mimons, via une solution po-tentielle de (3.5.2), une diff´eotopie entreγ0 etγ1. Une telle isotopie existe toujours d`es lors queγ0 etγ1 sont homotopes dansΩ (voir [39]). Bien que cela semble
na-turel, nous n’avons pas trouv´e dans la litt´erature d’indications sur l’existence d’une isotopie conservant l’aire entour´ee. Nous d´emontrons donc le r´esultat suivant
THEOR´ EME` 3.5.6 ([51]). Soitγ0etγ1 deux courbes lisses de Jordan homotopes dansΩ, et entourant des domaines de mˆeme aire, il existe une diff´eotopie entre γ0
etγ1 dansΩ conservant l’aire.
Ce th´eor`eme se d´emontre en produisant explicitement la diff´eotopie cherch´ee et en se ramenant par le th´eor`eme de R. Thom (voir e.g. M. W. Hirsch [56]) au cas o`uγ0 etγ1 ont une intersection transverse.
3.5.2. Poches de tourbillon. Le probl`eme des poches de tourbillons
remon-tent aux travaux de V. I. Yudovich dans [101], avec l’important r´esultat prouvant l’existence et l’unicit´e de solutions de (3.1b) dans R2 avec vorticit´e initiale dans
L∞ seulement.
En particulier on peut consid´erer le syst`eme (3.1a), (3.1b) avec (3.2) o`u u0
satisfait
(3.34) curl(u0) = χω0,
o`uω0 ⊂ Ω est un ouvert (dans lequel le fluide tourbillonne).
Dans le cas de R2, il ressort que pour toutt on a
(3.35) curl(u(t)) = χωt.
On doit `a J. Y. Chemin dans [18] [19] (initialement), d’une part, et A. Bertozzi & P. Constantin [11] d’autre part, le fait que la r´egularit´e du bord de ω0 se propage tout au long du temps. Le cas d’un domaine born´e est dˆu `a N. Depauw dans [32].
Dans le cadre de la contrˆolabilit´e, toute la difficult´e revient `a ne pas faire entrer de vorticit´e dansΩ, afin de conserver le caract`ere r´egulier du bord de la poche de
tourbillon —ainsi la solution de (3.1b) reste une poche de tourbillon. Cela sera possible si on peut remplacer (3.4) par
(3.36) curl(u) = 0 sur{σ ∈ Γ, tel que u.n(·, σ) < 0},
ce qui exprime l’id´ee que, le long de ∂Ω, lorsque le fluide est entrant, il doit ˆetre
irrotationnel.
Dans cette situation nous d´emontrons dans [51]
THEOR´ EME` 3.5.7 ([51]). Supposons queγ0 etγ1soient deux courbes de Jordan dansΩ, bordant des domaines de mˆeme aire, et homotopes dans Ω, et telles que Γ
ne soit pas inclus dans int(γ0). Soit u0 ∈ Lip(Ω, R2), tel que u0.n∈ C∞(∂Ω)
et satisfaisant
curl(u0) = χint(γ0) dansΩ, div(u0) = 0 dans Ω, u0.n = 0 sur ∂Ω\ Γ.
Pour tout T > 0, tout k ∈ N, et tout ε > 0, il existe une solution (u, p) de (3.1)
(3.2) et (3.36) avec u ∈ L∞([0, T ],Lip(Ω, R2)) dont le flot (qui est bien d´efini)
v´erifie (3.32) (`a une reparam´etrisation pr`es) et (3.33).
IciLip(Ω, R2) d´esigne les fonctions lipschitiziennes sur Ω.
En particulier grˆace aux r´esultats de N. Depauw et J.Y. Chemin cit´es plus hauts, `a chaque instant on a une poche de tourbillon.
3.5.3. Un mot sur les preuves. Comme il a d´ej`a ´et´e dit, la pierre angulaire
des preuves des th´eor`emes 3.5.2 et 3.6.4 est la m´ethode du retour, appliqu´ee `a des solutions potentielles, par un argument de point fixe.
Pour ce faire, on peut voir que le syst`eme (3.1a) (3.1b) peut se r´e-´ecrire sous la forme suivante ∂ω ∂t + (u.∇)ω = 0 dans [0, T ] × Ω, div(u) = 0 dans [0, T ]× Ω, curlu = ω dans [0, T ]× Ω, Z Γi (∂u
∂t + (u.∇)u).τ(σ)dσ = 0 sur [0, T ] pour i = 1, . . . , s,
o`u, pour i = 1, ..., s, les Γi d´esignent les composantes connexes “int´erieures” de
∂Ω.
C’est sous cette formulation (l´eg`erement modifi´ee) que l’on d´emontre le th´eo-r`eme 3.5.2 par l’utilisation d’un th´eoth´eo-r`eme de point fixe ad´equat.
Pour d´emontrer le th´eor`eme 3.5.7, on raisonne directement sur u, et pour les
questions de flot, on utilise la dynamique du contour donn´ee par la loi de J.B. Biot & F. Savart, que l’on a adapt´ee aux domaines born´ees.
Rappelons simplement la loi de J.B. Biot & F. Savart dans R2 : si une famille de courbes lissesγ(t) est le bord d’une poche de tourbillon, la vitesse Vγ(t)de cette poche satisfait curl(Vγ(t)) = χint(γ(t)), div(Vγ(t)) = 0, Vγ(x) = − 1 2π Z 2π 0 log|x − γ(t, σ)|τ(σ)dσ, τ d´esignant la tangente unitaire `a γ(t).
3.6. CONTR ˆOLABILIT ´E LAGRANGIENNE EN DIMENSION 3. 47
On renvoie plus pr´ecis´ement `a A. L. Bertozzi & P. Constantin [11] pour le cas des poches de tourbillon dans le plan et `a [51] en domaine born´e, pour une utilisation explicite de cette loi.